Utilisation des acides gras oméga-3 en prévention des événements cardio-vasculaires


Abstract

Certaines données indiquent un effet positif limité des préparations à base d’acide gras oméga-3 sur la morbidité et/ou la mortalité cardio-vasculaire chez les patients ayant récemment eu un infarctus du myocarde et chez les patients présentant une insuffisance cardiaque chronique. De nombreuses incertitudes persistent toutefois. La priorité doit être donnée aux médicaments qui ont un effet prouvé sur la mortalité (p.ex. les statines, les IECA, les β-bloquants); leur effet sur la mortalité est nettement supérieur à ce qui a été observé dans les études avec les acides gras oméga-3. A l’heure actuelle, il n’y a pas de preuves qui justifient d’encourager l’administration de suppléments à base d’acides gras oméga-3 dans d’autres populations de patients que celles mentionnées ci-dessus.


Contexte

Les acides gras oméga-3 sont des acides gras polyinsaturés. Ils sont ingérés via l’alimentation. Les principaux acides gras oméga-3 dans l’alimentation sont l’acide docosahexaénoïque (DHA) et l’acide éicosapentaénoïque (EPA), tous deux présents surtout dans les poissons gras (entre autres le maquerau, le hareng, le thon blanc, les sardines, le saumon). L’intérêt pour les acides gras oméga-3 provient entre autres de la faible incidence de maladies cardio-vasculaires observées dans les populations consommant beaucoup de poissons gras (certaines tribus d’esquimaux par exemple).


Preuves

Sur base d’études pharmacodynamiques, d’études épidémiologiques et d’études avec des critères d’évaluation intermédiaires , il est suggéré que les acides gras oméga-3, sous forme de poissons gras, d’aliments enrichis ou d’un supplément (généralement des acides DHA et/ou EPA purifiés, souvent sous forme d’esters éthyliques), ont un effet positif dans la prévention cardio-vasculaire.

Que nous révèlent les études randomisées reprenant des critères d’évaluation cliniques et menées avec des suppléments à base d’acides gras oméga-3? Les plus grandes études randomisées jusqu’à présent sont les suivantes:

  • L’étude GISSI-prevenzione [ Lancet 1999; 354: 447-55] et l’étude GISSI-HF [ Lancet 2008; 372: 1223-30], dans lesquelles les patients ont reçu 850 à 882 mg p.j. de EPA/DHA dans un rapport de 1,2:1, ce qui équivaut à la composition de Omacor®.
  • L’étude JELIS [ Lancet 2007; 369: 1090-8] dans laquelle les patients ont reçu 1,8 g p.j. d’EPA.

Ces trois études ont révélé par rapport au traitement classique un faible bénéfice supplémentaire en faveur des acides gras oméga-3 au niveau de la morbidité et/ou de la mortalité cardio-vasculaire. Les différences étaient statistiquement significatives.

  • Dans l’étude GISSI-prevenzione (durée de 3,5 ans, chez des patients ayant eu un infarctus du myocarde récent, avec une fonction ventriculaire gauche conservée chez la plupart d’entre eux), l’incidence du critère d’évaluation primaire (combinaison de décès, d’infarctus du myocarde non fatal et d’accident vasculaire cérébral) était de 12,6% acides gras oméga-3) par rapport à 13,9% (placebo) [Number Needed to Treat ou NNT = 81].
  • Dans l’étude GISSI-HF (durée de 4 ans, chez des patients atteints d’une insuffisance cardiaque chronique quelle qu’en soit la cause et qui étaient déjà traités de manière optimale, voir février 2009 ), l’incidence des critères d’évaluation primaires était la suivante.
    • Décès quelle qu’en soit la cause: 27% (acides gras oméga-3) par rapport à 29% (placebo) [NNT = 56];
    • Décès quelle qu’en soit la cause ou hospitalisation pour des raisons cardio- vasculaires: 57% (acides gras oméga-3) par rapport à 59% (placebo) [NNT = 44].
  • Dans l’étude JELIS (durée de 4,6 ans, surtout chez des patients en prévention primaire, population japonaise), l’incidence du critère d’évaluation primaire (combinaison de mort cardiaque subite, d’infarctus du myocarde fatal et non fatal, d’angor instable, d’angioplastie, de stent, de pontage coronarien) était de 2,8% (acides gras oméga-3 + statine) par rapport à 3,5% (statine seule) [NNT = 150].

C’est sur base de l’étude GISSI-prevenzione que la spécialité à base d’acides gras oméga-3 (Omacor®) a été enregistrée comme traitement d’appoint dans la prévention secondaire de l’infarctus du myocarde.

Il existe en outre plusieurs études randomisées à plus petite échelle, dont les résultats ne sont pas univoques.

Des revues systématiques d’études randomisées contrôlées, entre autres de la Cochrane Collaboration , ont également paru, ainsi que dans le British Medical Journal.

  • La conclusion de la revue de la Cochrane Collaboration (incluant l’étude GISSI-prevenzione ainsi que des études randomisées portant sur des régimes à base de poisson, telles que les études DART) est la suivante: l’impact des acides gras oméga-3 sur la mortalité totale ou sur le risque d’événements cardio-vasculaires n’est pas clair.
  • La conclusion du British Medical Journal (incluant l’étude GISSI-prevenzione et l’étude JELIS) est la suivante: les suppléments à base d’acides gras oméga-3 étaient associés à une diminution de la mortalité cardiaque, mais pas à une diminution de la mortalité totale ni du risque d’événements consécutifs à une arythmie (nécessité d’un défibrillateur implantable, mort cardiaque subite).

Quelques remarques concernant les études

  • Vu la composition variable des préparations à base d’acides gras oméga-3 dans les études, la formule idéale (quantité d’acides EPA et/ou DHA) n’est pas claire.
  • Aucune donnée ne prouve actuellement que l’effet positif observé dans certaines études soit dose-dépendant.
  • Il y a des indices de biais de publication, c.-à-d. que ce sont surtout les études avec des résultats positifs qui ont été publiées.
  • Il n’est pas clair dans quelle mesure les acides gras oméga-3 offrent un bénéfice supplémentaire chez les patients qui ont eu récemment un infarctus du myocarde et qui sont déjà traités de manière optimale (dans l’étude GISSI-Prevenzione par exemple, peu de patients recevaient une statine), ou chez les patients qui ont eu antérieurement un infarctus du myocarde.
  • Il est supposé que l’effet des acides gras oméga-3 pourrait s’expliquer par un effet antiarythmique. Les résultats de la revue systématique parue dans le British Medical Journal et ceux d’une étude récente randomisée contrôlée par placebo, l’étude OMEGA- dans laquelle aucun effet n’a été observé avec les acides gras oméga-3 sur l’incidence de la mort cardiaque subite- mettent en doute cette hypothèse.

Que disent les recommandations?

  • La directive de l’ European Society of Cardiology (ESC, 2007) concernant la prévention cardiovasculaire recommande en prevention primaire et secondaire "d’encourager la consommation de poisson (de préférence du poisson gras)" et conclut que "le poisson gras et les acides gras oméga-3 pourraient diminuer les événements cardio-vasculaires fatals". La directive de l’ESC concernant l’infarctus du myocarde (2008) recommande chez les patients ayant eu un infarctus aigu du myocarde "d’augmenter la consommation d’acides gras oméga-3 (poisson gras)" et "de prendre un supplément de 1 g d’huile de poisson par jour chez les patients consommant peu de poisson gras".
  • L’avis émis dans les recommandations de NICE concernant la prévention secondaire après un infarctus du myocarde est le suivant. "Il est recommandé de prendre au moins 7 g d’acides gras oméga-3 par semaine (2 à 4 portions de poisson gras par semaine). Chez les patients qui ont eu un infarctus du myocarde au cours des trois mois précédents et qui ne souhaitent pas manger de poisson gras, on peut envisager une préparation à base d’acides gras oméga-3 (telle que celle utilisée dans l’étude GISSI-Prevenzione). Chez les patients qui ont eu un infarctus du myocarde il y a plus de trois mois, il n’est pas recommandé d’instaurer systématiquement un supplément à base d’acides gras oméga-3."

Quelques références

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