Utilisation d’antihypertenseurs pendant la grossesse


Abstract
  • Chez les femmes présentant une hypertension artérielle chronique qui sont enceintes ou qui envisagent une grossesse, il convient de revoir le traitement: les médicaments qui agissent sur le système rénine-angiotensine (IECA, sartans, inhibiteurs de la rénine) doivent être arrêtés. Les autres antihypertenseurs peuvent être poursuivis. Chez certaines femmes présentant une hypertension artérielle légère à modérément sévère, on peut envisager de réduire progressivement la prise des médicaments antihypertenseurs ou même de l’interrompre.
  • Chez les femmes qui développent une hypertension artérielle gravidique et chez qui les valeurs tensionnelles dépassent 160/110 mmHg, un traitement antihypertenseur doit être instauré. Il n' existe par contre pas d' unanimité quant à la nécessité d' un traitement antihypertenseur chez les femmes atteintes d' une hypertension artérielle gravidique légère à modérément sévère.
  • Chez les femmes enceintes présentant une hypertension sévère, il importe en premier lieu de stabiliser la situation et d’atteindre des valeurs inférieures à 160/110 mmHg. Une baisse trop rapide et trop prononcée de la pression artérielle (pression diastolique inférieure à 80 mmHg) doit être évitée.
  • Les données disponibles ne permettent pas de préconiser un antihypertenseur en particulier, mais les médicaments qui agissent sur le système rénine-angiotensine sont contre-indiqués pendant toute la durée de la grossesse.

L’hypertension artérielle pendant la grossesse reste partout dans le monde une cause importante de morbidité et de mortalité chez la mère et chez l’enfant. Les avis concernant l’utilisation d’antihypertenseurs pendant la grossesse ont peu changé par rapport à ce qui avait été écrit dans les Folia de janvier 2005 . Le présent article propose, après quelques définitions, une mise à jour des messages-clés.


Définitions

On parle d’hypertension artérielle pendant la grossesse lorsque les valeurs tensionnelles sont respectivement égales ou supérieures à 140 mmHg pour la systolique et/ou 90 mmHg pour la diastolique. L’hypertension artérielle est classée selon son degré de gravité de "légère" à "modérément sévère" ou "sévère".

  • Hypertension artérielle légère : 140-149/90-99 mmHg
  • Hypertension artérielle modérément sévère : 150-159/100-109 mmHg
  • Hypertension artérielle sévère : ≥ 160/110 mmHg.

On distingue également "l’hypertension artérielle chronique" et "l’hypertension artérielle gravidique".

  • L’hypertension artérielle chronique : hypertension qui existait déjà avant la grossesse ou qui apparaît avant la 20e semaine de grossesse, et se maintient au moins 12 semaines après l’accouchement. L’incidence chez les femmes enceintes est d’environ 2 %.
  • L’hypertension artérielle gravidique : hypertension qui apparaît après la 20e semaine de grossesse (généralement dans la période autour de l’accouchement, parfois seulement 3 à 6 jours après l’accouchement). L’hypertension artérielle gravidique disparaît généralement dans les 6 semaines suivant l’accouchement, mais elle peut parfois persister jusqu’à 6 mois après l’accouchement. L’incidence chez les femmes enceintes est d’environ 4 à 8 %.

On parle de pré-éclampsie lorsque l’hypertension est associée à une protéinurie (> 0,3 g/24 heures), et d’ éclampsie lorsque l’hypertension est en plus associée à des convulsions et/ou un coma. Les principaux facteurs de risque de pré-éclampsie sont l’hypertension artérielle chronique, l’insuffisance rénale chronique, l’hypertension artérielle lors d’une grossesse précédente, un diabète de type 1 ou de type 2, et les maladies auto-immunes (telles que le lupus érythémateux disséminé).


Risques de l’hypertension

L’hypertension artérielle, surtout lorsque la pression atteint ou dépasse 160/110 mmHg et en présence d’une pré-éclampsie, peut provoquer des complications graves:

  • chez la mère, principalement le syndrome HELLP – association d’une hémolyse, d’une élévation des enzymes hépatiques et d’une thrombopénie –, un hématome rétroplacentaire, un oedème pulmonaire, une insuffisance rénale aiguë, un accident vasculaire cérébral;
  • chez l’enfant, entre autres un retard de croissance intra-utérin, une naissance prématurée, rarement la naissance d’un enfant mort-né.

Une pression artérielle dépassant 160/100 mmHg nécessite une assistance spécialisée immédiate, en particulier lorsqu’elle est associée à une protéinurie.

Toutes les femmes enceintes hypertendues doivent être suivies de près et nécessitent un contrôle régulier de la pression artérielle et de la protéinurie et, selon la gravité de l’hypertension artérielle et la présence d’une pré-éclampsie, un contrôle des fonctions rénales et hépatiques, ainsi que de l’équilibre électrolytique et de la formule sanguine.


Efficacité des antihypertenseurs pendant la grossesse

  • Chez les femmes enceintes présentant une hypertension artérielle légère à modérément sévère, les antihypertenseurs empêchent la progression vers une hypertension artérielle sévère. Chez les femmes enceintes présentant une hypertension artérielle sévère, ils permettent généralement un contrôle satisfaisant de la pression artérielle.
  • On ne dispose pas de données permettant de se prononcer au sujet de l’effet des antihypertenseurs sur l’apparition de complications chez la mère et l’enfant.

Valeurs tensionnelles cibles

  • On recommande généralement des valeurs tensionnelles cibles inférieures à 160/110 mmHg; chez les femmes présentant une atteinte organique, on recommande des valeurs cibles plus basses, à savoir jusqu’à 140/90 mmHg. En cas d’hypertension artérielle sévère, il importe en premier lieu de stabiliser la situation et d’atteindre des valeurs tensionnelles inférieures à 160/110 mmHg.
  • Une baisse trop rapide et trop prononcée de la pression artérielle (pression diastolique inférieure à 80 mmHg) doit être évitée. Il est suggéré que les antihypertenseurs pourraient accroître le risque d’un retard de croissance intra-utérin; il se pourrait que ce risque soit propre aux β-bloquants (les preuves proviennent principalement d’une étude avec l’aténolol), mais on suppose que l’hypertension elle-même ou une baisse trop prononcée de la pression artérielle peuvent également avoir un rôle, indépendamment de l’antihypertenseur utilisé.

Hypertension artérielle chronique

  • Chez les femmes atteintes d’une hypertension artérielle préexistante qui sont enceintes ou qui envisagent une grossesse, et qui sont déjà traitées par des antihypertenseurs, il convient de revoir le traitement. Les médicaments agissant sur le système rénine-angiotensine (IECA, sartans, inhibiteurs de la rénine) sont contre-indiqués pendant toute la durée de la grossesse (voir aussi " Note "). En ce qui concerne les autres antihypertenseurs, il n’y a pas de preuves manifestes d’effets néfastes sur le foetus, mais l’expérience, en particulier pendant le premier trimestre de la grossesse, est limitée.
  • Chez les femmes atteintes d’une hypertension artérielle préexistante légère à modérément sévère, on peut envisager de diminuer progressivement le traitement (diminution de la dose voire arrêt complet, en fonction de la pression artérielle et de la situation clinique). Chez les femmes présentant une atteinte organique, la diminution de la posologie ou l’arrêt du traitement impose la plus grande prudence.

Hypertension artérielle gravidique

  • Un traitement antihypertenseur doit certainement être instauré chez les femmes enceintes présentant une hypertension artérielle sévère; par contre, il n’existe pas de consensus quant à la nécessité d’un traitement antihypertenseur chez les femmes enceintes présentant une hypertension artérielle légère à modérément sévère. Un suivi strict s’avère toutefois nécessaire, et en présence de facteurs de risque tels qu’une insuffisance rénale, un traitement antihypertenseur doit être instauré plus rapidement.
  • Les données disponibles ne permettent pas de préconiser un antihypertenseur en particulier comme premier choix.
    • Les IECA, les sartans et les inhibiteurs de la rénine sont contre-indiqués pendant toute la durée de la grossesse (voir " Note ").
    • Plusieurs sources proposent un β-bloquant (le labétalol étant le plus documenté) comme premier choix. L’utilisation d’un β-bloquant peu de temps avant l’accouchement peut induire une bradycardie, une hypotension et une hypoglycémie chez le nouveau-né. [N.d.l.r.: seul le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP, anciennement la notice scientifique) de la spécialité à base de labétalol (Trandate®) mentionne spécifiquement comme indication: " Hypertension gravidique au cours des deuxième et troisième trimestres de la grossesse "].
    • Comme alternative (par ex. lorsqu’un β-bloquant est contre-indiqué), on propose principalement un antagoniste du calcium (la préparation de nifédipine à libération prolongée et la nicardipine étant les plus documentées).
    • Concernant l’utilisation de diurétiques, les avis sont divergents: la plupart des sources déconseillent formellement leur utilisation pendant la grossesse (étant donné qu’ils provoquent une diminution de la volémie), tandis que d’autres sources estiment que les diurétiques peuvent être utilisés de manière sûre. Dans les situations où la perfusion utéro-placentaire est déjà diminuée (pré-éclampsie et retard de croissance intra-utérine), les diurétiques doivent certainement être évités.
    • La méthyldopa est encore proposée par certains pendant la grossesse, et ce plutôt pour des raisons historiques et sur base de la large expérience en période de grossesse (y compris au cours du premier trimestre). Des études comparatives ont révélé que les effets indésirables chez la mère étaient plus fréquents avec la méthyldopa (en particulier des vertiges, de la somnolence, des vomissements, des troubles de la fonction hépatique) qu’avec les β-bloquants.
  • En cas d’hypertension artérielle sévère, un traitement antihypertenseur par voie intraveineuse peut s’avérer nécessaire.

Note

Les IECA, et par extrapolation les sartans et les inhibiteurs de la rénine, sont absolument contre-indiqués pendant le deuxième et le troisième trimestre de la grossesse en raison du risque d’apparition chez le foetus d’une insuffisance rénale, d’une anurie, d’une hypotension, d’un oligo- hydramnios, d’une hypoplasie pulmonaire et d’autres anomalies morphologiques. En ce qui concerne l’utilisation d’IECA durant le premier trimestre de la grossesse, des études observationnelles rapportent aussi bien des signaux d’un effet tératogène [voir les Folia d' août 2006 ] que des données rassurantes. Les résultats d’une étude de cohorte rétrospective menée récemment s' ajoutent à ces données rassurantes [ Brit Med J 2011; 343: d5931(doi: 10.1136/bmj.d5931) , avec un éditorial Brit Med J : d6667(doi: 10.1136/bmj.d6667) ]. L’incidence des anomalies congénitales (entre autres au niveau du coeur) observée dans cette étude n’était pas plus élevée pour les IECA que pour beaucoup d’autres antihypertenseurs (entre autres des β-bloquants et des diurétiques; les femmes traitées par des sartans étaient exclues). Par ailleurs, l’incidence des anomalies congénitales ne différait pas chez les femmes hypertendues bénéficiant d’un traitement antihypertenseur par rapport aux femmes hypertendues qui n’en recevaient pas. Selon les investigateurs, ceci pourrait indiquer que l’hypertension elle-même est liée à un risque accru d’anomalies congénitales.


Quelques références

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