Antibiothérapie prophylactique en cas d’intervention dentaire: recommandations récentes


Abstract
  • L’attention a déjà été attirée précédemment dans les Folia sur le fait que les recommandations concernant l’antibiothérapie prophylactique de l’endocardite infectieuse et de l’infection de prothèses articulaires dans le cadre d’interventions dentaires sont devenues de plus en plus restrictives ces dernières années. Le présent article propose une mise à jour.
  • Les interventions dentaires jouent probablement un rôle moins important dans l’apparition d’une endocardite infectieuse ou d’une infection de dispositifs médicaux (p.ex. des prothèses articulaires), que les gestes routiniers comme le brossage des dents ou même la mastication, en particulier en cas de mauvaise hygiène buccale. Il existe très peu de preuves selon lesquelles une prophylaxie antibactérienne diminuerait le risque d’endocardite. En raison des conséquences graves de l’endocardite infectieuse, la plupart des directives recommandent néanmoins, dans un nombre limité de cas, une antibiothérapie prophylactique lors d’interventions dentaires. Cela concerne uniquement les patients présentant des anomalies cardiaques associées à un risque élevé d’endocardite à pronostic défavorable, et ce uniquement en cas d’intervention dentaire impliquant une manipulation de la gencive ou de la muqueuse de la région périapicale, ou en cas de perforation de la muqueuse buccale.
  • Chez les porteurs d’une prothèse articulaire, une antibiothérapie prophylactique n’est pas systématiquement recommandée en cas d’intervention dentaire.
  • En prévention d’une endocardite infectieuse ou d’une infection de dispositifs médicaux, les meilleurs mesures consistent en des soins bucco-dentaires quotidiens optimaux et des contrôles et traitements dentaires réguliers.

Généralités: bactériémie et interventions dentaires

  • Une bactériémie répétée consécutive à des gestes routiniers (tels que le brossage des dents, le nettoyage avec du fil dentaire, la mastication) associés à une mauvaise hygiène buccale, joue probablement un rôle plus important dans l’apparition de l’endocardite infectieuse et d’infections des dispositifs médicaux (tels que prothèses articulaires, stents) que des interventions dentaires ou au niveau de la cavité buccale. On estime que l’exposition totale à une bactériémie sur une période d’un an par des gestes routiniers peut être mille à un million de fois plus importante à celle liée à une seule extraction dentaire. Une hygiène buccale optimale continue, par exemple le brossage régulier des dents et un contrôle dentaire régulier (au moins une fois par an), est dès lors très importante pour diminuer le degré de bactériémie consécutive à des gestes routiniers.
  • Il ressort d’études que la plupart des interventions dentaires sont associées à une bactériémie transitoire; un effet protecteur d’une antibiothérapie prophylactique par voie systémique sur l’incidence de la bactériémie après l'intervention n’a pas été clairement démontré. Il n’a pas non plus été démontré que la prophylaxie soit en mesure d’empêcher l’apparition d’une endocardite ou d’autres infections cliniquement manifestes, telles que l’infection d’une prothèse articulaire. Le présent article discute de la place de l’antibiothérapie prophylactique en cas d’intervention dentaire. Il s’agit d’une mise à jour des articles sur l’antibiothérapie prophylactique de l’endocardite infectieuse [ Folia de juin 2008 et février 2010 ] et sur l’antibiothérapie prophylactique en cas de prothèses articulaires [ Folia d' août 2001 et décembre 2001 ].
  • Sur base des données actuelles, il semble peu probable que les antiseptiques locaux (p.ex. bains de bouche) soient efficaces pour diminuer de manière appréciable la fréquence, la gravité et la durée de la bactériémie consécutive à une intervention dentaire.

Endocardite infectieuse

  • Les preuves quant à l’efficacité des antibiotiques dans la prévention de l’endocardite infectieuse consécutive à des interventions dentaires sont très faibles et il est peu probable que des études viennent renforcer ces données, en raison entre autres de la faible incidence de cette affection et des objections d’ordre éthique à la réalisation d’une étude contrôlée par placebo.
  • Etant donné ce manque de preuves, les auteurs de la directive britannique du NICE1 ont conclu en 2008 qu’une antibiothérapie prophylactique n’est pas systématiquement recommandée en cas d’intervention dentaire. Les arguments suivants ont été avancés: (1) il n’y a pas de lien prouvé entre les interventions dentaires et l’apparition d’une endocardite; (2) le risque de bactériémie associé au brossage des dents est beaucoup plus grand que celui associé aux interventions dentaires; (3) l’efficacité clinique de l’antibiothérapie prophylactique n’a pas été démontrée, et (4) l’antibiothérapie prophylactique peut engendrer une anaphylaxie (parfois fatale) et son rapport coût/efficacité n’est pas favorable. La directive de NICE se distingue ici nettement des autres directives.
  • Les autres directives reconnaissent également que l’antibiothérapie prophylactique systématique est peu étayée, mais elles affirment par ailleurs que rien ne prouve que la prophylaxie ne soit pas utile, l’absence de preuves d’efficacité (absence of evidence) ne signifiant pas nécessairement qu’un manque d’efficacité ait été prouvé (evidence of absence). Vu les conséquences graves de l’endocardite infectieuse, ces directives, entre autres celles de l’American Heart Association2, l’European Society of Cardiology3, la NHG4 aux Pays-Bas et le BAPCOC5 en Belgique, considèrent que, lors de certaines interventions dentaires, une antibiothérapie prophylactique est néanmoins recommandée. La prophylaxie est uniquement recommandée chez les patients présentant des anomalies cardiaques associées à un risque élevé d’endocardite infectieuse à pronostic défavorable: les " patients à risque ", voir tableau 1.
  • D’après ces recommandations, la prophylaxie est recommandée chez ces patients à risque lors de toute intervention dentaire impliquant une manipulation de la gencive ou de la muqueuse de la région périapicale, et en cas d'effraction de la muqueuse buccale. Le choix de l’antibiotique et de la dose à utiliser, tel que recommandé par le BAPCOC en 2012, est mentionné dans le tableau 2. Ce tableau remplace les recommandations qui avaient été formulées dans les Folia de juin 2008 .
  • Les interventions pour lesquelles une antibiothérapie prophylactique n’est pas justifiée sont les suivantes: injection pour anesthésie locale dans une muqueuse non infectée; radiographie dentaire; pose d’un appareil orthodontique ou d’une prothèse amovible; ajustement d’appareils orthodontiques; pose de brackets orthodontiques; perte des dents de lait; saignement dû à un traumatisme des lèvres ou de la muqueuse buccale.

Tableau 1. Anomalies cardiaques associées à un risque élevé d’endocardite infectieuse à pronostic défavorable2-5

  • Prothèses valvulaires, tant biologiques que mécaniques, y compris les greffes homologues, et après rétablissement chirurgical de la valve.
  • Antécédents d’endocardite infectieuse.
  • Les malformations cardiaques congénitales suivantes:
    • malformations cardiaques cyanogènes congénitales non rétablies, y compris shunts palliatifs et communications;
    • malformations cardiaques congénitales complètement rétablies au moyen de matériel ou d’appareil prothétique, mis en place soit par chirurgie soit par intervention endovasculaire: seulement dans les 6 premiers mois suivant la procédure;
    • malformations cardiaques congénitales rétablies avec défaut résiduel à proximité du volet ou de l’appareil prothétique.
  • Valvulopathie après transplantation cardiaque2,4,5 (depuis 2009, n’est plus recommandé par l’European Society of Cardiology3, voir Folia de février 2010).

Tableau 2. Schéma d’antibiothérapie prophylactique en cas d’intervention dentaire

Il s’agit chaque fois d’une dose unique, administrée 30 à 60 minutes avant l’intervention5.

Patients non allergiques aux pénicillines

Patients présentant une allergie à la pénicilline non IgE-médiée *

  • Premier choix: amoxicilline par voie orale
    • Adulte: 2 g
    • Enfant: 50 mg/kg (max. 2 g)
  • Alternative: ampicilline par voie i.m. ou i.v.
    • Adulte: 2 g
    • Enfant: 50 mg/kg
  • Céfalexine par voie orale
    • Adulte: 2 g
    • Enfant: 50 mg/kg
  • Céfadroxil par voie orale
    • Adulte: 2 g
    • Enfant: 30 mg/kg

Patients présentant une allergie à la pénicilline IgE-médiée *

  • Clindamycine par voie orale (éventuellement par voie i.v. ou i.m.)
    • Adulte: 600 mg
    • Enfant: 20 mg/kg (max. 600 mg)
  • Clarithromycine ou azithromycine par voie orale
    • Adulte: 500 mg
    • Enfant: 15 mg/kg

* Voir 11.1.1.1. dans le Répertoire


Patients porteurs de prothèses articulaires et de matériel d’ostéosynthèse

  • Aucun lien n’a jamais été démontré entre une intervention dentaire et une infection tardive de prothèse articulaire. Par ailleurs, il existe peu de preuves scientifiques selon lesquelles une antibiothérapie prophylactique avant une intervention dentaire soit en mesure de prévenir une infection de prothèse articulaire. On ne dispose que d’une seule étude cas-témoins ayant comparé des patients présentant une infection de prothèse avec un groupe-témoin: on n’a pas constaté d’augmentation du risque d’infection de la prothèse chez les personnes ayant subi une intervention dentaire (à faible risque ou à risque élevé) sans antibiothérapie prophylactique, par rapport aux personnes n’ayant pas subi d’intervention dentaire6.
  • Dans les directives les plus récentes, dont la directive commune de l’American Academy of Orthopaedic Surgeons et de l’American Dental Association (AAOS-ADA)7 et celle du Antibioticagids de l’UZ Leuven8, on affirme qu’une antibiothérapie prophylactique n’est pas requise en routine en cas d’intervention dentaire chez les patients porteurs d’une prothèse articulaire, mais on y souligne toutefois l’importance d’une bonne hygiène buccale. D’autres organismes, tels que NICE, BAPCOC ou NHG, ne se prononcent pas à ce sujet.
  • L’antibiothérapie prophylactique a probablement une place dans certaines situations à risque, telles que les interventions dans une zone infectée (abcès, infection de poche profonde) ou chez les patients immunodéprimés; ceci n’a toutefois pas fait l’objet d’un consensus international. Si l’on décide quand même d’administrer un traitement prophylactique, les antibiotiques mentionnés dans le tableau 2 sont à privilégier.
  • L’antibiothérapie prophylactique ne se justifie pas non plus chez les patients porteurs de matériel d’ostéosynthèse tel que plaques, vis et clous.

Patients porteurs d’autres dispositifs médicaux

L’antibiothérapie prophylactique n’est pas recommandée en cas d’intervention dentaire chez des patients porteurs d’autres dispositifs médicaux comportant du matériel étranger au corps humain, tels que des stents, des greffes vasculaires, un pacemaker ou un défibrillateur implantable4,9.


Références

1 NICE clinical guideline 64 (2008). http://guidance.nice.org.uk/CG64/Guidance/pdf/English

2 Circulation 2007; 116: 1736-54 . https://my.americanheart.org

3 Eur Heart J 2009; 30: 2369-413 . www.escardio.org

4 NHG-Farmacotherapeutische richtlijn endocarditisprofylaxe (2009): via www.nhg.org/themas/artikelen/farmacotherapeutischerichtlijnen

5 Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire- édition 2012. www.bapcoc-ambulatorycare.be

6 Huisarts Wet 2011; 54 406

7 AAOS-ADA. Prevention of orthopaedic implant infection in patients undergoing dental procedures (2012). http://www.aaos.org/research/guidelines/PUDP/dental_guideline.asp

8 UZ Leuven Antibioticagids (édition 2013). http://www.uzleuven.be/antibioticagids

9 Circulation 2010; 121 458-77