Traitement thrombolytique, anticoagulant et antiagrégant dans l’accident vasculaire cérébral ischémique aigu


Abstract

Cet article discute, sur base des études disponibles, de la place de la thrombolyse, des anticoagulants et de l’acide acétylsalicylique dans le traitement de l’accident vasculaire cérébral ischémique aigu. La thrombolyse peut améliorer le pronostic neurologique des patients, mais ce bénéfice doit être mis en balance avec le risque d’hémorragie cérébrale et le coût d’une telle prise en charge. L’administration d’acide acétylsalicylique (160 à 300 mg p.j.) et de faibles doses d’héparine non fractionnée par voie sous-cutanée dans les 48 heures suivant l’apparition des symptômes diminue le risque de récidive à court terme. L’administration de doses élevées d’héparine non fractionnée ainsi que d’héparine de faible poids moléculaire n’est pas recommandée.

La prise en charge de l’accident vasculaire cérébral suscite un intérêt particulier et a fait l’objet de plusieurs études cliniques. Avant d’instaurer un traitement, il est important de faire la distinction entre une ischémie cérébrale et une hémorragie cérébrale. Cet article discute de la prise en charge de l’accident vasculaire cérébral ischémique aigu et situe, sur base des études valables disponibles, la place de la thrombolyse, des anticoagulants et des antiagrégants.


Traitement thrombolytique

L’administration d’un thrombolytique (streptokinase, urokinase, altéplase) par voie intraveineuse peut améliorer le pronostic des patients ayant fait un accident vasculaire cérébral ischémique mais comporte certains risques, notamment d’hémorragie cérébrale. Parmi les thrombolytiques, l’intérêt se porte surtout sur l’altéplase (activateur tissulaire recombinant du plasminogène ou rt-PA). Les résultats de trois études randomisées contrôlées sont repris ici.

  • L’étude NINDS, réalisée aux Etats-Unis par le National Institute of Neurological Disorders and Stroke, a comparé l’altéplase (0,9 mg/kg) et un placebo chez 624 patients [ N Engl J Med 333 : 1581-1587(1995) ]. Le traitement fut instauré dans les 3 heures suivant l’apparition des symptômes. Les résultats montrent, par rapport au placebo, une augmentation de 13% des chances de récupération complète après 3 mois avec l’altéplase. Le nombre d’hémorragies cérébrales était de manière statistiquement significative plus élevé dans le groupe traité par altéplase (6,4% versus 0,6% dans le groupe placebo) mais la mortalité était comparable (17% versus 21%).
  • Une première étude réalisée en Europe, l’European Cooperative Acute Stroke Study ou ECASS I, a comparé l’altéplase (1,1mg/kg) et un placebo chez 620 patients [ JAMA 274 : 1017-1025(1995) ]. Le traitement fut instauré dans les 6 heures suivant l’apparition des symptômes. Les résultats n’ont pas montré de différence statistiquement significative entre l’altéplase et le placebo en ce qui concerne l’amélioration de l’état neurologique après 3 mois. Une analyse ultérieure des résultats, après exclusion de patients erronément inclus dans l’étude, suggère toutefois un bénéfice statistiquement significatif pour l’altéplase. Le nombre d’hémorragies cérébrales (19,8% sous altéplase versus 6,5% sous placebo) et la mortalité étaient plus élevés dans le groupe traité par altéplase. Dans cette étude, les doses d’altéplase administrées étaient supérieures par rapport à l’étude NINDS (1,1 mg/kg versus 0,9 mg/kg).
  • L’étude ECASS II a comparé l’altéplase (0,9 mg/kg) et un placebo chez 800 patients [ Lancet 352 : 1245-1251(1998) ]. Le traitement était instauré dans les 6 heures suivant l’apparition des symptômes. Il n’y eut aucune différence significative entre l’altéplase et le placebo en ce qui concerne l’amélioration de l’état neurologique après 3 mois. Les hémorragies étaient plus fréquentes dans le groupe traité par l’altéplase (8,8% versus 3,3% sous placebo) mais, contrairement à l’étude ECASS I, il n’y avait pas de différence statistiquement significative de mortalité (10,5% versus 10,7% sous placebo).

Il ressort d’une méta-analyse de ces trois études randomisées, mais non en double aveugle, que l’altéplase améliore de manière statistiquement significative les chances de récupération après un accident vasculaire cérébral. La chance de reprendre une vie indépendante augmentait d’environ 8% [intervalle de confiance à 95%: 4,3 -12,8%] après un traitement par l’altéplase, sans différence significative de la mortalité, mais avec un risque accru d’hémorragie cérébrale. L’instauration d’un tel traitement implique une hospitalisation rapide (de préférence dans les 3 heures suivant l’apparition des symptômes), dans un service spécialisé (&quotstroke unit&quot) répondant à un certain nombre de critères en ce qui concerne le diagnostic et la prise en charge thérapeutique de l’accident vasculaire cérébral.

Par ailleurs, les résultats d’une étude randomisée, l’étude PROACT II JAMA 282 : 2003-2011(1999) ] montrent que l’administration intra-artérielle d’un thrombolytique peut être bénéfique en cas d’occlusion de l’artère cérébrale moyenne mais on ne dispose pas encore d’études comparatives avec la thrombolyse par voie intraveineuse.


Traitement anticoagulant

Un traitement par héparine par voie intraveineuse suivi d’un antagoniste de la vitamine K est administré chez de nombreux patients ayant fait un accident vasculaire cérébral. On ne dispose cependant pas de données suffisantes permettant d’affirmer l’efficacité d’un tel traitement. De plus, en raison du risque d’hémorragie cérébrale, il n’existe pas de consensus sur le meilleur moment pour instaurer le traitement anticoagulant.


Héparine non fractionnée

Une étude randomisée ayant inclus 19.435 patients, l’étude I.S.T (International Stroke Trial), a analysé l’effet de l’héparine non fractionnée, administrée par voie sous-cutanée dans les 48 heures suivant l’apparition des symptômes, à la dose de 5.000 ou de 12.500 UI deux fois par jour, en association ou non à 300 mg d’acide acétylsalicylique [ Lancet 349 : 1569-1581(1997) ]. Les résultats n’ont montré aucune différence significative entre les différents groupes en ce qui concerne la mortalité à 14 jours ainsi que la mortalité et le degré de dépendance à 6 mois. Avec les doses élevées d’héparine (12.500 UI), une diminution du risque de récidive dans les 14 jours a été observée mais il existait par contre un risque accru de complications hémorragiques. Avec les faibles doses d’héparine (5.000 UI), une diminution significative de 1,2% du risque de mortalité et de récidive non fatale dans les 14 jours a été observée, avec un risque de complications hémorragiques comparable à celui de l’acide acétylsalicylique seul.


Héparines de faible poids moléculaire

Trois études ont analysé l’efficacité des héparines de faible poids moléculaire dans le traitement de l’accident vasculaire cérébral ischémique. Les résultats encourageants de la première étude [ N Engl J Med 333 : 1588-1593(1995) ] n’ont pas été confirmés par les deux autres études à plus large échelle [ Cerebrovasc Dis 8 : Suppl. 4, A64(1998) ; JAMA 279 : 1265-1272(1998) ].


Acide acétylsalicylique

  • Dans l’International Stroke Trial, l’acide acétylsalicylique (à raison de 300 mg p.j. dans les 48 heures suivant l’apparition des symptômes) n’a pas entraîné de différence significative en ce qui concerne la mortalité à 14 jours ainsi que la mortalité et la perte d’indépendance à 6 mois, mais bien une diminution statistiquement significative du taux de récidive à deux semaines (2,8% versus 3,9% sans acide acétylsalicylique).
  • L’étude CAST (Chinese Acute Stroke Trial) a analysé l’effet de l’acide acétylsalicylique à la dose de 160 mg chez plus de 20.000 patients [ Lancet 349 : 1641-1649(1997) ]. Les résultats montrent que, par rapport au placebo, l’acide acétylsalicylique diminue faiblement mais significativement la mortalité (3,3% versus 3,9%) ainsi que le risque de récidive après un mois (1,6 versus 2,1%).

Une analyse ultérieure des résultats de ces deux études montre que 100 patients devraient être traités par l’acide acétysalicylique pour prévenir un décès ou une récidive à court terme.


Conclusion

Les résultats des études disponibles montrent que la thrombolyse peut améliorer le pronostic neurologique des patients ayant fait un accident vasculaire cérébral ischémique, mais un tel traitement comporte un risque d’hémorragie cérébrale et implique une prise en charge rapide en milieu spécialisé ("stroke unit&quot). Des études ultérieures s’avèrent nécessaires avant d’envisager cette prise en charge à grande échelle. L’administration d’acide acétylsalicylique à la dose de 160 à 300 mg p.j. ainsi que de faibles doses d’héparine non fractionnée diminue le risque de récidive à court terme. L’administration d’héparine non fractionnée à doses élevées et d’héparine de faible poids moléculaire n’est pas recommandée.

D’après

  • J. Stam et al.: Trombolyse voor het herseninfarct: het einde van het begin. Ned Tijdschr Geneeskd 144 : 1028-1032(2000)
  • T. Brott et al.: Treatment of acute ischemic stroke. N Engl J Med 343 : 710-722(2000)