Chimioprévention du cancer colorectal


Abstract

Les résultats d’études épidémiologiques récentes suggèrent que certaines substances diminuent le risque de cancer colorectal, notamment chez les personnes génétiquement prédisposées. Il s’agit de l’acide acétylsalicylique, des antiinflammatoires non stéroïdiens, de suppléments en acide folique ou en calcium, du traitement hormonal de substitution. Tant que l’effet protecteur de ces substances n’a pas été confirmé par des études randomisées contrôlées par placebo, elles ne peuvent être administrées de manière systématique.

Des études épidémiologiques ont montré qu’une alimentation riche en fruits et légumes est associée à un moindre risque de cancer colorectal. Des études récentes suggèrent que l’usage prolongé de certaines substances pourrait aussi prévenir l’apparition de polypes adénomateux et leur transformation maligne.


Acide acétylsalicylique et autres antiinflammatoires non stéroïdiens

L’acide acétylsalicylique et d’autres antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont les substances les plus étudiées dans la chimioprévention du cancer colorectal.

  • Des études randomisées contrôlées par placebo chez des patients atteints d’une polypose adénomateuse familiale ont montré une diminution du nombre de polypes chez les patients traités par le sulindac pendant 4 à 9 mois ou par le célécoxib, un AINS COX-2 sélectif, pendant 6 mois. Cet effet semble cependant transitoire et on ne dispose pas de données quant aux effets à long terme d’une telle chimioprévention.
  • En ce qui concerne la population générale, plusieurs études de cohortes ont montré que l’acide acétylsalicylique, pris régulièrement à une dose d’environ 300 mg p.j., diminue le risque de cancer colorectal, mais ces études n’apportent pas de précision quant à la dose minimale efficace et la durée du traitement. La seule étude randomisée contrôlée par placebo n’a pas mis en évidence de différence significative entre le groupe sous acide acétylsalicylique et celui sous placebo, mais la dose d’acide acétylsalicylique utilisée et la durée d’administration étaient moindres que dans les études précitées.

Les données relatives à l’utilisation d’AINS autres que l’acide acétylsalicylique sont limitées. Une étude rétrospective à large échelle a montré un effet protecteur des AINS sur le risque de cancer colorectal, mais l’utilisation concomitante d’acide acétylsalicylique dans cette étude n’a pas été pris en compte de manière adéquate.


Acide folique

Des études épidémiologiques ont montré qu’une alimentation riche en acide folique était associée à un risque moindre de cancer colorectal, tandis qu’une alimentation pauvre en acide folique semblait entraîner un risque accru.

Dans une étude rétrospective ayant inclus plus de 89.000 femmes, l’administration de suppléments d’acide folique a eu un effet protecteur contre le cancer colorectal; la diminution du risque fut la plus importante chez les femmes qui avaient pris des doses élevées d’acide folique (plus de 400 μg p.j.) mais elle ne devint statistiquement significative qu’après 15 ans d’utilisation. L’effet protecteur de l’acide folique semble le plus marqué chez les personnes génétiquement prédisposées au cancer colorectal.


Calcium

Dans plusieurs études cas-témoins et de cohortes, il a été observé qu’une alimentation riche en calcium, ou la prise de suppléments de calcium, est associée à un risque moindre de cancer colorectal, mais cette relation n’a pas été statistiquement significative dans toutes les études.

Dans une étude randomisée contrôlée par placebo publiée récemment, ayant inclus 930 patients avec des antécédents d’adénomatose colorectale, une réduction faible mais significative du risque de formation de nouveaux adénomes a été observée chez les patients ayant pris des suppléments de calcium (1,2 g p.j.). Cet effet protecteur fut observé un an déjà après le début du traitement.


Traitement hormonal de substitution

Deux études de cohortes ainsi que des études cas-témoins ont montré un effet favorable de la substitution hormonale sur le risque de cancer colorectal. Cet effet disparaissait cependant dans les 5 ans après l’arrêt du traitement. Deux méta-analyses récentes confirment une diminution de 20% du risque de cancer colorectal avec un traitement hormonal de substitution.


Vitamines, antioxydants et fibres

Une alimentation riche en fruits et légumes est associée à un risque moindre de cancer colorectal; cet effet serait dû à leur contenu en acide folique, en vitamines possédant des propriétés antioxydantes, et en fibres. Des études de cohortes à large échelle n’ont cependant montré aucun effet protecteur de suppléments en β-carotène ou en vitamines A,C, D ou E sur le risque de cancer colorectal.

Les résultats d’études épidémiologiques et d’études cas-témoins ont également suggéré un effet protecteur d’un régime riche en fibres sur le cancer colorectal, mais cet effet n’a pas été confirmé par des études contrôlées.


Conclusion

Des observations récentes suggèrent que l’acide acétylsalicylique, d’autres AINS, des suppléments en acide folique et en calcium, ainsi qu’un traitement hormonal de substitution peuvent être bénéfiques dans la prévention du cancer colorectal. Néanmoins, l’application systématique de ces mesures n’est pas recommandée tant que leur bénéfice sur le risque de cancer colorectal n’a pas été confirmé par des études randomisées contrôlées en double aveugle. Par ailleurs, le bénéfice d’un tel traitement doit toujours être mis en balance avec le risque d’effets indésirables, en particulier pour l’acide acétylsalicylique et les AINS. La chimioprévention ne remplace en aucun cas les examens de dépistage, ni les mesures visant à limiter les facteurs de risque connus. Ainsi, une consommation moindre de viande, l’arrêt du tabagisme, la perte de poids et des exercices physiques appropriés sont toujours recommandés.

D’après P. Janne en R. Mayer:: Chemoprevention of colorectal cancer. N Engl J Med 342 : 1960-1968(2000)

Note de la rédaction

Il semblerait que l’effet protecteur des AINS dans le cancer colorectal chez des personnes à risque soit lié à la présence d’un certain gène chez ces patients [ Science 290 : 989-992(2000) ].