Anti-inflammatoires non stéroïdiens dans la douleur


Abstract

Les AINS sont utilisés dans différents types de douleurs: douleurs dues à une colique néphrétique, à des métastases osseuses, douleurs neuropathiques, douleurs dentaires, et douleurs articulaires provoquées par la goutte, une arthrite rhumatoïde ou de l’arthrose. Dans ces indications, les AINS ne sont cependant pas toujours le premier choix. Ils sont en effet souvent à l’origine d’effets indésirables (p.ex. rénaux, gastro-intestinaux), pouvant être graves, surtout chez les personnes âgées. Les risques et les bénéfices de ces médicaments doivent dès lors toujours être mis en balance. En présence de douleurs banales telles des douleurs arthrosiques ou des douleurs dentaires, il est préférable d’essayer d’abord de soulager la douleur par du paracétamol; lorsque celui-ci n’est pas suffisamment efficace, ou en présence aussi d’une inflammation, un AINS peut toutefois être administré. La dose de l’AINS doit être la plus faible possible, et la durée du traitement limitée.

Les AINS sont fréquemment utilisés pour soulager la douleur, p.ex. dans la colique néphrétique [voir Folia de novembre 2003 ], les douleurs neuropathiques [voir Folia de décembre 2001 ], les métastases osseuses, les douleurs dentaires, la dysménorrhée [voir Folia de septembre 2003 ], et les douleurs articulaires provoquées par la goutte [voir Folia de septembre 1996et Fiche de transparence de janvier 2004], l’arthrite rhumatoïde ou de l’arthrose [voir Folia de septembre 2001 ]. Il semble que les AINS soient souvent utilisés dans des indications pour lesquelles d’autres médicaments tel le paracétamol pourraient donner d’aussi bons résultats avec un risque moindre d’effets indésirables. On a aussi l’impression que les AINS sont parfois utilisés à des doses plus élevées que celles réellement nécessaires. Cet article propose un rappel des effets indésirables des AINS et quelques considérations sur l’emploi des AINS dans la douleur.


Risques des AINS

Les effets indésirables des AINS sont résumés dans le Répertoire Commenté des Médicaments [édition 2004, p. 135]. Certains points sont repris ici de façon plus détaillée.

  • Les effets indésirables au niveau du système gastro-intestinal consistent en des troubles gastro-intestinaux et des lésions de la muqueuse gastro-intestinale allant jusqu’à l’ulcération, des saignements et une perforation. Ces effets peuvent survenir quelle que soit la voie d’administration. Les facteurs de risque des complications sévères (p.ex. saignements et perforation) sont l’âge avancé, des antécédents d’ulcère gastro-duodénal, l’emploi de plusieurs AINS (y compris l’acide acétylsalicylique à faibles doses en prévention cardio-vasculaire), un traitement concomitant par des anticoagulants et/ou des corticostéroïdes, et probablement aussi la consommation d’alcool et le tabagisme.

    Diverses études et analyses de notifications spontanées d’effets indésirables suggèrent que certains AINS non COX sélectifs, surtout l’ibuprofène, ont un risque moindre d’effets indésirables gastro-intestinaux que les autres AINS non COX sélectifs, mais ceci est probablement dû en partie au fait que l’ibuprofène est utilisé à de faibles doses. Ces études montrent également qu’au plus élevée est la dose de l’AINS, au plus grand est le risque.

    Dans certaines études, mais pas toutes, les effets indésirables gastro-intestinaux (y compris l’ulcère compliqué) étaient moins fréquents avec les AINS COX-2 sélectifs qu’avec les AINS non sélectifs [voir Folia de juillet 2000 , juillet 2001 , et septembre 2002 ]. Dans une étude cas-témoins récente, le risque de saignements gastro-intestinaux n’était pas plus faible avec les AINS COX-2 sélectifs qu’avec les molécules non sélectives [ Drug Safety 27 : 411-420(2004) ].

  • Des effets indésirables au niveau des reins (diminution de la fonction rénale, rétention sodique, ) peuvent survenir même lors d’un usage occasionnel, avec comme conséquences possibles une insuffisance rénale, des oedèmes, une augmentation de la tension artérielle, et l’apparition ou l’aggravation d’une insuffisance cardiaque. De tels effets apparaissent surtout chez les patients à risque tels les patients présentant une insuffisance cardiaque, une hypovolémie (p.ex. sous diurétiques), une cirrhose ou des antécédents d’insuffisance rénale (attention: la fonction rénale est toujours diminuée chez les personnes âgées). Etant donné leur effet au niveau rénal, les AINS peuvent diminuer l’effet antihypertenseur des diurétiques, des β-bloquants et des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), augmenter les concentrations plasmatiques de lithium et de méthotrexate, et renforcer la néphrotoxicité de la ciclosporine. Les données actuelles suggèrent un même risque avec les AINS COX-2 sélectifs [voir Folia de juillet 2001 ].

    Une étude rétrospective de cohorte récente, réalisée chez des personnes âgées, a montré qu’un traitement pour une insuffisance cardiaque ou une hypertension devait être instauré plus fréquemment chez les patients traités par des AINS (sélectifs ou non sélectifs) que chez les patients ne prenant pas d’AINS; le risque d’hospitalisation en raison d’une insuffisance cardiaque était également plus élevé chez les patients qui prenaient un AINS non sélectif ou du rofécoxib, mais pas chez ceux traités par du célécoxib (les AINS COX-2 sélectifs récemment introduits étoricoxib et valdécoxib ne faisaient pas partie de cette étude) [ Lancet 363 : 1751-1756(2004) ].

  • Les AINS peuvent provoquer des réactions d’hypersensibilité pouvant être graves (y compris chocs anaphylactiques, oedème de Quincke). Les personnes qui présentent une "hypersensibilité à l’aspirine" ("syndrome de Samter", avec entre autres un bronchospasme) sont souvent également hypersensibles aux AINS. Les AINS COX-2 sélectifs ne semblent pas causer de problèmes chez bon nombre de patients présentant une hypersensibilité à l’aspirine, mais des réactions croisées sont également rapportées avec ces médicaments. [Voir aussi Folia de mai 2004 ].
  • Les AINS non sélectifs inhibent l’agrégation plaquettaire, ce qui pourrait augmenter le risque de saignements chez les patients sous antithrombotiques; pour les anticoagulants oraux, ceci est peut-être dû aussi au fait que certains AINS les déplacent de leurs sites de liaison aux protéines plasmatiques. Les AINS COX-2 sélectifs n’influencent pas l’agrégation plaquettaire, mais ils diminuent toutefois- comme les AINS non sélectifs- la synthèse vasculaire des prostacyclines. Il est dès lors possible d’un point de vue théorique que les AINS COX-2 sélectifs augmentent le risque d’ accidents thrombotiques. Il est en effet suggéré, mais pas prouvé, que le rofécoxib entraîne un risque accru d’accidents cardio-vasculaires.
  • Tous les AINS, mais probablement surtout le sulindac, le diclofénac et le nimésulide, peuvent provoquer une atteinte hépatique [voir Folia d’ août 2002 ].
  • Il est possible que les AINS diminuent la fertilité [voir Folia de mai 2002 ].
  • Dans de rares cas, des réactions hématologiques et dermatologiques peuvent survenir; des réactions graves telles le syndrome de Stevens Johnson et le syndrome de Lyell ont été rapportées surtout avec les oxicams.

Quelle est la place des AINS dans la douleur ?

La décision d’utiliser un AINS dans la douleur ne peut se faire qu’après avoir mis en balance les preuves de l’efficacité dans ce type de douleur et le risque d’effets indésirables.

  • Dans l’échelle de douleur de l’OMS pour le traitement de la douleur cancéreuse, le paracétamol ou l’acide acétylsalicylique ou un AINS sont mentionnés comme première étape et, en association p.ex. avec de la codéine, comme deuxième étape. Dans le contexte des soins palliatifs, les AINS sont également utilisés contre des douleurs dues à des métastases osseuses. D’après l’expérience clinique d’experts dans le traitement de la douleur, les AINS ont une valeur ajoutée dans les douleurs osseuses, mais ceci n’a pas pu être démontré de manière convaincante dans une méta-analyse des études disponibles [ Geneesmiddelenbulletin 10 : 111-118(1998); http://www.farmaka.be/geneesfeb.pdf ].
  • En cas de douleurs banales comme celles provoquées par l’arthrose, les douleurs dentaires ou la dysménorrhée, les AINS ne sont pas un premier choix en raison de leurs effets indésirables, et on aura recours d’abord au paracétamol. Lorsque celui-ci n’est pas suffisamment efficace, ou en présence d’une inflammation- comme c’est toujours le cas par ex. dans la goutte ou dans l’arthrite rhumatoïde- un AINS peut toutefois être utilisé.
  • Dans la douleur due à une colique néphrétique, les AINS constituent le traitement de premier choix, à moins qu’une hypersensibilité connue à l’acide acétylsalicylique ou aux AINS ne soit connue. Le diclofénac, l’indométhacine et le kétorolac sont les AINS les mieux étudiés dans cette indication. [Voir Folia de novembre 2003 et des articles récents dans le N Engl J Med 350 : 684-693(2004) et le Brit Med J 328 : 1401-1410(2004) ].
  • Dans les douleurs neuropathiques, les AINS comme le paracétamol, ne sont souvent pas assez efficaces, et d’autres substances telles des analgésiques narcotiques ou certains antidépresseurs et antiépileptiques doivent être utilisées [voir Folia de décembre 2001 ].

Quelques commentaires

  • Lors de l’emploi d’un AINS comme antidouleur, la dose doit être aussi faible que possible, et la durée du traitement aussi courte que possible. Il n’est pas prouvé que, à doses équivalentes, les AINS diffèrent entre eux quant à leur efficacité.
  • L’utilisation concomitante de plusieurs AINS doit certainement être évitée. Un traitement par l’acide acétylsalicylique à faibles doses en prévention cardio-vasculaire doit toutefois être poursuivi lors de l’utilisation d’un AINS, en particulier s’il s’agit d’un AINS COX-2 sélectif. L’association d’un AINS COX-2 sélectif à une faible dose d’acide acétylsalicylique augmenterait, à l’instar des AINS non COX sélectifs (voir plus haut), le risque de problèmes gastro-intestinaux. Des données parues ces dernières années suggèrent, mais sans preuve suffisante, que l’effet cardioprotecteur de l’acide acétylsalicylique serait contrecarré par certains AINS [ Lancet 361 : 573-574(2003) , avec éditorial 361 : 542-543(2003) ; Brit Med J 327 : 1322-1323(2003) ; Circulation 108 : 1191-1195(2003)].
  • Chez la plupart des patients, le bénéfice éventuel, mais certainement limité, des AINS COX-2 sélectifs en ce qui concerne les effets indésirables gastro-intestinaux ne compense pas leur coût plus élevé. Chez les patients avec des antécédents d’ulcère gastrique, le choix d’un AINS COX-2 sélectif peut toutefois se justifier. Une autre possibilité chez ces patients à risque est d’administrer un AINS classique en association à un inhibiteur de la pompe à protons ou au misoprostol. Il faut toutefois garder à l’esprit que même dans ces conditions, un risque d’ulcère compliqué existe encore [ N Engl J Med 347 : 2104-2110 et : 2162-2164(2002) ]. Dans tous les cas, les précautions et contre-indications des AINS en général sont également d’application pour les AINS COX-2 sélectifs.