Usage des antidépresseurs pendant la grossesse


Abstract

Pendant la grossesse, une prise en charge non médicamenteuse de la dépression est à préférer. Dans certaines circonstances, l’instauration ou la poursuite d’un traitement par des antidépresseurs peut toutefois se justifier. Il est alors important d’avoir connaissance des dernières données concernant l’efficacité et les risques des antidépresseurs pendant la grossesse: ces connaissances sont limitées. En ce qui concerne l’ efficacité, aucune étude spécifique consacrée à la femme enceinte n’a été retrouvée. Lorsque le traitement est arrêté aux alentours de la conception, il faut toutefois tenir compte du risque de récidive de la dépression. Quant aux risques, un effet tératogène ne peut être exclu pour aucun médicament; la paroxétine a récemment suscité des inquiétudes quant à un risque d’anomalies cardiaques majeures. Lors de l’utilisation d’antidépressseurs en fin de grossesse, des problèmes survenus chez le nouveau-né juste après la naissance sont décrits avec des antidépresseurs de différentes classes. La question de savoir si l’usage d’antidépresseurs par la mère influence le développement neuro-cognitif de l’enfant à long terme, reste controversée.

Dans l’article "Place des antidépresseurs dans la prise en charge de la dépression en première ligne chez l’adulte", paru dans les Folia de mars 2006 , l’attention a déjà été attirée sur le fait que des études cliniques avec des antidépresseurs n’apportent pas les preuves souhaitées d’efficacité. Ce constat vaut d’autant plus pour la prise en charge de la dépression pendant la grossesse. A notre connaissance, aucune étude spécifique n’a été réalisée sur l’efficacité des antidépresseurs dans la dépression pendant la grossesse. La dépression chez la femme enceinte représente toutefois un problème fréquent: on estime qu’environ 10 % des femmes enceintes connaissent des problèmes dépressifs. Il n’existe aucune directive univoque permettant de préciser quelles sont les femmes enceintes qui doivent être traitées par des médicaments, ni quel est l’antidépresseur de premier choix. Bien que l’on essaie dans la mesure du possible de traiter ces femmes de manière non médicamenteuse, un traitement par des antidépresseurs peut s’avérer nécessaire dans un certain nombre de cas, p. ex. en cas de tendance suicidaire, en présence de symptômes psychotiques ou lorsque les résultats d’une psychothérapie ne sont pas satisfaisants.

Lorsqu’une femme déjà traitée et bien contrôlée par des antidépresseurs prévoit ou débute une grossesse, la question se pose de savoir si le traitement doit être interrompu. La réponse à cette question n’est pas évidente: dans une étude récente (Cohen et al.) chez des femmes prévoyant une grossesse ou enceintes de maximum 16 semaines, et qui ne présentaient plus de symptômes dépressifs depuis au moins trois mois, une dépression est réapparue plus fréquemment chez les femmes qui avaient arrêté leur traitement que chez celles qui l’avaient poursuivi.

Lors de la décision d’instaurer ou de poursuivre un traitement par des antidépresseurs chez la femme enceinte, il y a lieu de s’enquérir des données actuelles concernant les risques pour l’enfant. Cet article tente de faire le point à ce sujet.


Utilisation pendant le premier trimestre

Pour aucun antidépresseur, il n’a été prouvé qu’il puisse être administré de manière sûre pendant le premier trimestre de la grossesse.

  • Pour les antidépresseurs tricycliques et apparentés, et les ISRS, les données ne sont pas suffisantes pour exclure un effet tératogène. La paroxétine a récemment suscité des inquiétudes: dans quelques études épidémiologiques, l’incidence d’anomalies majeures (surtout cardiaques) était plus élevée chez les enfants dont la mère avait pris de la paroxétine pendant le premier trimestre, que chez les enfants dont la mère avait pris un autre antidépresseur ou n’en avait pris aucun, ou par rapport à ce qui est attendu dans la population en général.
  • Avec les inhibiteurs des monoamine oxydases, il existe des suspicions quant à un effet tératogène chez l’animal, mais aussi chez l’homme. Il existe aussi avec ces médicaments un risque de crise hypertensive chez la mère.
  • Pour le lithium, il existe de fortes suspicions d’un effet tératogène chez l’homme, surtout des malformations cardiaques.

Utilisation après le premier trimestre

  • Une étude d’observation récente (étude "cas-témoins") suggère un lien entre l’usage d’ISRS après la 20ème semaine de grossesse et l’existence d’une hypertension pulmonaire chez le nouveau-né. Les données suggèrent une augmentation du risque d’un facteur 5 à 6 (10 à 12 nouveau-nés avec hypertension pulmonaire par 1.000 nouveau-nés dont la mère a pris un ISRS par rapport à une incidence de base de 2 cas par 1.000 nouveau-nés). [ N Engl J Med 2006; 354: 579-87 , avec un éditorial dans le N Engl J Med 2006; 354: 636-8 ].
  • Avec différentes classes d’antidépresseurs, des problèmes fonctionnels chez l’enfant juste après la naissance sont décrits en cas d’utilisation en fin de grossesse.
    • L’utilisation d’antidépresseurs tricycliques en fin de grossesse peut provoquer des manifestations de sevrage chez l’enfant (avec entre autres nervosité et irritabilité, et rarement des convulsions) ainsi que des effets indésirables anticholinergiques (avec hyperexcitation, troubles de la succion et, moins fréquemment, troubles du rythme cardiaque, troubles de motilité intestinale et rétention urinaire).
    • Plus récemment, des données ont indiqué que l’utilisation en fin de grossesse d’ISRS et d’autres antidépresseurs tels la venlafaxine, la mirtazapine et le bupropion (ce dernier n’est pas enregistré en Belgique comme antidépresseur, mais comme aide à l’arrêt du tabagisme) peut occasionner des problèmes chez le nouveau-né.
    • Des problèmes respiratoires, des problèmes d’alimentation, des convulsions, des cris persistants et une rigidité musculaire ont été rapportés. Il n’est ici pas toujours clair s’il s’agit d’un effet toxique direct de l’antidépresseur ou de manifestations de sevrage. D’après une revue de la littérature publiée en 2005 (Moses-Kolko et al.), la plupart des cas décrits concernent la paroxétine et la fluoxétine. Dans la banque de données de l’Organisation Mondiale de la Santé, qui rassemble toutes les notifications spontanées d’effets indésirables au niveau mondial, de telles notifications sont plus fréquentes avec la paroxétine. L’incidence plus élevée de ces problèmes avec certains ISRS pourrait être due à des différences entre les antidépresseurs quant à leur affinité à de nombreux types de récepteurs, et également à leurs caractéristiques pharmacocinétiques.
    • Récemment, des pédiatres belges ont décrit un cas de SIADH (sécrétion inappropriée de l’hormone antidiurétique, avec entre autres une hyponatrémie sévère) chez un nouveau-né dont la mère avait été traitée par la sertraline pendant les trois dernières semaines de la grossesse. D’après ces pédiatres, un lien causal entre la prise de sertraline par la mère et l’apparition du SIADH chez l’enfant ne peut être exclu [ Pediatrics 2005; 115: 508-11 ]
  • Avec le lithium, des symptômes d’intoxication chez le nouveau-né ont été rapportés, même à des concentrations plasmatiques thérapeutiques chez la mère.

Y a-t-il des effets sur le développement neuro-cognitif?

L’exposition aux antidépresseurs pendant la grossesse a-t-elle une influence sur le développement neuro-cognitif de l’enfant à long terme? Des études chez l’animal ont montré un effet néfaste avec certains médicaments (p. ex. sur le développement moteur et la capacité de réaction), mais on ignore dans quelle mesure ces données peuvent être extrapolées chez l’homme; chez l’homme, les données à ce sujet sont encourageantes, mais elles ne se rapportent qu’à de petits nombres d’enfants.


Conclusion

Les données sur l’utilisation des antidépresseurs pendant la grossesse sont limitées, tant en ce qui concerne leur efficacité que les risques pour le nouveau-né. Une prise en charge non médicamenteuse est à préférer, mais l’instauration ou la poursuite d’un traitement antidépresseur peut se justifier dans certains cas. Lors de la décision d’arrêter un traitement antidépresseur chez une femme qui prévoit ou débute une grossesse, il faut tenir compte du risque de récidive de la dépression.


Références principales

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