La fluoxétine dans le traitement de la dépression chez l’enfant et l’adolescent: restez critique!

[Voir "Bon à savoir" du 16 juin 2006 sur notre site web.]

L’Agence européenne d’évaluation du médicament (European Medicines Agency ou EMEA) a émis un avis favorable à l’utilisation de la fluoxétine chez les enfants à partir de l’âge de 8 ans et les adolescents dans le traitement de la dépression majeure modérément sévère à sévère, après échec de la psychothérapie [voir leur communiqué de presse du 6 juin 2006, via www.emea.eu.int/pdfs/human/press/pr/20255406en.pdf ]. Le Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP), comité scientifique de l’EMEA, estime que les bénéfices contrebalancent les effets indésirables, mais exige que le titulaire d’enregistrement effectue des études complémentaires concernant le profil de sécurité de la fluoxétine chez les enfants et les adolescents.

Il convient toutefois de rester critique. Dans l’article " Utilisation des antidépresseurs chez les enfants et les adolescents souffrant de dépression: état de la question " paru dans les Folia de décembre 2004 , nous avions écrit " Bien que la fluoxétine soit enregistrée aux Etats-Unis pour le traitement de la dépression chez les enfants et les adolescents, la conclusion d’une analyse au niveau européen par le Committee on Human Medicinal Products [actuellement appelé le Committee for Medicinal Products for Human Use] (CHMP) était que ces études n’apportent pas de preuves suffisantes pour accepter la fluoxétine dans cette indication ".

Certains pays de l’Union européenne avaient alors entamé une procédure pour que cette indication soit quand même reprise dans la notice; une réévaluation des données a conduit l’EMEA à donner un avis positif, qui lorsqu’il aura été entériné par la Commission européenne, sera contraignant pour tous les pays membres de l’Union européenne.

Que sait-on sur l’utilisation de la fluoxétine chez les enfants et les adolescents? Deux études de courte durée ont été réalisées dans cette tranche d’âge, avec des preuves limitées d’une efficacité modérée. Par ailleurs, on admet que pour aucun antidépresseur un risque accru de tendances suicidaires dans cette tranche d’âge ne peut être exclu [voir Folia de décembre 2004 et de mars 2006 ]. De plus, des études précliniques avec la fluoxétine chez de jeunes animaux ont montré des effets néfastes sur le développement sexuel: l’importance de ces constatations chez l’homme n’est pas claire, mais la prudence s’impose, d’autant plus que des cas de retard de croissance et de retard pubertaire chez des enfants traités par la fluoxétine en raison d’une dépression ont été rapportés. Comme mentionné dans les Folia de décembre 2004 , la décision d’instaurer un traitement antidépresseur chez l’enfant et l’adolescent doit être prise par un médecin ayant de l’expérience dans ce domaine, après avoir bien pesé les risques et les avantages éventuels. Lorsque l’on décide de traiter par un antidépresseur, un accompagnement psychothérapeutique continu et une évaluation permanente sont fondamentales.

Un commentaire intitulé " How have the SSRI antidepressants affected suicide risk? " a paru dans le Lancet du 17 juin 2006, avec une courte discussion des données disponibles concernant le risque de tendances suicidaires par les antidépresseurs, tant chez les adultes que chez les enfants et les adolescents [ Lancet 2006; 367: 1959-62 ]. L’auteur est assez rassurant au sujet de la fluoxétine. Ce même numéro du Lancet [2006; 367: 1953] a également publié un éditorial sur des études cliniques chez l’enfant: l’auteur de l’éditorial cite le communiqué de presse du 6 juin de l’Agence européenne d’évaluation du médicament et souligne l’importance de rester critique par rapport à l’utilisation de la fluoxétine chez les enfants et les adolescents.