Hormonothérapie et immunothérapie dans le cancer du sein non métastasé


Abstract

Depuis de nombreuses années, le tamoxifène constitue la référence dans le traitement hormonal du cancer du sein hormono-dépendant, qu’il soit métastasé ou non métastasé. Dans des études récentes réalisées chez des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein non métastasé contenant des récepteurs hormonaux, les inhibiteurs de l’aromatase sont apparus plus efficaces que le tamoxifène en terme de survie sans récidive. Bien que ces résultats soient encourageants, certaines questions restent sans réponse, en particulier en ce qui concerne leur efficacité et leur innocuité à long terme, la durée optimale du traitement ainsi que le moment optimal pour instaurer le traitement. Les inhibiteurs de l’aromatase peuvent avoir une place dans le traitement du cancer du sein non métastasé chez des femmes ménopausées, par exemple en cas de contre-indication ou de résistance au tamoxifène. Chez des femmes ménopausées et préménopausées atteintes d’un cancer du sein non métastasé avec surexpression de la protéine HER-2, des résultats encourageants ont été publiés avec le trastuzumab, un anticorps monoclonal recombinant. Les avantages de ces nouveaux traitements doivent cependant toujours être mis en balance avec leur coût très élevé.

Le traitement du cancer du sein a déjà été discuté dans Folia de juin 1999 et Folia de novembre 2002 . Depuis, plusieurs études ont été publiées sur les inhibiteurs de l’aromatase et sur le trastuzumab dans le traitement du cancer du sein non métastasé. Cet article discute uniquement du traitement du cancer du sein non métastasé, et n’aborde pas le traitement du cancer du sein métastasé.


Traitement hormonal

Le traitement du cancer du sein non métastasé est avant tout chirurgical. Une hormonothérapie ou une chimiothérapie préopératoire est parfois proposée dans le but d’entraîner une régression de la tumeur primitive, d’éviter dans la mesure du possible le recours à une mastectomie totale, ou de rendre opérable une tumeur qui ne l’était pas au départ vu son extension locale. Chez les femmes qui présentent un risque modéré ou élevé de récidive après la chirurgie, une hormonothérapie et/ou une chimiothérapie postopératoires sont généralement proposées comme traitement adjuvant. Le traitement hormonal adjuvant fait appel au tamoxifène ou, plus récemment, chez les femmes ménopausées, aux inhibiteurs de l’aromatase.


Tamoxifène

Le tamoxifène, un modulateur sélectif des récepteurs d’estrogènes, est considéré depuis de nombreuses années comme le traitement hormonal de référence chez les femmes préménopausées et ménopausées atteintes d’un cancer du sein hormono-dépendant non métastasé. Plusieurs études avec un suivi médian de 10 ans ont en effet démontré qu’un traitement de 5 ans par le tamoxifène (20 mg p.j.) entraîne une diminution de la mortalité de 26%, une réduction des récidives de 47% et une réduction des cancers controlatéraux de 47%. Il n’est pas prouvé qu’une durée de traitement plus longue ou que des doses supérieures à 20 mg par jour apportent un bénéfice supplémentaire. Le tamoxifène est associé à un risque accru de cancer endométrial et de complications thrombo-emboliques [voir aussi Folia d’ octobre 2001 et Folia de janvier 2002 ], et une résistance au tamoxifène peut survenir après une utilisation prolongée.


Inhibiteurs de l’aromatase

L’anastrozole et le létrozole, deux inhibiteurs non stéroïdiens de l’aromatase, et l’exémestane, un inhibiteur stéroïdien de l’aromatase, agissent en inhibant la transformation des androgènes en estrogènes tant au niveau des surrénales qu’en périphérie (muscle, tumeur primitive, métastases). L’utilisation des inhibiteurs de l’aromatase n’a pas de sens chez les femmes préménopausées. Plusieurs études récentes chez des femmes ménopausées ont analysé leur efficacité dans le traitement adjuvant du cancer du sein non métastasé contenant des récepteurs hormonaux. Selon les études, l’inhibiteur de l’aromatase était administré soit en remplacement du tamoxifène (monothérapie pendant 5 ans), soit après 2 à 3 ans de traitement par le tamoxifène avec une durée totale de l’hormonothérapie de 5 ans (hormonothérapie séquentielle), soit après 5 ans de traitement par le tamoxifène pendant 5 années supplémentaires (hormonothérapie adjuvante étendue).


- Monothérapie

Dans l’étude ATAC, l’anastrozole administré pendant 5 ans est apparu, après un suivi de 68 mois (calculé à partir de la fin du traitement), plus efficace que le tamoxifène en termes de survie sans récidive, de risque de métastases et de risque de cancer du sein controlatéral. La survie globale était similaire dans les deux groupes, mais ceci pourrait s’expliquer par un recul insuffisant. L’association des deux médicaments n’était pas plus efficace que l’anastrazole seul ou le tamoxifène seul.

Une autre étude a analysé l’efficacité du létrozole administré pendant 5 ans en remplacement du tamoxifène. Les résultats préliminaires publiés sous forme d’abstract indiquent, après un suivi de 26 mois (calculé à partir de la fin du traitement), une plus grande efficacité du létrozole par rapport au tamoxifène en termes de survie sans récidive, de survie sans métastase et de survie sans seconde tumeur primitive.


- Hormonothérapie séquentielle

Trois études récentes ont montré qu’un traitement par l’anastrozoleou par l’exémestane instauré après 2 à 3 ans de traitement par le tamoxifène pour atteindre 5 ans d’hormonothérapie au total était plus efficace en terme de survie sans récidive (loco-régionale, à distance ou controlatérale) que le tamoxifène pendant 5 ans. Les données disponibles à ce jour n’ont pas montré d’augmentation statistiquement significative de la survie globale.


- Hormonothérapie adjuvante étendue

Dans une autre étude, un traitement par le tamoxifène pendant 5 ans suivi d’un traitement par le létrozole pendant 2,5 ans est apparu plus efficace en terme de survie sans récidive (loco-régionale, à distance ou controlatérale) que le tamoxifène pendant 5 ans. Une diminution statistiquement significative de la mortalité a été observée dans le groupe traité par le tamoxifène suivi par le létrozole uniquement lorsque les ganglions étaient positifs lors de la mammectomie ou de la tumorectomie.


Sur base des résultats encourageants de ces études, l’American Society of Clinical Oncology a affirmé récemment que, chez les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein non métastasé contenant des récepteurs hormonaux, le traitement hormonal adjuvant optimal devrait inclure un inhibiteur de l’aromatase soit comme traitement initial, soit après un traitement préalable par le tamoxifène. Certaines questions restent cependant sans réponse, en particulier en ce qui concerne l’efficacité et l’innocuité à long terme des inhibiteurs de l’aromatase, la durée optimale du traitement ainsi que le moment optimal pour les utiliser (juste après la chirurgie ou plus tard, p. ex. en prolongement au tamoxifène).

En ce qui concerne les effets indésirables, les inhibiteurs de l’aromatase n’augmentent pas, contrairement au tamoxifène, le risque de complications endométriales et thrombo-emboliques. Ces médicaments sont associés par contre à un risque accru d’ostéoporose, de fractures et de douleurs musculaires, articulaires et osseuses ainsi que d’accidents cardio- et cérébro-vasculaires. Il convient également de tenir compte du coût beaucoup plus élevé de ces nouveaux médicaments: un traitement par un inhibiteur de l’aromatase coûte en Belgique 6 à 7 fois plus cher qu’un traitement par le tamoxifène. A l’heure actuelle, les inhibiteurs de l’aromatase peuvent avoir une place dans le traitement du cancer du sein non métastasé chez des femmes ménopausées, par exemple en cas de contre-indication ou de résistance au tamoxifène.

Chez la femme préménopausée, un traitement par un inhibiteur de l’aromatase n’a pas de sens, et le traitement hormonal consiste en l’administration de tamoxifène à la même dose et pendant la même durée que chez la femme ménopausée, seul ou en association avec une castration médicamenteuse ou chirurgicale. En cas de contre-indication au tamoxifène, la fonction ovarienne sera supprimée par un analogue de la LHRH (effet réversible) ou par ovariectomie (effet irréversible).


Trastuzumab

Le trastuzumab est un anticorps monoclonal recombinant utilisé depuis quelques années dans le traitement de certains cancers du sein métastasés avec surexpression de la protéine HER-2 (human epidermal growth factor 2) mise en évidence par immunohistochimie. Les résultats de trois études sur le trastuzumab dans le traitement adjuvant du cancer du sein non métastasé avec surexpression de la protéine HER-2 chez des femmes ménopausées et préménopausées ont été publiés récemment. Le trastuzumab a été administré pendant 52 semaines soit en association à la chimiothérapie, soit de manière séquentielle (c.-à-d. après la chimiothérapie). Le critère d’évaluation primaire était une combinaison de récidive, cancer controlatéral ou autre tumeur, et décès. Les résultats montrent, après un suivi de 1 à 2,5 ans, une diminution d’environ 50% de la survenue du critère d’évaluation primaire chez les patientes qui, en plus d’une chimiothérapie, ont aussi reçu du trastuzumab, par rapport aux patientes ayant reçu uniquement une chimiothérapie. Les patientes sont toujours suivies.

Bien que ces résultats observés avec le trastuzumab soient encourageants pour la prise en charge des patientes atteintes d’un cancer du sein non métastasé avec surexpression de la protéine HER-2, ils soulèvent toutefois un certain nombre de questions, par ex. en ce qui concerne le risque de toxicité cardiaque, le schéma thérapeutique optimal (en association à la chimiothérapie ou de manière séquentielle?) ainsi que le rapport coût/efficacité de ce traitement très onéreux. Le trastuzumab n’est actuellement remboursé en Belgique que dans le cancer du sein métastasé. Le coût d’une dose de 150 mg (administrée une fois par semaine) est d’environ € 670. Il est estimé que le traitement par le trastuzumab des femmes atteintes d’un cancer du sein non métastasé avec surexpression de la protéine HER-2 (soit environ 1.500 femmes par an en Belgique) entraînerait un coût de € 50 millions par an, alors que les économies dues à la prévention des récidives et des métastases ne seront perceptibles qu’à long terme.


Références importantes

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Noms de spécialités


Anastrazol: Arimidex®

Exémestan: Aromasin®

Letrozol: Femara®

Tamoxifen: Nolvadex® Tamizan® Tamoplex® et génériques

Trastuzumab: Herceptin®