Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne: mise à jour


Abstract

Cet article rapporte des données supplémentaires concernant l’usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires. En cas d’otite moyenne aiguë, les antibiotiques ne sont généralement pas utiles à court terme, et de plus, ils seraient associés à un risque accru de récidives à long terme. Lorsqu’en cas de rhinosinusite aiguë sévère, des antibiotiques s’avèrent nécessaires, les quinolones ne sont pas supérieures aux antibiotiques β lactames et doivent être réservées aux cas d’allergie IgE médiée à la pénicilline.

Sur base de publications récentes, cet article rapporte des données supplémentaires concernant l’usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires, sans toutefois apporter de changements de fond par rapport à ce que nous avons écrit précédemment dans les Folia [voir Folia d' octobre 2004 , septembre 2005 , octobre 2006 , octobre 2007 et octobre 2008 ].


Otite moyenne aiguë

Il y a plusieurs années, une étude randomisée en double aveugle, contrôlée par placebo, menée auprès de 240 enfants âgés de 6 mois à 2 ans, a montré que l’administration d’antibiotiques (amoxicilline 40 mg/kg/jour) n’entraîne qu’un faible bénéfice sur les symptômes d’otite moyenne aiguë évalués au 4ème jour du traitement; 7 à 8 enfants de cette tranche d’âge devaient être traités par l’amoxicilline par rapport au placebo pour améliorer les symptômes d’otite moyenne aiguë au 4ème jour chez un seul enfant de plus (NNT de 7 à 8) [ Brit Med J 2000; 320: 350-4 ]. Vu cet effet modeste des antibiotiques, leurs effets indésirables et la faible incidence des complications de l’otite moyenne aiguë, la prescription systématique d’antibiotiques ne se justifie pas dans cette tranche d’âge [voir Folia de février2001 et octobre 2004 ].

Les résultats d’une étude de suivi sur 3,5 ans, menée auprès de 168 participants sur les 240 inclus dans l’étude originale, ont été publiés récemment dans le Brit Med J [2009; 338: b2525 ]. Ces résultats montrent que le risque de récidive d’otite moyenne aiguë est plus élevé dans le groupe ayant été traité par l’amoxicilline que dans le groupe placebo (63% versus 43%, différence de risque: 20% avec intervalle de confiance à 95% 5 à 35%). Bien que cette étude de suivi présente certaines limites méthodologiques (p. ex. biais d’information possibles du fait que les données proviennent d’un questionnaire rempli par les parents), ces résultats apportent un argument supplémentaire en faveur d’un usage restrictif des antibiotiques dans l’otite moyenne aiguë.

D’après les recommandations de BAPCOC [via le Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire – éd. 2008*], des antibiotiques ne sont indiqués dans l’otite moyenne aiguë que dans les cas suivants.

  • Enfants de moins de 6 mois: chez tous les enfants au moment du diagnostic.
  • Enfants de 6 mois à 2 ans: en cas d’état général fort altéré ou en l’absence d’amélioration après 2 jours.
  • Enfants de plus de 2 ans: en l’absence d’amélioration après 3 jours, en cas de récidive dans les 12 mois ou en cas d’état général fort altéré.
  • Patients avec un risque de complications (syndrome de Down, fente palatine, résistance générale amoindrie).
  • En présence d’une otorrhée.

En ce qui concerne le choix de l’antibiotique, l’amoxicilline à une dose suffisamment élevée pour contrecarrer la résistance partielle de certaines souches de pneumocoques (75 à 100 mg/kg/jour) reste le premier choix. Bien que des données récentes indiquent une stabilisation voire même une régression des taux de résistance des pneumocoques à la pénicilline en Belgique (environ 9 à 10% en 2008), l’utilisation de doses élevées d’amoxicilline reste recommandée. En l’absence d’amélioration dans les 3 jours, la moitié de la dose totale d’amoxicilline doit être remplacée par l’association amoxicilline – acide clavulanique [voir Folia de septembre 2008 ]. Le céfuroxime est une alternative en cas d’allergie à la pénicilline non IgE médiée. Les macrolides et le co-trimoxazole ne sont pas recommandés vu le taux élevé de résistance des principales souches de pneumocoques responsables d’otite en Belgique. En cas d’allergie à la pénicilline IgE médiée chez un enfant avec un état général fort altéré, une hospitalisation s’impose.

* Le "Guide des antibiotiques" est publié par le Belgian Antibiotic Policy Coordination Committee (BAPCOC), via www.health.fgov.be/antibiotics , cliquez successivement à gauche sur "Pratique ambulatoire", puis à droite sur "Recommandations (HTML)"; la version imprimée peut être demandée à l’adresse suivante: BAPCOC, Eurostation bloc 2, Place Victor Horta 40 bte 10 à1060 Bruxelles.


Rhinosinusite aiguë

En cas de rhinosinusite aiguë, les antibiotiques ne sont en général pas indiqués, sauf chez les patients présentant une rhinosinusite sévère (douleur importante, fièvre, état général fort altéré). Dans ce cas, l’amoxicilline reste le premier choix. L’ajout de l’acide clavulanique n’est à envisager qu’en l’absence d’amélioration après 2 jours de traitement par l’amoxicilline seule. Le céfuroxime est une alternative en cas d’allergie à la pénicilline non IgE médiée. L’utilisation de quinolones dans la rhinosinusite aiguë doit être réservée aux cas d’allergie IgE médiée aux antibiotiques β lactames. L’attention a déjà été attirée précédemment dans les Folia sur le fait que les quinolones plus récentes telles que la lévofloxacine et la moxifloxacine ne sont pas des antibiotiques de premier choix dans le traitement de la rhinosinusite aiguë, vu le risque d’apparition de résistance et d’hépatotoxicité [voir Folia d' octobre 2007 et octobre 2008 ]. Les résultats d’une méta-analyse d’études randomisées contrôlées montrent que les quinolones ne sont en outre pas plus efficaces que les antibiotiques β lactames dans le traitement de la rhinosinusite aiguë [ CMAJ 2008; 178: 845-54 ].


Toux aiguë

La toux aiguë en elle-même n’est pas une indication d’antibiothérapie, sauf lorsqu’elle est le symptôme d’une infection des voies respiratoires basses.

Il ressort d’une étude d’observation réalisée dans 13 régions européennes que la prescription d’antibiotiques en raison d’une toux aiguë repose davantage sur des habitudes de prescription que sur des facteurs cliniques. Les résultats de cette étude indiquent par ailleurs que l’utilisation d’antibiotiques n’a pas d’effet cliniquement significatif sur la guérison [ Brit Med J 2009; 338: b2242 ]. Ces données renforcent l’opinion selon laquelle les antibiotiques ne sont pas utiles dans le traitement de la toux aiguë (sauf chez les patients immunodéprimés).


Note

Une étude randomisée en double aveugle, contrôlée par placebo, a évalué l’efficacité des probiotiques en prévention des symptômes de rhinite et des symptômes grippaux [ Pediatrics 2009; 338: e172 ]. Dans cette étude réalisée en Chine auprès de 326 enfants âgés de 3 à 5 ans, en crèche, l’administration journalière de probiotiques (soit Lactobacillus acidophilus seul, soit une association de L. acidophilus et de Bifidobacterium animalis) pendant 6 mois, a entraîné une diminution statistiquement significative de l’incidence et de la durée de la fièvre, de la rhinorrhée et de la toux, ainsi qu’une réduction de la prescription d’antibiotiques. Sur 6 mois, les enfants traités étaient absents en moyenne 1,4 jours en moins par rapport aux enfants non traités. Il faut attirer l’attention sur le fait que cette étude sponsorisée par l’industrie pharmaceutique présente certaines limites, et que les résultats positifs de cette étude doivent être confrontés aux résultats négatifs ou nettement plus modestes observés dans d’autres études [entre autres dans Pediatrics 2005; 115: 5-9 ; avec une discussion dans Minerva 2006; 5: 13-4]. Pour le moment, il n’est donc pas prouvé que les probiotiques exercent un effet quelconque en prévention de la rhinite et de la grippe.