Nouveaux anticoagulants à usage oral en prévention de la thrombo-embolie veineuse en chirurgie orthopédique


Abstract

Deux nouveaux anticoagulants à usage oral, le dabigatran (Pradaxa®) et le rivaroxaban (Xarelto®) sont disponibles depuis octobre 2009 pour la prévention primaire de la thrombo-embolie veineuse (TEV) en chirurgie orthopédique. Bien que ces nouveaux anticoagulants paraissent au moins aussi efficaces qu’une héparine de bas poids moléculaire, une plus-value sur des critères cliniques pertinents, tels que les thromboses veineuses profondes symptomatiques, les embolies pulmonaires et la mortalité, reste à démontrer. En pratique, la balance bénéfices-risques de l’héparine de bas poids moléculaire est mieux connue, et celle-ci reste le traitement de premier choix en prévention primaire de la TEV en chirurgie orthopédique.

Deux nouveaux anticoagulants à usage oral sont disponibles depuis octobre 2009 pour la prévention primaire de la TEV en chirurgie orthopédique: le dabigatran (Pradaxa®) et le rivaroxaban (Xarelto®) [voir Folia de novembre 2009 ]. Il s’agit de substances qui agissent spécifiquement sur certains facteurs de la coagulation tels que la thrombine (facteur IIa) et le facteur X activé (facteur Xa), et qui pourraient, en théorie, offrir un certain nombre d’avantages par rapport aux anticoagulants conventionnels (facilité d’emploi, dosage fixe, pharmacocinétique mieux prévisible et risque moindre d’interactions).

Le ximélagatran (Exenta®) fut le premier inhibiteur de la thrombine à usage oral à être enregistré (mais pas commercialisé en Belgique) pour la prévention primaire de la TEV après une intervention chirurgicale orthopédique majeure, mais il a été retiré du marché au niveau mondial en raison de son hépatotoxicité [voir Folia de mars 2006 ].

Cet article tente, sur base des données disponibles, de situer la place de ces nouveaux médicaments par rapport aux héparines de bas poids moléculaire en prévention primaire des TEV en chirurgie orthopédique. Il n’existe pas d’étude comparative avec le fondaparinux, un inhibiteur du facteur X injectable par voie sous-cutanée, à usage hospitalier [en ce qui concerne la place du fondaparinux en prévention des TEV, voir Folia de septembre 2005 et de janvier 2008 ].


Dabigatran

Le dabigatran est un inhibiteur direct de la thrombine (facteur IIa). Il est administré par voie orale sous forme d’une prodrogue, le dabigatran étexilate, qui est rapidement métabolisé dans l’organisme en substance active, le dabigatran.


Indication

Le dabigatran (Pradaxa®, caps. à 75 mg et 110 mg) est actuellement enregistré pour la prévention primaire des TEV en cas de chirurgie orthopédique programmée pour une prothèse totale de la hanche ou du genou. Un remboursement est prévu par l’INAMI en catégorie Bf, selon le chapitre IV c.-à-d. avec contrôle a priori , après accord du médecin conseil de l’organisme assureur (situation au 01/03/10).


Posologie

La posologie est de 220 mg par jour en une prise pendant 28 à 35 jours après prothèse totale de la hanche, et pendant 10 jours après prothèse totale du genou. La posologie doit être réduite à 150 mg par jour chez les patients âgés de plus de 75 ans, en cas d’insuffisance rénale modérée ou de traitement concomitant par l’amiodarone (en raison d’une interaction au niveau de la glycoprotéine P).


Etudes

Deux études randomisées, contrôlées en double aveugle ont comparé le dabigatran (150 ou 220 mg p.j. par voie orale) et l’énoxaparine (40 mg p.j. par voie sous-cutanée) en prévention des TEV après pose d’une prothèse totale de la hanche [l’étude Re-Novate publiée dans Lancet 2007; 370: 949-56 ] ou du genou [l’étude Re-Model publiée dans J Thromb Haemost 2007; 5: 2178-85 ]. Les résultats de ces deux études n’ont pas montré de différence statistiquement significative en ce qui concerne le critère d’évaluation primaire (une combinaison de toutes les TEV symptomatiques et asymptomatiques, et de la mortalité globale), ni en ce qui concerne les critères cliniques pertinents évalués séparément tels que les thromboses veineuses symptomatiques, les embolies pulmonaires symptomatiques et la mortalité globale. Il n’y avait pas non plus de différences entre le dabigatran et l’énoxaparine en ce qui concerne le risque d’hémorragies majeures, de troubles hépatiques et de troubles coronariens.


Rivaroxaban

Le rivaroxaban est un inhibiteur direct du facteur Xa.


Indication

Le rivaroxaban (Xarelto®, compr. à 10 mg) est actuellement enregistré pour la prévention primaire des TEV en cas de chirurgie othopédique programmée pour une prothèse totale de la hanche ou du genou. Un remboursement en catégorie Bf est prévu par l’INAMI, selon le chapitre IV c.-à-d. avec contrôle a priori , après accord du médecin conseil de l’organisme assureur, uniquement après prothèse totale du genou (situation au 01/03/10).


Posologie

La posologie est de 10 mg par jour pendant 5 semaines après une prothèse totale de la hanche et pendant 2 semaines après une prothèse totale du genou.


Etudes

Quatre études randomisées en double aveugle ont comparé le rivaroxaban (par voie orale) à l’énoxaparine (par voie sous-cutanée) en prévention des TEV après chirurgie de la hanche (les études Record I et II) et après chirurgie du genou (les études Record III et IV). Le critère d’évaluation primaire dans ces quatre études était un critère combiné associant l’incidence de toutes les TEV symptomatiques et asymptomatiques et la mortalité globale. Les principaux critères d’évaluation secondaires étaient l’incidence des TEV majeures (c.-à-d. les embolies pulmonaires, les thromboses veineuses profondes proximales et les décès liés à une TEV) et les TEV symptomatiques.

  • Dans l’étude Record I (rivaroxaban 10 mg p.j. versus enoxaparine 40 mg p.j. pendant 34 jours en moyenne après prothèse totale de hanche), le rivaroxaban est apparu significativement plus efficace que l’énoxaparine en ce qui concerne le critère d’évaluation primaire (1,1% versus 3,7%) et les TEV majeures (0,2% versus 2,0%), mais pas en ce qui concerne les TEV symptomatiques. Il n’y avait pas de différence concernant le risque d’hémorragies majeures. [ N Engl J Med 2008; 358: 2765-75 ]
  • Dans l’étude Record II (rivaroxaban 10 mg p.j. pendant 31-39 jours versus énoxaparine 40 mg p.j. pendant 10-14 jours après prothèse totale de hanche), les différentes durées de traitement rendent la comparaison impossible. [ Lancet 2008; 372: 31-9 ]
  • Dans l’étude Record III (rivaroxaban 10 mg p.j. versus énoxaparine 40 mg p.j. pendant 10-14 jours après prothèse totale du genou), le rivaroxaban est apparu significativement plus efficace que l’énoxaparine en ce qui concerne le critère d’évaluation primaire (9,6% versus 18,9%), les TEV majeures (1% versus 2,6%) et les thromboses veineuses symptomatiques (0,7% versus 2%). Il n’y avait pas de différence concernant le risque d’hémorragies majeures. [ N Engl J Med 2008; 358: 2776-86 ]
  • Dans l’étude Record IV (rivaroxaban 10 mg p.j. versus énoxaparine 30 mg 2 x p.j. pendant 10-14 jours après prothèse totale du genou), la dose d’énoxaparine ne correspond pas à la dose utilisée en Europe. [ Lancet 2009; 373: 1673-80 ]

Les résultats de ces études sont difficiles à interpréter étant donné l’utilisation d’énoxaparine à des doses différentes et pour des durées différentes. Bien que le rivaroxaban soit apparu plus efficace que l’énoxaparine sur le critère d’évaluation primaire combiné, un bénéfice au niveau de la prévention des TEV symptomatiques reste à démontrer (notamment après prothèse de la hanche).

Une méta-analyse de ces 4 études réalisée par la Food and Drug Administration (FDA) aux Etats-Unis confirme la supériorité du rivaroxaban par rapport à l’énoxaparine sur le critère d’évaluation primaire (surtout les TEV asymptomatiques), mais ne retrouve pas de bénéfice statistiquement significatif sur les événements symptomatiques; elle souligne également une augmentation significative des hémorragies associées au rivaroxaban dans ces indications.


Quelques commentaires

  • Le critère d’évaluation primaire dans les études mentionnées ci-dessus est un critère combiné associant l’incidence de toutes les TEV (symptomatiques et asymptomatiques) et la mortalité globale. L’effet observé provient essentiellement de la réduction du nombre de TEV asymptomatiques. La pertinence clinique d’un tel critère d’évaluation est toutefois discutable vu qu’un lien direct entre le diagnostic d’événements asymptomatiques et la survenue de thromboses veineuses symptomatiques ou d’embolies pulmonaires n’est pas clairement prouvé.
  • Ces études ont inclus relativement peu de patients âgés et/ou atteints d’une insuffisance rénale chez lesquels le risque d’hémorragie peut être accru. La prudence s’impose dès lors dans ces populations de patients, ainsi que lors de l’utilisation concomitante d’autres médicaments tels que d’autres antithrombotiques ou des médicaments pouvant influencer leur métabolisme (p. ex. inhibiteurs de la glycoprotéine ou du CYP3A4).
  • En pratique, dans la prévention primaire des TEV en chirurgie orthopédique, la balance bénéfices-risques de l’héparine de bas poids moléculaire est mieux connue, et celle-ci reste le traitement de premier choix.
  • Le dabigatran a également été étudié en prévention des accidents vasculaires cérébraux et des embolies systémiques dans la fibrillation auriculaire [l’étude Re-Ly; N Engl J Med 2009; 361: 1139-51 avec un éditorial 361: 1200-2], ainsi que dans le traitement de la TEV aiguë [l’étude Re-Cover; N Engl J Med 2009; 361: 2342-52 ], mais il n’est pas enregistré en Europe dans ces indications (situation au 01/03/10).
    • Dans la fibrillation auriculaire, les résultats de l’étude Re-Ly montrent après 2 ans que le dabigatran à raison de 300 mg p.j. est plus efficace que la warfarine en prévention des thrombo-embolies systémiques avec un risque comparable d’hémorragies, et que le dabigatran à raison de 220 mg p.j. est aussi efficace que la warfarine avec un risque moindre d’hémorragies. Chez les patients traités par le dabigatran, un taux significativement plus élevé d’infarctus du myocarde a cependant été observé, ainsi qu’un taux plus élevé d’abandons en raison d’effets indésirables gastro-intestinaux.
    • Dans le traitement de la TEV aiguë, les résultats de l’étude Re-Cover montrent après 6 mois que le dabigatran est aussi efficace que la warfarine pour prévenir les récidives symptomatiques, avec un risque comparable d’effets indésirables.

Un certain nombre d’incertitudes persistent toutefois, en particulier en ce qui concerne la posologie optimale et l’innocuité du dabigatran à long terme. De plus, l’absence d’antidote et de possibilité de surveillance biologique peut poser des problèmes, p. ex. en cas de surdosage ou d’hémorragie grave.