Statines en prévention primaire: état de la question


Abstract

Le traitement de l’hypercholestérolémie doit s’intégrer dans une prise en charge globale du risque cardio-vasculaire. Des mesures non médicamenteuses telles que le sevrage tabagique, une alimentation saine et de l’exercice physique représentent la base de la prévention cardio-vasculaire. En prévention primaire, on peut décider d’instaurer ou non un traitement par une statine en fonction du score de risque cardio-vasculaire du patient.

L’efficacité des statines chez les personnes ayant des antécédents d’accidents cardio-vasculaires (prévention secondaire) ne fait aucun doute, et ne fait pas l’objet de cet article. Les données concernant l’intérêt des statines en prévention primaire, c.-à-d. chez des personnes sans antécédents d’accidents cardio-vasculaires, sont par contre moins univoques: plus le risque cardiovasculaire est faible, plus l’effet escompté du traitement sera faible.


Résultats de méta-analyses récentes

Une méta-analyse sur les statines dans la prévention cardio-vasculaire, réalisée à partir des données individuelles des patients, a été publiée récemment dans The Lancet [ Lancet 2012; 380: 581-90 (doi:10.1016/S0140-6736(12)60367-5) avec un éditorial : 545-7 (doi:10.1016/S0140- 6736(12)60694-1)]. Cette méta-analyse de 27 études randomisées a été menée par les Cholesterol Treatment Trialists’s Collaborators , un consortium composé principalement des auteurs des études initiales sur les statines, dont la plupart étaient sponsorisées par l’industrie. Les données individuelles des patients étant disponibles, les auteurs ont pu classer les patients en plusieurs groupes en fonction du risque cardio-vasculaire, et calculer pour chacun de ces groupes l’effet d’un traitement par une statine. Dans le groupe avec des antécédents d’accidents cardio-vasculaires comme dans le groupe sans antécédents d’accidents cardio-vasculaires, les patients ont encore été subdivisés en sous-groupes à faible risque ou à risque élevé sur base de facteurs de risque complémentaires éventuels, tels que le diabète par exemple. Les auteurs concluent que les statines sont efficaces dans la prévention des accidents vasculaires majeurs, indépendamment de l’âge ou du sexe, mais aussi indépendamment du taux de cholestérol au début du traitement, ou des antécédents de maladies cardio-vasculaires. Les statines sont efficaces aussi bien chez les patients avec le risque cardio-vasculaire le plus élevé (principalement en cas d’antécédents d’accidents cardiovasculaires) que chez les patients avec le risque cardio-vasculaire le plus faible (pas d’antécédents d’accidents cardio-vasculaires et risque cardio-vasculaire faible), et d’après les auteurs, leurs bénéfices contrebalancent leurs inconvénients.

Dans la méta-analyse précitée, un effet statistiquement significatif a donc été constaté avec les statines en prévention primaire d’accidents cardio-vasculaires chez des personnes à faible risque cardio-vasculaire: une diminution de 39 % du risque relatif d’accidents cardio-vasculaires majeurs a été observée pour chaque réduction de 1 mmol/l (1 mmol/l = 40 mg/dl) du LDL-cholestérol. Cependant, vu que le risque de base est très faible dans cette population, le bénéfice absolu est très faible: ainsi, dans le groupe avec le risque le plus faible, 167 personnes ont dû être traitées pendant 5 ans pour éviter 1 accident cardio-vasculaire majeur supplémentaire. Aucun effet significatif n’a été observé sur la mortalité dans cette population à faible risque.

Ces dernières années, plusieurs méta-analyses ont été publiées sur les statines en prévention primaire [voir Folia de février et mars 2011 ], dont les résultats peuvent à première vue sembler contradictoires. Pourtant, si l’on compare ces méta-analyses, y compris la plus récente parue dans The Lancet , on s’aperçoit que les résultats coïncident en grande partie; l’interprétation et les conclusions qu’en font les auteurs diffèrent toutefois [ Brit Med J 2009; 338: b2376 (doi: 10.1136/bmj.b2376), Arch Intern Med 2010; 170: 1024-31 , Cochrane Database Syst Rev 2011; 1 Art. No.: CD004816 (doi: 10.1002/14651858.CD004816.pub4), CMAJ 2011; 183: E1189-1202 . doi:10.1503/cmaj.101280, Lancet 2010; 376: 1670-81 (doi:10.1016/S0140-6736(10)61350-5)].

  • En ce qui concerne la prévention primaire des accidents cardio-vasculaires majeurs , toutes les méta-analyses relèvent un bénéfice statistiquement significatif lors d’un traitement par une statine, mais le bénéfice est toutefois faible en valeur absolue.
  • En ce qui concerne la mortalité , vasculaire et non vasculaire, les résultats des différentes métaanalyses ne sont pas univoques; il s’agit cependant ici de très faibles différences à la limite de la signification statistique. Le bénéfice absolu paraît donc très faible: en prévention primaire, environ 1.000 personnes devraient être traitées pendant un an pour éviter 1 décès supplémentaire.

Implications pour la pratique

  • Le traitement de l’hypercholestérolémie doit s’intégrer dans une prise en charge globale du risque cardio-vasculaire. Un taux élevé de cholestérol ne représente qu’un aspect parmi d’autres, et un âge avancé ou le tabagisme ont un impact bien plus grand sur le risque cardiovasculaire que l’augmentation des taux de cholestérol. Ce n’est pas le taux de lipides qu’il convient de traiter, mais le risque cardio-vasculaire.
  • Le score de risque cardio-vasculaire du patient peut être calculé à l’aide des tables de risque SCORE adaptées à la situation belge. Ces tables de risque peuvent être téléchargées à partir du site Web de l’INAMI [ www.inami.be/drug/fr/drugs/recommendation/ pdf/table_statines.pdf ].
  • Les mesures non médicamenteuses telles que le sevrage tabagique, une alimentation saine et de l’exercice physique représentent la base de la prévention cardio-vasculaire. Le sevrage tabagique par exemple entraîne une diminution plus marquée du risque qu’un traitement par une statine. L’instauration d’un traitement médicamenteux, par exemple par une statine, ne doit pas faire oublier ces mesures.
  • Bien qu’un bénéfice limité ait été démontré avec les statines en prévention primaire, aucun argument ne justifie actuellement un usage systématique, certainement pas chez les patients à faible risque, vu le très faible bénéfice en valeur absolue. En prévention primaire, le bénéfice potentiel est le plus grand chez les personnes avec le risque cardio-vasculaire le plus élevé, telles que les patients diabétiques, ceux atteints d’une insuffisance rénale chronique, ceux avec des antécédents familiaux de maladies cardio-vasculaires précoces ou ceux qui ont un risque cardio-vasculaire global, évalué à l’aide du modèle SCORE, nettement accru.
  • Le bénéfice escompté d’un tel traitement par statines doit être mis en balance individuellement avec les effets indésirables potentiels à long terme, tels que la myopathie ou le développement d’un diabète de type 2, le coût et le risque de médicaliser une population " saine ".