Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne

Résumé
Le mois d’octobre est le moment idéal pour rappeler l’importance de l’usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en pratique ambulatoire. Cette année, une attention particulière est portée sur la place limitée des quinolones dans les infections aiguës des voies respiratoires, et sur la place limitée de l’antibiothérapie dans l’otite moyenne aiguë. La problématique de la résistance est également discutée.

Quinolones

En raison de leurs effets indésirables et afin de limiter l’apparition de résistances, l’usage des quinolones doit être restrictif.

La Food and Drug Administration américaine (FDA) souligne le fait que chez la plupart des patients atteints de sinusite aiguë et dans la plupart des cas d’exacerbation aiguë de bronchite chronique d’origine bactérienne chez les patients atteints de BPCO, les avantages des quinolones ne contrebalancent pas leurs risques. Les risques suivants sont cités: atteintes tendineuses allant jusqu’à la rupture du tendon, neuropathie périphérique qui n’est parfois que lentement réversible ou parfois irréversible, et des effets indésirables centraux tels qu’hallucinations et confusion. En Belgique aussi, les quinolones n’ont qu’une place limitée en pratique ambulatoire, et leur usage doit être restrictif en raison des risques cités ci-dessus, mais également pour limiter l’apparition de résistances. Dans les infections des voies respiratoires (pneumonie, rhinosinusite, exacerbations de BPCO), parmi les quinolones seule la moxifloxacine a une place, et ce uniquement dans les rares cas d’allergie aux pénicillines médiée par des IgE et, en cas de pneumonie, aussi lors de la résistance avérée de pneumocoques à la pénicilline [voir Guide de BAPCOC sur les antibiotiques, 2012 et Répertoire, chapitre 11.1.5.].

Otite moyenne aiguë

La place des antibiotiques dans l’otite moyenne aiguë est limitée. Chez la plupart des enfants, une prise en charge symptomatique avec expectative vigilante est la meilleure option.

Un article récent dans La Revue Prescrire rappelle que l’évolution d’une otite moyenne aiguë est généralement spontanément favorable endéans quelques jours. La prise en charge vise en premier lieu le traitement de la douleur et de la fièvre (avec le paracétamol comme premier choix) et, chez un grand nombre d’enfants, une expectative vigilante avant d’instaurer un antibiotique est la meilleure option [en ce qui concerne l’otite moyenne aiguë, voir aussi les Folia d’octobre 2009]. Selon BAPCOC (Guide sur les antibiotiques, 2012), les antibiotiques (avec l’amoxicilline comme premier choix) sont seulement indiqués dans les circonstances suivantes.

  • Les enfants de moins de 6 mois (dès que le diagnostic a été posé).

  • Les enfants âgés de 6 mois à 2 ans lorsque l’enfant est très malade ou lorsque la maladie évolue anormalement (aucune amélioration après 2 jours et diagnostic confirmé par examen clinique).

  • Les enfants de plus de 2 ans en l’absence d’amélioration après 3 jours, en cas de récidive dans les 12 mois ou si l’enfant est gravement malade.

  • En présence de facteurs de risque (entre autres diminution de l’état général).

  • En cas d’otorrhée persistante.

Les antibiotiques sont surtout efficaces sur le soulagement de la douleur et la résolution de la fièvre chez les enfants de moins de 2 ans souffrant d’otite bilatérale et chez les enfants atteints d’otorrhée.

Le problème de la résistance

Une grande attention est portée sur le problème de la résistance au niveau mondial. Une attention particulière est accordée ici brièvement à trois des piliers de la prise en charge de cette problématique: usage plus rationnel des antibiotiques, développement de nouveaux antibiotiques et diminution de l’usage des antibiotiques chez les animaux producteurs de denrées alimentaires.

- Usage plus rationnel des antibiotiques

  • En 2014, BAPCOC a fixé l’objectif de diminuer de moitié l’usage global des antibiotiques dans le secteur ambulatoire en Belgique d’ici 2025 [voir Folia d’octobre 2015]. L’usage d’antibiotiques reste trop élevé surtout en cas d’infections aiguës non compliquées des voies respiratoires (qui sont presque toujours spontanément résolutives). Cela ne vaut pas uniquement pour l’Europe; dans une publication récente, il a été évalué qu’aux Etats-Unis, pendant la période 2010-2011, environ la moitié des prescriptions d’antibiotiques pour infection aiguë des voies respiratoires en pratique ambulatoire étaient probablement injustifiées.

  • Dans un “Infospot” récent, l’INAMI a publié les données de Pharmanet de 2014 concernant l’usage d’antibiotiques en ambulatoire (systémique et local dans l’œil) chez l’enfant. Les antibiotiques les plus souvent utilisés par voie systémique restent les suivants: amoxicilline > amoxicilline + acide clavulanique > macrolides, avec pour chacun d’eux une faible diminution par rapport à 2012 (diminution de 8%, 15% et 6% respectivement). Cette diminution est encourageante, mais l’usage d’amoxicilline + acide clavulanique reste trop élevé, compte tenu de l’indication limitée en pratique ambulatoire (voir Guide de BAPCOC sur les antibiotiques 2012, et Répertoire, chapitre 11.1.1.1.3.].

  • Chez un patient atteint d’une infection aiguë des voies respiratoires pour laquelle des antibiotiques ne sont pas indiqués, une bonne stratégie consiste à ne pas remettre de prescription au patient et à lui demander de revenir en l’absence d’amélioration dans le délai attendu ou en cas d’aggravation des symptômes. Une autre stratégie est la “prescription différée” [voir Folia d’octobre 2014]. Cette stratégie permet également de diminuer l’usage des antibiotiques, et constitue par ailleurs une manière de diminuer l’anxiété éventuelle du médecin et du patient de passer à côté d’une infection potentiellement sévère. De plus, une étude récente montre que prescrire moins d’antibiotiques pour des infections aiguës des voies respiratoires n’est pas associé à une augmentation significative du nombre de complications sévères. Au Royaume-Uni, des dossiers médicaux électroniques de patients issus d’environ 600 pratiques de médecine générale ont été utilisés pour examiner si des complications sévères (e.a. pneumonie, abcès péritonsillaire, mastoïdite, empyème, méningite bactérienne, abcès intracrânien) survenaient plus fréquemment dans les pratiques à “faible” pourcentage de prescriptions d’antibiotiques (défini comme < 44 % des consultations pour infections aiguës des voies respiratoires) que dans celles avec un nombre “élevé” de prescriptions (≥ 58%). Une pneumonie et un abcès péritonsillaire survenaient un peu plus fréquemment, mais pas les autres complications. Les chercheurs ont calculé qu’en diminuant de 10 % le nombre de prescriptions d’antibiotiques dans une pratique moyenne au Royaume-Uni (7.000 patients), un cas supplémentaire de pneumonie apparaîtrait par an, et un cas supplémentaire d’abcès péritonsillaire par tranche de 10 ans. Bien que ce type d’étude ne puisse fournir de preuves définitives en raison de diverses sources d’erreurs possibles, et vu le fait que les résultats ne peuvent pas être extrapolés d’emblée à la situation belge par exemple, les résultats soutiennent quand même le fait qu’un nombre moins élevé de prescriptions d’antibiotiques est sans danger, à condition de rester attentif à la présence de facteurs de risque et de signaux d’alarme.

- Le développement de nouveaux antibiotiques

Ces dernières années, quelques nouveaux antibiotiques ont été commercialisés (en Belgique: ceftaroline, fidaxomicine, bédaquiline), et d’autres sont attendus (autorisés mais pas encore commercialisés, p.ex. dalbavancin, tédizolid, oritavancin, ceftolozane + tazobactam, ceftazidime + avibactam). Bien que les nouveaux antibiotiques peuvent être très importants pour combattre les micro-organismes résistants pendant les prochaines années, certaines remarques critiques sont toutefois faites à propos de ces nouveautés. Ainsi, il a par exemple été signalé que la plupart de ces nouveaux antibiotiques ne sont pas innovants mais s’ajoutent aux groupes déjà existants, et qu’ils n’offrent qu’une plus-value limitée dans la lutte contre les micro-organismes résistants. En outre, il n’y a actuellement pas d’arguments en faveur d’un bénéfice de ces nouveaux médicaments en termes de morbidité et de mortalité chez les patients présentant des infections causées par des germes multirésistants.

- Diminution de l’utilisation des antibiotiques chez les animaux producteurs de denrées alimentaires

L’usage inapproprié et à large échelle d’antibiotiques chez les animaux producteurs de denrées alimentaires (c.-à-d. les animaux utilisés dans la production de la viande, du lait ou des œufs) peut mener à la propagation de germes résistants, également chez l’homme (transmission surtout par la chaîne alimentaire, p.ex. après consommation de viande contaminée mais également transmission de germes résistants par voie respiratoire à des personnes qui sont en contact étroit avec des animaux (p.ex. éleveurs, vétérinaires). Des initiatives sont prises au niveau mondial, aussi en Belgique, pour diminuer l’emploi des antibiotiques dans ce secteur également. Ainsi, un AR récent interdit d’administrer aux animaux des antibiotiques qui s’avèrent importants pour l’homme (fluoroquinolones, céphalosporines de 3ème et 4ème génération) lorsqu’il ne peut pas être démontré que d’autres antibiotiques sont inefficaces. Un autre exemple est celui de la colistine qui, ces dernières années, est utilisée sous forme de colistiméthate dans la médecine humaine pour certaines infections sévères causées par des germes Gram négatif multirésistants. Un avis récent de l’Agence européenne des médicaments (EMA) appelle à limiter fortement l’usage de la colistine pour le bétail; ceci fait suite à la détection d’un nouveau mécanisme de résistance plasmidique pour E. coli, avec risque de propagation rapide des souches résistantes, également chez l’homme, et avec risque de transmission de la résistance vers d’autres germes Gram négatif.
 

Quelques références

Quinolones: www.fda.gov/Drugs/DrugSafety/ucm500143.htm

Otite moyenne aiguë

  • Belgische gids voor anti-infectieuze behandeling in de ambulante praktijk, editie 2012. BAPCOC, via www.bapcoc-ambulatorycare.be, zoekterm “Antibioticagids 2012”

  • Premiers Choix Prescrire. Otite moyenne aiguë (actualisation: février 2016). La Revue Prescrire 2016;36:451-5

Problématique de la résistance