Combien peuvent coûter les médicaments? L’exemple des médicaments contre l’hépatite C

Résumé
En raison du prix élevé de certains nouveaux médicaments, il devient de plus en plus difficile pour les décideurs politiques de maintenir l’équilibre entre les besoins médicaux et les possibilités budgétaires. Pour illustrer cette problématique, nous avons choisi l’exemple des antiviraux récents contre l’hépatite C. Ces médicaments sont très efficaces et ont un bon profil d’innocuité, mais en raison de leur coût très élevé, seuls les patients infectés avec une atteinte hépatique démontrée ou ayant des facteurs de risque supplémentaires bénéficient à l’heure actuelle d’un remboursement en Belgique. Il existe clairement un manque de transparence en ce qui concerne la fixation des prix de certains nouveaux médicaments, dont ceux que nous citons ici. Le KCE belge a développé, en collaboration avec un groupe de réflexion international, un certain nombre de stratégies possibles pour mettre fin à cette spirale d’augmentation constante du prix des médicaments.

La pression financière pèse de plus en plus sur le système des soins de santé. Les autorités, les organismes assureurs, les médecins et les patients sont de plus en plus souvent confrontés au prix élevé des nouveaux médicaments. Les médicaments particulièrement coûteux sont entre autres certains nouveaux médicaments antitumoraux, les médicaments des maladies métaboliques congénitales ou des maladies immunitaires chroniques, ou encore les nouveaux médicaments contre le virus de l’hépatite C (VHC). Dans le cadre du présent article, nous nous limiterons aux nouveaux médicaments contre le VHC pour illustrer le problème général de nombreux nouveaux médicaments.

  • Ces dernières années, de nouvelles molécules antivirales pour le traitement de l’hépatite C chronique ont été mises sur le marché. Ces médicaments sont égament appelés « antiviraux à action directe » parce qu’ils interfèrent avec des mécanismes spécifiques de la réplication virale. Il s’agit du daclatasvir, du dasabuvir, de l’elbasvir, du grazoprévir, du lédipasvir, de l’ombitasvir, du paritaprévir, du siméprévir et du sofosbuvir et du velpatasvir, qui sont éventuellement associés entre eux ou combinés aux antiviraux classiques contre l’hépatite C (certains interférons, la ribavirine). En comparaison avec les traitements antiviraux classiques contre l’hépatite C, les nouveaux médicaments permettent généralement d’obtenir un taux d’éradication beaucoup plus élevé (jusqu’à plus de 90 %) sur une durée de traitement plus courte, et ce avec un risque plus faible d’effets indésirables et d’interactions médicamenteuses ; on manque toutefois de données concernant le risque de récidives et l’innocuité à long terme [voir Folia septembre 2014].

  • Le coût d’un traitement avec ces nouveaux antiviraux peut, en fonction du type de patient et des médicaments utilisés, s’élever de 30.000 EUR à plus de 100.000 EUR, pour 3 à 6 mois de traitement. Il s’agit là du « prix ex-usine ». Le prix réel des médicaments remboursés, tel que payé par les autorités, est probablement nettement moins élevé, étant donné que le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique obtient des réductions auprès des fabricants, de manière contractuelle entre le fabricant et l’INAMI. Le résultat de ces négociations de prix n’est pas public; le coût réel pour la communauté n’est donc pas connu.

  • Des experts estiment qu’environ 70.000 personnes sont infectés par le VHC en Belgique. Vu le coût élevé des nouveaux antiviraux, les autorités belges avaient décidé en 2015 de limiter le le remboursement des nouveaux antiviraux aux patients avec une atteinte hépatique à un stade avancé et en cas de greffe hépatique. Depuis le 1er janvier 2017, les médicaments sont remboursés chez les patients avec une atteinte hépatique à un stade moins avancé et également, indépendamment de l’atteinte hépatique, chez les patients ayant des facteurs de risque supplémentaires tels qu’une infection simultanée par l’hépatite C et l’hépatite B. Le maintien de l’équilibre entre les besoins médicaux et les possibilités budgétaires place cependant de plus en plus souvent les décideurs politiques devant des dilemmes difficiles.

  • La question de savoir si le coût élevé des nouveaux médicaments contre le VHC (et d’autres nouveaux médicaments) est justifié, fait l’objet de nombreuses discussions. Les fabricants de médicaments cherchent souvent à justifier le prix d’un nouveau médicament par le fait qu’il doit rentabiliser les coûts élevés de recherche et de développement. Selon différentes méthodes de calcul, le développement d’un nouveau médicament coûterait entre 100 millions et 2,5 milliards de dollars. On ne doit toutefois pas perdre de vue ici que bon nombre d’avancées dans le domaine médical ont été possibles grâce aux subsides octroyés par l’Etat pour la recherche fondamentale menée dans les universités et d’autres instituts de recherche. Les autorités (et donc les contribuables) payent donc souvent deux fois: une première fois lors du financement de la recherche de base, et une deuxième fois lors du remboursement des médicaments.

  • Quels que soient les frais réels pour le développement et la production d’un médicament, le fait est qu’il existe clairement un manque de transparence concernant la fixation du prix d’un médicament, et que le prix correspond souvent au maximum de ce que la communauté serait prête à payer (willingness to pay). Dans le cas des médicaments coûteux, on se trouve dans une situation avec un seul client (les autorités) et un seul fournisseur (le fabricant en position de monopole), dans laquelle le principe de l’offre et de la demande, qui doivent rester en équilibre, n’intervient pas. Il devient donc de plus en plus difficile pour les autorités de répondre à la déclaration de principe de l’Organisation mondiale de la santé selon laquelle toute personne doit pouvoir bénéficier du niveau de santé le plus élevé possible. 

  • Afin d’encourager un débat de société concernant le prix élevé des médicaments, le Centre d'Expertise des Soins de Santé belge (KCE) a développé, en collaboration avec le Zorginstituut Nederland (ZIN) et un comité d’experts internationaux, plusieurs scénarios futurs pour la fixation du prix des médicaments. Ces scénarios constituent des stratégies possibles pour mettre fin à la spirale de l’augmentation constante du prix des médicaments, et garantir à terme aux patients l’accès à des médicaments efficaces et sûrs. On y propose entre autres une collaboration entre les secteurs privé et public, le développement de médicaments dans un système parallèle sans but lucratif et le développement de médicaments répondant davantage aux besoins de santé réels du patient. Pour plus d’informations à ce sujet, nous vous renvoyons à la liste des références.

Références

Ghinea N, Lipworth L. Propaganda or the cost of innovation? Challenging the high price of drugs. BMJ 2016;352:i1284 (doi: 10.1136/bmj.i1284).

Roy V, King L. Betting on hepatitis C: how financial speculation in drug development influences access to medicines. BMJ 2016;354:i3718 (doi: 10.1136/bmj.i3718).

Anonymous. Welke prijs betalen we voor nieuwe geneesmiddelen? Geneesmiddelenbulletin 2016;49:135-42, via http://geneesmiddelenbulletin.com/artikel/welke-prijs-betalen-we-voor-nieuwe-geneesmiddelen

Rédaction Prescrire. Prix des nouveaux médicaments: quelle logique? La Revue Prescrire 2015:35:457-61.

Vankerrebroeck P, Raemaekers, P, Wickert R. et al. Scénarios futurs pour le développement des médicaments et la fixation de leurs prix. KCE Reports 271A. Via https://kce.fgov.be/fr/publication/report/sc%C3%A9narios-futurs-pour-le-d%C3%A9veloppement-des-m%C3%A9dicaments-et-la-fixation-de-leurs-pr#.WJRChRvhCUk