La double inhibition du système rénine-angiotensine (SRA) n’est pas recommandée


Abstract

Une double inhibition du système rénine-angiotensine (SRA), consistant généralement en l’administration d’un IECA et d’un sartan, est parfois utilisée. Les auteurs d’une métaanalyse récente d’études menées chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque ou d’hypertension artérielle associée à une néphropathie, concluent que le rapport bénéfice/ risque de cette double inhibition du SRA s’avère défavorable par rapport à une monothérapie par un seul médicament agissant sur le SRA. La double inhibition du SRA peut toutefois avoir un effet positif sur des critères d’évaluation intermédiaires tels que la pression artérielle et la protéinurie, ou sur le nombre d’hospitalisations chez des patients insuffisants cardiaques. Elle ne diminue cependant pas la mortalité, même chez les patients insuffisants cardiaques. De plus, un risque accru d’effets indésirables graves, tels qu’une hyperkaliémie et une insuffisance rénale a été constaté. La double inhibition du SRA n’a donc pas de place, pas même dans le traitement de l’insuffisance cardiaque ou de l’hypertension artérielle associée à un diabète ou à une néphropathie.

Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), les sartans et les inhibiteurs de la rénine représentent trois classes d’antihypertenseurs agissant sur le système rénine-angiotensine (SRA). Un modèle expérimental chez des rats a montré un renforcement mutuel de l’effet des IECA et des sartans [ Circulation 1997; 96: 3072-8 ], ce qui fut à la base du concept thérapeutique de la double inhibition du SRA. Malgré l’absence de preuves rigoureuses concernant l’efficacité et l’innocuité, ce double traitement (en général par l’association d’un IECA et d’un sartan) est souvent utilisé en cas d’insuffisance cardiaque sévère et en cas d’hypertension artérielle associée à un diabète ou à une néphropathie.

Une double inhibition du SRA peut également être obtenue en associant l'inhibiteur de la rénine aliskirène à un IECA ou à un sartan; ces associations ont récemment été déconseillées par l’Agence européenne des médicaments (EMA) en raison d’un risque accru d’effets indésirables cardio-vasculaires et rénaux [voir Folia de juin 2012 ].

Dans l’édition 2013 du Répertoire Commenté des médicaments, il est écrit: "en cas d’insuffisance cardiaque sévère et de néphropathie, l’association d’un sartan et d’un IECA est parfois utilisée, mais il n'est pas clairement établi si les avantages contrebalancent les risques supplémentaires." Suite à des données récentes, ce message devra être adapté; voici quelques explications.


Néphro- et cardioprotection

Dans des études cliniques, un effet positif a été constaté avec la double inhibition du SRA sur des critères d’évaluation intermédiaires tels que la protéinurie ou la pression artérielle, d’où l’idée qu’une double inhibition du SRA pourrait avoir un effet néphro- et cardioprotecteur. Les résultats de l’étude ONTARGET parue en 2008 [ N Engl J Med 2008; 358: 1547-59 (doi:10.1056/NEJMoa0801317) et Lancet 2008; 372: 547-53 (doi:10.1016/S0140-6736(08)61236-2)] mettent toutefois en doute cette hypothèse.

Dans cette étude ayant inclus plus de 25.000 participants présentant un risque cardiovasculaire élevé, l’association du sartan "telmisartan" avec l’IECA "ramipril" n’a apporté aucun bénéfice en termes de morbidité et de mortalité cardio-vasculaires, par rapport à une monothérapie par le ramipril [voir Folia de juillet 2008 ]. De plus, malgré un effet positif sur la protéinurie, la double inhibition du SRA a entraîné plus fréquemment une détérioration de la fonction rénale et la nécessité d’une dialyse rénale; les cas d’hyperkaliémie étaient également plus fréquents.


Insuffisance cardiaque

Dans deux études contrôlées par placebo, environ 7.600 patients présentant une insuffisance cardiaque modérée à sévère ont été randomisés et ont reçu un placebo ou un sartan, en plus d’un traitement par un IECA. L’étude Val-Heft [ N Engl J Med 2001; 345: 1667-75 (doi:10.1056/NEJMoa010713)] a évalué l’ajout de valsartan; l’étude CHARM-Added [ Lancet 2003; 362: 767-71 (doi:10.1016/S0140-6736(03)14283-3)] a évalué l’ajout de candésartan. Dans ces deux études, le seul bénéfice observé avec la double inhibition du SRA a été une diminution du nombre d’hospitalisations en raison d’une insuffisance cardiaque, sans influence cependant sur le taux de mortalité. Dans l’étude ASTRONAUT parue récemment, l’ajout d’aliskirène au traitement standard de l’insuffisance cardiaque n’a pas entraîné de diminution de la mortalité, ni du nombre d’hospitalisations [ JAMA 2013; 309: 1125-35 (doi:10.1001/jama.2013.1954)]. L’insuffisance cardiaque ne figure pas comme indication dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) de l’aliskirène.


Méta-analyse récente

Malgré un effet positif sur des critères d’évaluation intermédiaires, l’efficacité et l’innocuité d’une double inhibition du SRA à long terme étaient incertaines; ce traitement était néanmoins souvent utilisé. Afin de clarifier cette controverse, une méta-analyse récente [ Br Med J 2013; 346: f360 (doi:10.1136/bmj.f360)] a regroupé les résultats de 33 études randomisées ayant comparé la double inhibition du SRA par rapport à une monothérapie par un IECA, un sartan ou l’aliskirène.

Deux tiers des études incluses ont évalué l’association d’un IECA et d’un sartan, et la durée moyenne des études était de 52 semaines. Les indications du traitement étaient principalement l’insuffisance cardiaque et l’hypertension artérielle associée à une néphropathie. En comparaison avec la monothérapie, aucun bénéfice significatif n’a été observé avec la double inhibition du SRA en ce qui concerne la mortalité totale et cardio-vasculaire, et ce tant chez les personnes atteintes ou non d’insuffisance cardiaque. En revanche, chez les patients insuffisants cardiaques, la double inhibition du SRA a entraîné une diminution du nombre d’hospitalisations en raison de l’insuffisance cardiaque (32,6 vs. 41,6 %).

Par contre, les auteurs d’une revue Cochrane récente n’ont pas constaté de différence significative au niveau du nombre total d’hospitalisations [ Cochrane Database Syst Rev 2012; 4 . Art. No.: CD003040 (doi: 10.1002/14651858.CD003040.pub2)].

La double inhibition du SRA semblait également plus fréquemment associée à une hyperkaliémie (9,6 versus 4,9 %), une hypotension (8,7 versus 5,9 %) et une insuffisance rénale (8,3 versus 6,4 %). Un nombre plus élevé de patients ont aussi arrêté prématurément le traitement dans le groupe traité par la double inhibition du SRA.

Ces résultats défavorables obtenus chez des patients rigoureusement surveillés dans le contexte d’études, donnent probablement une sous-estimation des complications survenant dans la pratique quotidienne. La double inhibition du SRA n’a donc pas de place dans le traitement de l’insuffisance cardiaque, ni en cas d’hypertension artérielle associée à un diabète ou à une néphropathie.