Traitement médicamenteux des douleurs neurogènes


Abstract

Dans les douleurs neurogènes ou neuropathiques, les analgésiques non morphiniques et les antiinflammatoires non stéroïdiens ne sont souvent pas assez efficaces. Les analgésiques morphiniques sont efficaces sur les douleurs neurogènes qu’elles soient d’origine cancéreuse ou non. Il est également souvent fait appel à d’autres traitements tels certains antidépresseurs et certains antiépileptiques dont l’intérêt a été démontré dans certaines douleurs neurogènes telles la neuropathie diabétique et la névralgie postherpétique; cependant ils ne sont souvent pas enregistrés, ni remboursés dans cette indication. L’application locale de capsaïcine est une autre possibilité.

Les douleurs neurogènes (par ex. la neuropathie diabétique, les névralgies postherpétiques) sont un motif fréquent de consultation en médecine générale. Les étiologies sont variées: métaboliques, inflammatoires, infectieuses ou néoplasiques, et la prise en charge est généralement pluridisciplinaire (psychologique, stimulation électrique, anesthésie loco-régionale...). Dans l’article "Nouveautés dans le traitement médicamenteux de la douleur chronique&quot publié dans les Folia de septembre 1999 , le rôle des anti-épileptiques et de la capsaïcine dans le traitement de la douleur neurogène a déjà été discuté. Cet article reprend les différentes possibilités thérapeutiques des douleurs neurogènes.


Analgésiques et antiinflammatoires non stéroïdiens

  • Les analgésiques non morphiniques et les antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent être utiles dans certaines douleurs neurogènes légères ou modérées. Chez la plupart des patients, ils ne sont cependant pas suffisamment efficaces et d’autres médicaments s’avèrent nécessaires.
  • Les analgésiques morphiniques sont le traitement de premier choix dans les douleurs neurogènes cancéreuses, mais leur efficacité est variable d’un individu à l’autre et une adaptation individuelle de la posologie est nécessaire.

Dans les douleurs neurogènes non cancéreuses, des données rétrospectives ont montré un effet favorable des analgésiques morphiniques. Une étude récente, randomisée croisée, sans contrôle par placebo, a comparé le fentanyl (sous forme d’emplâtre transdermique) et la morphine (sous une forme orale à libération prolongée) chez des patients non cancéreux qui avaient déjà été traités par des analgésiques morphiniques. La plupart de ces patients avaient une préférence pour le fentanyl en raison de son effet plus marqué sur la douleur et du risque moindre d’effets indésirables tels constipation, nausées et sédation.

Deux études randomisées contrôlées par placebo ont montré l’efficacité du tramadol dans des douleurs neurogènes. Les principaux effets indésirables étaient des nausées, de la constipation, des céphalées, de la somnolence, de la sécheresse de la bouche et des vertiges.


Antidépresseurs

  • Les antidépresseurs tricycliques essentiellement l’amitriptyline et la nortriptyline, peuvent être utilisés dans le traitement des douleurs neurogènes. Plusieurs études randomisées contrôlées par placebo ayant inclus au total 337 patients ont montré un bénéfice des antidépresseurs tricycliques dans la neuropathie diabétique douloureuse et dans la névralgie postherpétique. Leur effet antalgique est indépendant de leur effet antidépresseur: l’effet antalgique apparaît plus rapidement (1 à 7 jours) et la dose nécessaire est plus faible que dans le traitement de la dépression (la dose moyenne efficace d’amitriptyline est de 75 mg p.j.). Il est préférable de commencer le traitement par une faible dose et d’augmenter celle-ci si nécessaire.

    Les antidépresseurs tricycliques entraînent souvent des effets indésirables tels sédation, effets anticholinergiques et hypotension orthostatique, en particulier chez les personnes âgées.

  • Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ne paraissent pas efficaces dans le traitement des douleurs neurogènes.

Antiépileptiques

L’intérêt de certains antiépileptiques dans le traitement de certaines douleurs neurogènes est bien établi [voir aussi Folia de septembre 1999 ].

  • La carbamazépine et la phénytoïne sont efficaces dans la neuropathie diabétique. Pour la carbamazépine, une efficacité a également été démontrée dans la névralgie du trijumeau. On ne dispose pas d’études suffisantes quant à l’efficacité de la phénytoïne dans la névralgie du trijumeau, ou quant à celle de la carbamazépine ou de la phénytoïne en monothérapie dans la névralgie postherpétique. Des études comparant ces antiépileptiques aux antidépresseurs tricycliques font également défaut.

    Les effets indésirables les plus fréquents de la carbamazépine et de la phénytoïne sont des troubles mentaux, moteurs et visuels, des céphalées, des effets gastro-intestinaux, et plus rarement des réactions cutanées et hématologiques.

  • Deux études randomisées contrôlées ont montré que la gabapentine est efficace dans la névralgie postherpétique et dans la neuropathie diabétique. Dans deux autres études récentes, chacune ayant inclus 25 patients avec une neuropathie diabétique, la gabapentine est apparue au moins aussi efficace que l’amitriptyline. La gabapentine est généralement bien supportée mais elle peut être responsable e.a. de fatigue, de vertiges, de confusion, d’ataxie, de céphalées, de nausées et d’un oedème périphérique.
  • Dans une étude contrôlée à petite échelle, la lamotrigine, associée à la carbamazépine ou à la phénytoïne, s’est révélée efficace dans les névralgies réfractaires du trijumeau. Dans une autre étude réalisée chez des patients présentant des douleurs neurogènes d’origines diverses, elle n’a par contre pas été efficace. La lamotrigine peut être responsable de réactions cutanées parfois graves (par ex. syndrome de Stevens Johnson), surtout en début de traitement et lors de l’utilisation de doses initiales élevées.

Stabilisateurs de membrane

Certains antiarythmiques possédant une activité anesthésique locale, tels la lidocaïne et la mexilétine sont parfois utilisés dans le traitement des douleurs neurogènes. La lidocaïne, administrée en perfusion intraveineuse, apporte un soulagement dans certaines douleurs neurogènes mais elle ne peut être administrée par voie orale. Dans deux études contrôlées par placebo, la mexilétine administrée par voie orale, n’a pas entraîné d’amélioration significative de la douleur chez des patients atteints de neuropathie diabétique. En outre, elle entraîne fréquemment des effets indésirables tels nausées, vomissements, douleurs abdominales, vertiges, céphalées et tremblements.


Capsaïcine

Plusieurs études randomisées contrôlées par placebo ont montré que la capsaïcine, appliquée localement sous forme de crème à 0,075%, est efficace dans la neuropathie diabétique et dans la névralgie postherpétique [voir aussi Folia septembre 1999 ]. Dans une étude chez des patients présentant une neuropathie diabétique, la capsaïcine fut aussi efficace que l’amitriptyline et mieux supportée. L’application de la capsaïcine entraîne localement une sensation de brûlure, surtout pendant les deux premières semaines de traitement [n.d.l.r.: c’est la raison pour laquelle la concentration de 0,075% ne doit pas être dépassée].


Baclofène

Dans deux études randomisées de petite taille, le baclofène, un médicament utilisé dans le traitement des états spastiques, est apparu efficace contre les névralgies faciales. Ces données limitées doivent cependant être confirmées.


Conclusion

L’efficacité des analgésiques simples et des antiinflammatoires non stéroïdiens dans les douleurs neurogènes est limitée. Les analgésiques morphiniques sont efficaces dans les douleurs neurogènes cancéreuses et non cancéreuses. Dans de nombreux cas de douleurs neurogènes non cancéreuses, l’amitriptyline est un choix raisonnable. La gabapentine est une autre possibilité et est parfois mieux supportée. D’autres antidépresseurs et antiépileptiques, ainsi que la capsaïcine et le baclofène, peuvent être utiles mais leur place dans la prise en charge des douleurs neurogènes est moins bien étayée.

D’après

  • Drug treatment of neuropathic pain. Drug Ther Bull 38 : 89-93(2000)
  • L. Allan et al.: Randomised crossover trial of Brit Med J 322 : 1154-1158(2001)

Noms de spécialités

Les spécialités marquées d’une * sont indiquées dans la notice pour le traitement de douleurs neurogènes.


Amitriptyline: Redomex* Tryptizol

Carbamazepine: Tegretol*

Fenytoïne: Diphantoïne Epanutin*

Gabapentine: Neurontin

Lamotrigine: Lamictal

Nortriptyline: Nortrilen

Le traitement des douleurs neurogènes ne figure pas dans la rubrique "indications&quot des notices belges de tous les antidépresseurs et antiépileptiques. Pour certains médicaments tels la gabapentine et la lamotrigine, il convient en outre de tenir compte de leur coût très élevé qui est entièrement à charge du patient.