Protection rénale par des médicaments


Abstract

La prévalence de l’insuffisance rénale terminale augmente au niveau mondial; la néphropathie diabétique en est la cause principale. Il a été démontré que certaines interventions permettent de prévenir ou de retarder l’apparition et/ou la progression de la néphropathie. A cette fin, il s’agit d’abord d’obtenir un contrôle adéquat de la tension artérielle; les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, et peut-être aussi les sartans, semblent ici les plus efficaces. D’autres mesures efficaces consistent en un contrôle rigoureux de la glycémie chez les patients diabétiques, un contrôle des taux lipidiques et l’arrêt du tabagisme.

Le nombre de patients devant recourir à l’une ou l’autre forme de traitement de remplacement de la fonction rénale ne cesse de croître au niveau mondial [n.d.l.r.: et aussi en Belgique]. La recherche s’oriente dès lors vers des médicaments qui peuvent retarder, voire prévenir, l’insuffisance rénale terminale. Il faut signaler à ce sujet que le tabagisme est un facteur de risque indépendant de l’apparition et de la progression de la néphropathie diabétique, et que, même chez les patients atteints d’une néphropathie non diabétique, par ex. la néphropathie à IgA, le tabagisme accélère nettement la progression de l’atteinte rénale.

D’après le Harrison’s Principles of Internal Medicine [15ème édition, 2001], la néphropathie diabétique est la principale cause d’insuffisance rénale terminale à travers le monde. Une néphropathie apparaît chez 30% des patients atteints d’un diabète de type 1, et chez environ 20% des patients atteints d’un diabète de type 2. Etant donné la prévalence bien plus élevée du diabète de type 2, ce dernier constitue en chiffres absolus la principale cause de l’insuffisance rénale.


Contrôle de la tension artérielle


Néphropathie diabétique

Chez les patients diabétiques et hypertendus, un traitement antihypertenseur diminue le risque d’apparition d’une néphropathie et de progression d’une néphropathie existante. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) paraissent ici les plus efficaces. Grâce à leur effet de constriction des vaisseaux glomérulaires, ils diminuent au mieux la pression intraglomérulaire, et assurent de ce fait une réduction efficace de la protéinurie. Il apparaît également que l’effet rénoprotecteur des IECA est en partie indépendant de leur effet antihypertenseur; c’est ainsi que les IECA sont également recommandés chez les patients normotendus atteints d’une néphropathie diabétique. Les effets favorables des IECA ont été observés tant chez les patients atteints d’un diabète de type 1 que chez ceux atteints d’un diabète de type 2.

Des effets favorables sur les reins ont également été observés avec les sartans, irbésartan et losartan, chez des patients avec un diabète de type 2 (la plupart hypertendus). Ces effets favorables semblent aussi en partie indépendants du contrôle de la tension artérielle. [N.d.l.r.: on ne dispose pas d’études comparatives entre les IECA et les sartans.]

Dans l’étude UKPDS chez des patients diabétiques de type 2 et hypertendus, l’aténolol, un β-bloquant, a été aussi efficace que le captopril, un IECA, quant à la diminution de l’incidence de la micro- et de la macroalbuminurie. Dans une étude à petite échelle chez des patients atteints d’un diabète de type 2 et d’une néphropathie sévère, les β-bloquants et les IECA ont eu un effet rénoprotecteur comparable. Dans l’étude avec le losartan mentionnée plus haut - chez des patients diabétiques de type 2 - il n’y a pas eu de majoration de l’effet rénoprotecteur chez les patients déjà traités par un β-bloquant.

En ce qui concerne le diurétique indapamide, quelques études à petite échelle chez des patients diabétiques présentant une microalbuminurie ont montré un effet comparable à celui du captopril, sur la protéinurie.

L’effet rénoprotecteur des antagonistes du calcium est controversé. Certaines données suggèrent que le vérapamil et le diltiazem ont un effet rénoprotecteur chez des patients atteints d’un diabète de type 2 et d’une néphropathie, mais des études contrôlées font défaut. Les données sur les dihydropyridines sont peu encourageantes, et ces médicaments peuvent même être à l’origine d’une détérioration de la fonction rénale. Cela s’explique par leur effet vasodilatateur sur les vaisseaux afférents et efférents du glomérule.


Néphropathie non diabétique

D’après la Modification of Diet in Renal Disease Study chez des patients insuffisants rénaux non diabétiques, il est recommandé chez les patients présentant une insuffisance rénale progressive et une protéinurie > 1 g/24 heures, d’atteindre une tension artérielle - mesurée de préférence le matin avant de prendre le médicament - inférieure ou égale à 125/75 mmHg.

On ne sait pas non plus si, chez les patients insuffisants rénaux non diabétiques, les IECA ont un effet rénoprotecteur plus marqué que les autres antihypertenseurs. Dans une méta-analyse de 11 études randomisées contrôlées (versus placebo ou un autre antihypertenseur) chez des patients présentant une hypertension et une protéinurie supérieure ou égale à 0,5 g/24 heures, le traitement par un IECA a été plus efficace que par un autre antihypertenseur; dans 5 des 11 études analysées, aucun bénéfice statistiquement significatif n’a cependant été observé avec un IECA par rapport au placebo. L’effet des IECA était le plus marqué chez les patients présentant une protéinurie > 2 à 3 g/24 heures. Cette méta-analyse ne permet pas de tirer des conclusions quant à l’effet des IECA chez les patients présentant une protéinurie inférieure à 0,5 g/24 heures.


Contrôle de la glycémie

Le contrôle de la glycémie joue un rôle important dans la prévention de la microalbuminurie, le marqueur classique de la néphropathie diabétique. Cela a été démontré tant dans le diabète de type 1 (étude DCCT, voir Folia de mars 1995) que dans le diabète de type 2 (études UKPDS, voir Folia de février 1999 ). On ne sait pas exactement dans quelle mesure le contrôle de la glycémie ralentit la progression d’une insuffisance rénale et d’une protéinurie existantes, tant dans le diabète de type 1 que dans le diabète de type 2 [n.d.l.r.: un contrôle rigoureux de la glycémie est en tout cas indispensable pour prévenir les autres complications cardio-vasculaires].


Contrôle des taux lipidiques

Une dyslipoprotéinémie est presque toujours présente lors de l’apparition d’une insuffisance rénale chronique. Outre leur effet athérogène, ces modifications lipidiques ont probablement aussi une influence sur la progression de l’insuffisance rénale. On ne dispose pas d’étude clinique à grande échelle quant à l’effet des hypolipidémiants sur la progression de l’insuffisance rénale. Les résultats d’une méta-analyse de 13 études contrôlées à petite échelle ayant inclus au total 362 patients présentant une insuffisance rénale chronique, dont 253 étaient diabétiques, montrent une diminution de la protéinurie et le maintien de la vitesse de filtration glomérulaire grâce au traitement hypolipidémiant (principalement les statines).


Conclusion

Lors de la découverte d’une insuffisance rénale débutante associée à une protéinurie discrète, une prévention secondaire efficace peut être envisagée avec des résultats manifestes tant pour le patient que pour la société. En plus de ces résultats thérapeutiques déjà acquis, apparaissent aussi de nouveaux médicaments avec des effets peut-être encore meilleurs. Il s’agit notamment des antagonistes du récepteur de l’endothéline et des inhibiteurs des endopeptidases neutres, et récemment des antagonistes de la leptine et de suppléments en glycosamineglycanes.

D’après

  • P. Ruggeneti et al.: Progression, remission, regression of chronic renal failure. Lancet 357 : 1601-1608(2001)
  • G. Remuzzi et al.: Nephropathy in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 346 : 1145-1151(2002)
  • M.S. Parmar: Chronic renal disease. Brit Med J 325 : 85-90(2002)
  • T.H. Jafar et al.: Angiotensin-converting enzyme inhibitors and progression of nondiabetic renal disease. A meta-analysis of patient-level data. Ann Intern Med 135 : 73-87(2001)
  • R.W. Schrier en R.O. Estacio: The effect of angiotensin-converting enzyme inhibitors on the progression of nondiabetic renal disease: a pooled analysis of individual-patient data from 11 randomized, controlled trials. (Editorial) Ann Intern Med 135 : 138-139(2001)

Note de la rédaction

  • Dans un éditorial au sujet de l’impact de la néphropathie diabétique sur l’incidence de l’insuffisance rénale terminale, il est signalé que chez les patients présentant un diabète de type 2 et une protéinurie, le risque de mortalité cardio-vasculaire est plus grand que celui de développer une insuffisance rénale terminale [ Brit Med J 325 : 59-60(2002) ]. Une prise en charge correcte de tous les facteurs de risque cardio-vasculaires est donc de première importance chez ces patients.
  • Dans la notice de la plupart des spécialités à base des IECA, captopril et lisinopril, la néphropathie chez les diabétiques de type 1 et de type 2 est mentionnée comme indication. Dans la notice de la spécialité à base d’irbésartan, figure l’indication "néphropathie chez des patients hypertendus et diabétiques de type 2".
  • Une étude randomisée, parue dans le Lancet du 11 janvier 2003 [361 : 117-124(2003)] chez des patients atteints d’une néphropathie non diabétique, montre un effet plus favorable sur l’évolution vers une insuffisance rénale terminale avec l’association d’un sartan (losartan) et d’un IECA (trandopril) qu’avec un seul de ces médicaments.