D’où vient la discordance entre les études d’observation et les études randomisées?


Abstract

Ces dernières années, des résultats contradictoires ont été retrouvés avec certains médicaments (p. ex. antioxydants, traitement hormonal de substitution) entre des études randomisées et des études d’observation. L’explication la plus vraisemblable est le fait que certaines sources d’erreurs, en particulier les biais (erreurs systématiques) et les variables confondantes, sont plus difficiles à maîtriser dans des études d’observation. Les études randomisées, réalisées en double aveugle, apportent des éléments de preuve plus solides; les études d’observation ont toutefois leur place, p. ex. pour étudier des effets indésirables peu fréquents ou la valeur d’un médicament en situation réelle d’utilisation ("real life").

Les études randomisées (c.-à-d. des études dans lesquelles la répartition des patients entre les différents bras de l’étude se fait au hasard) constituent la référence pour évaluer les effets d’une intervention, par exemple l’administration d’un médicament. Par exemple, lorsqu’un effet est observé avec un médicament dans une étude randomisée, la probabilité que l’effet soit réel est supérieure à celle d’une étude d’observation (c.-à-d. une étude dans laquelle l’investigateur observe mais ne contrôle pas le traitement, p. ex. une étude de cohorte ou une étude cas-témoins). [Une étude de cohorte est une étude d’observation dans laquelle, à partir d’un groupe de personnes exposées à un facteur de risque (p. ex. un médicament), et d’un groupe de personnes non exposées, on évalue et on compare la survenue du critère d’évaluation étudié dans chacun des deux groupes. Une étude cas-témoins est une étude d’observation dans laquelle, à partir d’un groupe de personnes atteintes d’une maladie ou présentant le critère d’évaluation étudié (les cas) et d’un groupe de personnes ne présentant pas ces caractéristiques (témoins), on évalue et on compare l’exposition à un facteur de risque éventuel (p. ex. un médicament) dans chacun des deux groupes.]

Il existe des situations dans lesquelles une étude randomisée n’est pas possible à réaliser, ou n’apporte pas les preuves souhaitées.

  • Les études randomisées sont réalisées selon un protocole strict, ce qui limite l’extrapolation des résultats à la situation réelle d’utilisation.
  • Les études randomisées ne sont pas toujours acceptables d’un point de vue éthique, p. ex. l’étude d’effets indésirables graves.
  • Les études randomisées ne sont souvent pas réalisables lorsqu’elles nécessitent un nombre élevé de patients, comme pour l’évaluation d’effets indésirables rares.

Les études d’observation ne présentent pas de telles restrictions et sont mieux adaptées par exemple lorsqu’on désire connaître les avantages et les inconvénients d’un médicament en situation réelle d’utilisation ("effectiveness").

[On parle d’ "efficacy" lorsque l’efficacité d’une intervention est évaluée dans les conditions strictement contrôlées d’une étude randomisée.]

Ces dernières années, des résultats contradictoires entre des études randomisées et des études d’observation ont été retrouvés avec certains médicaments. En voici deux exemples.

  • Il a été suggéré sur base d’études d’observation que la vitamine E (prise comme supplément ou par une alimentation riche en vitamine E) diminue le risque d’accidents cardio-vasculaires et de cancer. Plusieurs études randomisées avec des suppléments de vitamine E ne confirment pas ces résultats, et montrent même un effet défavorable selon certains critères d’évaluation [voir Folia de juillet 1999 et de janvier 2003 ]. Le JAMA [2005; 293: 1338-47 avec un éditorial 2005; 293: 1387-90] par exemple a publié récemment les résultats d’une étude randomisée contrôlée par placebo sur l’effet de la vitamine E (comme supplément) et l’apparition de cancers et d’accidents cardio-vasculaires majeurs (l’étude HOPE suivie de l’étude HOPE-TOO). Cette étude, réalisée chez des patients de 55 ans ou plus, présentant une maladie vasculaire ou un diabète, n’a pas montré de différence quant à l’incidence de cancers ou d’accidents cardio-vasculaires entre le groupe sous vitamine E et le groupe placebo; une incidence accrue d’insuffisance cardiaque a même été observée dans le groupe sous vitamine E. Une méta-analyse récente d’études randomisées contrôlées suggère que des doses élevées de vitamine E (≥ 400 UI/jour) pourraient augmenter la mortalité [ Ann Intern Med 2005; 142: 37-46 avec un éditorial 2005; 142: 75-76].
  • Un autre exemple est celui du traitement hormonal de substitution (THS): des études d’observation ont suggéré un effet de protection cardiaque, tandis que des études randomisées n’ont pas montré d’effet bénéfique, et ont même montré un effet défavorable dans certains cas [voir Folia d’ octobre 2003 ].

D’où vient cette discordance entre les résultats? La raison la plus vraisemblable est le fait que les sources d’erreurs, en particulier les biais (erreurs systématiques) et les variables confondantes, sont plus difficiles à maîtriser dans les études d’observation que dans les études randomisées.

  • Un biais est une erreur systématique qui fausse les résultats d’une étude.
    • Le biais de sélection signifie que lors de la sélection des sujets, une différence dans les caractéristiques des patients est apparue entre les groupes étudiés. Un exemple: comparons des femmes avec et des femmes sans thrombose veineuse profonde en ce qui concerne l’usage de contraceptifs oraux. Le lien entre la prise de contraceptifs oraux et la thrombose veineuse profonde est tellement bien établi que si une femme sous contraceptif oral présente une douleur au niveau des jambes, on posera plus facilement un diagnostic de thrombose veineuse profonde que chez une femme ne prenant pas de contraceptif oral. Cela peut mener à une surestimation du risque de thrombose veineuse profonde liée à la prise de contraceptifs oraux.
    • Le biais d’information signifie que l’information récoltée sur l’exposition et le résultat est systématiquement différente entre les groupes étudiés. Le "recall bias" en est une forme. Un exemple. On se demande si l’utilisation d’un médicament pendant la grossesse pose des problèmes, et on compare dès lors des femmes ayant et des femmes n’ayant pas mis au monde un enfant atteint d’une malformation congénitale. Une femme ayant mis au monde un enfant atteint d’une malformation congénitale se rappellera plus facilement d’avoir pris des médicaments pendant la grossesse qu’une femme ayant mis au monde un enfant normal.
  • Une variable confondante est un facteur qui influence aussi bien l’exposition (p. ex. la prise d’un médicament) que le résultat (p. ex. un effet escompté ou un effet indésirable), et qui peut de ce fait affaiblir ou renforcer le lien entre le facteur d’exposition et le résultat. On sait par exemple que, certainement dans la période pendant laquelle les études sur le THS ont été réalisées, les femmes qui avaient un style de vie plus sain prenaient plus fréquemment un traitement hormonal de substitution (l’exposition), et on sait qu’un style de vie sain diminue le risque d’affection coronaire (l’effet). Un style de vie sain est donc clairement une variable confondante: la diminution des affections coronaires par le THS constatée dans les études d’observation peut probablement s’expliquer par le style de vie sain, et non par la prise des médicaments hormonaux (l’effet dit "healthy-user-effect"). Une explication comparable vaut probablement aussi pour les études avec la vitamine E. Chez des femmes de 60 à 79 ans, la concentration plasmatique en vitamine E est plus élevée dans les classes sociales supérieures. Les femmes qui ont un style de vie sain – et donc un moindre risque d’affection coronaire – prennent plus fréquemment de la vitamine E (comme supplément ou dans l’alimentation). L’effet de protection cardiaque constaté dans les études d’observation s’explique probablement plutôt par le style de vie sain.

En réalisant des études randomisées (c.-à-d. dans lesquelles les patients sont répartis au hasard dans les différents bras de l’étude) et en double aveugle (c.-à-d. l’investigateur et le patient ne savent pas qui prend le médicament étudié ou le traitement comparateur-placebo ou autre médicament-), on évite en grande partie la problématique des biais et des variables confondantes.


Quelques références

  • Collet J-P et Boivin J-F.: Bias and confounding in pharmacoepidemiology. Pharmacoepidemiology. Joh, Willey & ltd.3ème édition2000;: 765-84
  • Lawlor DA, Smith GD, Bruckdorfer KR, Kundu D et Ebrahim S.: Those confounded vitamins: what can we learn from the differences between observational versus randomised trial evidence? Lancet 2004; 363: 1724-27
  • vandenbroucke JP: When are observational studies as credible as randomised trials? Lancet 2004; 363: 1728-31