Traitement médicamenteux des douleurs neuropathiques


Abstract

La prise en charge des douleurs neuropathiques (synonyme neurogènes) a déjà été discutée dans les Folia de décembre 2001 , et n’a pas fait l’objet de beaucoup de changements depuis. Celle-ci reste complexe en raison de la diversité des médicaments proposés et du manque d’études comparatives. En pratique, l’amitriptyline est encore souvent le 1er choix, vu son efficacité démontrée et son coût assez faible par rapport aux autres traitements. La gabapentine et la prégabaline, qui sont maintenant enregistrées et remboursées en Belgique pour le traitement de la névralgie postherpétique et de la neuropathie diabétique, sont d’autres possibilités. L’utilisation des analgésiques morphiniques et du tramadol est souvent limitée par leurs effets indésirables. L’association de plusieurs médicaments peut s’avérer nécessaire dans certains cas. D’autres médicaments que ceux mentionnés ci-dessus sont également proposés, mais ils ne sont pas des premiers choix en raison p. ex. du manque de preuve de leur efficacité, de leurs effets indésirables, de leur coût élevé ou de l’absence de spécialité adaptée en Belgique.

Le traitement médicamenteux des douleurs neuropathiques (synonyme neurogènes) a déjà été discuté dans les Folia de décembre 2001. Il y est écrit que les analgésiques non morphiniques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens ne sont souvent pas assez efficaces, et qu’il est alors nécessaire de recourir à des médicaments tels des analgésiques morphiniques, certains antidépresseurs tricycliques et certains antiépileptiques. Bien que la prise en charge des douleurs neuropathiques ait peu évolué par rapport à la situation en 2001, il nous paraît utile de revenir sur le sujet, notamment en ce qui concerne de nouvelles études, de nouveaux médicaments et de nouvelles conditions de remboursement.


Traitement de premier choix

Les traitements de premier choix sont des médicaments dont l’efficacité a été démontrée dans plusieurs études randomisées contrôlées, et dont l’usage en pratique est réalisable. Il s’agit des antidépresseurs tricycliques, de la gabapentine et de la prégabaline, des analgésiques morphiniques et du tramadol.


Antidépresseurs tricycliques

Les antidépresseurs tricycliques sont les premiers médicaments dont l’efficacité a été démontrée dans des douleurs neuropathiques de différents types. Les études ont été réalisées surtout avec l’amiptriptyline et la nortriptyline; leur effet antalgique est indépendant de leur effet antidépresseur. Les principaux effets indésirables des antidépresseurs tricycliques sont: sédation, hypotension orthostatique, troubles de la conduction cardiaque, effets anticholinergiques. La prudence est certainement de rigueur chez les patients avec des antécédents d’affection cardio-vasculaire, de glaucome ou de rétention urinaire. Il est recommandé de commencer le traitement par de faibles doses (10 à 25 mg par jour le soir) et d’augmenter celles-ci progressivement jusqu’à 75, maximum 150 mg par jour. [N.d.l.r.: dans la notice belge de la duloxétine (Cymbalta®), un antidépresseur de deuxième groupe commercialisé récemment, le traitement de la neuropathie diabétique est aussi mentionné comme indication].


Gabapentine

Huit études randomisées, contrôlées par placebo, ont montré que la gabapentine (Neurontin®) entraîne une diminution des douleurs neuropathiques chroniques, en particulier dans la névralgie postherpétique et la neuropathie diabétique. Les principaux effets indésirables de la gabapentine sont: la somnolence et des vertiges, et moins fréquents, des troubles gastro-intestinaux et un oedème périphérique. La gabapentine est généralement mieux supportée que les autres antiépileptiques, et le risque d’interactions médicamenteuses est également moindre. Le traitement est en général débuté par de faibles doses, de 100 à 300 mg par jour, le soir; celles-ci sont ensuite progressivement augmentées jusqu’à 1.800 à 3.600 mg par jour. En Belgique, la gabapentine est enregistrée et remboursée pour le traitement de la névralgie postherpétique et de la neuropathie diabétique en cas d’efficacité insuffisante de l’amitriptyline, ou de contre-indication à celle-ci [voir Folia de décembre 2003 ].


Prégabaline

La prégabaline (Lyrica®) est un antiépileptique apparenté à la gabapentine. Plusieurs études randomisées contrôlées par placebo ont montré un effet bénéfique de la prégabaline dans les douleurs neuropathiques périphériques. Son efficacité et ses effets indésirables semblent comparables à ceux de la gabapentine. La posologie est de 150 à 600 mg par jour en 2 ou 3 prises. En Belgique, la prégabaline est remboursée depuis le 1er février 2006 pour le traitement de la névralgie postherpétique et de la neuropathie diabétique en cas d’efficacité insuffisante de l’amitriptyline, ou de contre-indication à celle-ci.


Analgésiques morphiniques

Plusieurs études randomisées contrôlées par placebo ont montré une diminution de douleurs neuropathiques de différents types avec des analgésiques morphiniques tels la morphine ou le fentanyl. Leur utilisation est toutefois limitée par le risque d’effets indésirables (sédation, hypotension orthostatique, constipation, nausées) ainsi que par l’apparition à long terme d’une tolérance et d’une dépendance. Il est certainement conseillé de commencer le traitement par de faibles doses, et d’augmenter celles-ci progressivement. Lorsque la posologie est stabilisée, on peut opter pour l’administration à intervalles réguliers d’une forme à libération prolongée. Un traitement préventif de la constipation est recommandé [voir Folia de janvier 2003 ].


Tramadol

L’effet antalgique du tramadol résulte d’effets de type morphinique mais aussi d’autres types. Deux études randomisées, contrôlées par placebo, ont montré une diminution de douleurs neuropathiques de différents types avec le tramadol. Les principaux effets indésirables du tramadol sont: vertiges, nausées, constipation, somnolence et hypotension orthostatique; ils surviennent plus fréquemment en cas d’augmentation rapide de la dose. En cas d’utilisation concomitante d’autres médicaments sérotoninergiques (p. ex. les ISRS), un syndrome sérotoninergique peut survenir. Afin de limiter les effets indésirables, il est recommandé de commencer le traitement par de faibles doses (50 à 100 mg p.j.) et d’augmenter celles-ci progressivement jusqu’à maximum 400 mg par jour.


Monothérapie versus association médicamenteuse

Les douleurs neuropathiques ne sont pas toujours suffisamment contrôlées avec un seul médicament, et il peut être utile d’associer plusieurs médicaments. Une étude récente, randomisée, contrôlée par placebo, en double aveugle a démontré l’efficacité d’un traitement à base de gabapentine et de morphine dans la neuropathie diabétique et dans la neuropathie postherpétique. Cette association a entraîné un effet antalgique plus prononcé, à des doses plus faibles que celles nécessaires si la gabapentine ou la morphine était utilisée séparément; l’incidence de certains effets indésirables tels constipation, sédation et sécheresse de la bouche était toutefois accrue. D’autres études s’avèrent certainement nécessaires pour déterminer quelles sont les meilleures associations et dans quels types de douleurs neuropathiques elles peuvent être utilisées.


Médicaments de deuxième choix

Un certain nombre de médicaments proposés dans le traitement des douleurs neuropathiques ne sont pas des premiers choix p. ex. en raison du manque de preuves de leur efficacité, de leurs effets indésirables, de leur coût élevé ou parce qu’il n’existe pas de spécialité adaptée en Belgique.

  • La lamotrigine est un antiépileptique dont l’efficacité a été démontrée dans des douleurs neuropathiques de différents types, telles la neuropathie liée au VIH et la neuropathie diabétique. En raison du risque de réactions cutanées graves telle le syndrome de Stevens Johnson et de son coût élevé, elle n’est toutefois pas un premier choix.
  • La carbamazépine est utilisée depuis longtemps dans la névralgie du trijumeau et dans la neuropathie diabétique. Les preuves de son efficacité proviennent cependant d’études anciennes ne répondant pas toujours aux critères actuels.
  • La lidocaïne à 5% sous forme d’emplâtre transdermique, appliqué à l’endroit où la douleur est la plus forte, est apparue efficace dans deux études randomisées contrôlées par placebo, chez des patients souffrant de névralgies postherpétiques. La lidocaïne sous cette forme n’existe pas en Belgique.
  • La capsaïcine crème à 0,075% peut être utile dans la neuropathie diabétique et dans la névralgie postherpétique, mais vu son efficacité limitée et ses effets indésirables (p. ex. sensation de brûlure à l’endroit de l’application), elle n’est pas un premier choix. En Belgique, il n’existe pas de spécialité à base de capsaïcine dont la concentration soit adaptée à cette indication; celle-ci peut être obtenue à l’étranger (p. ex. au Royaume Uni, sous le nom de spécialité Axsain® crème à 0,075%).
  • Avec certains inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) tels le citalopram, la paroxétine et la venlafaxine, un effet favorable sur la douleur neuropathique a été observé dans quelques études.
  • La mexilétine, la clonidine ou le dextrométhorphane sont parfois utilisés dans la prise en charge des douleurs neuropathiques mais leur efficacité n’est pas suffisamment étayée.

Références principales

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Note: neuropathies induites par la chimiothérapie

Nous avons reçu une question sur la prise en charge des neuropathies induites par la chimiothérapie. Il existe en effet un risque de neuropathie périphérique avec certains antitumoraux. Il s’agit surtout des interférons, des taxanes, des dérivés du platine (surtout le cisplatine) et des alcaloïdes de la pervenche Les neuropathies induites par la chimiothérapie sont dépendantes de la dose totale cumulée et apparaissent souvent quelques semaines après l’instauration du traitement. On ne dispose pas de données quant à l’efficacité des médicaments discutés dans cet article dans les neuropathies induites par la chimiothérapie; dans certains cas, il y a lieu de diminuer la dose ou de changer d’antitumoral [ Cancer Invest 2003; 21: 439-51 ; Drugs 2003; 63: 1549-63 ; J Neurol 2002; 249: 9-17