Traitement de fond de la polyarthrite rhumatoïde


Abstract

Dans la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde, le traitement de fond par des diseasemodifying antirheumatic drugs (DMARD) constitue la pierre angulaire du traitement médicamenteux. Les recommandations actuelles plaident pour une prise en charge précoce et intensive dans le but d’atteindre une rémission clinique et radiologique, ou le plus faible niveau possible d’activité de la maladie, endéans les 3 à 6 premiers mois. Le méthotrexate, un DMARD classique, à dose suffisamment élevée, représente le premier choix. Dans les formes très actives de la maladie, il peut toutefois être nécessaire de recourir dès le début à l’association de plusieurs DMARD, avec ou sans glucocorticoïdes. Il n’est pas prouvé qu’au stade précoce de la maladie, l’association d’un DMARD classique et d’un agent biologique tel qu’un inhibiteur du TNF, soit plus efficace que l’association d’un DMARD classique et de glucocorticoïdes. Tenant compte en outre du coût et des conditions de remboursement des inhibiteurs du TNF, leur utilisation est à réserver aux formes actives et évolutives de polyarthrite rhumatoïde ne répondant pas suffisamment à au moins deux DMARD classiques, dont le méthotrexate.

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie immunitaire chronique qui se manifeste par des symptômes articulaires (douleur, gonflement, raideur, limitation des mouvements), parfois par des symptômes généraux (fatigue, fièvre, sudation, perte de poids) et des atteintes systémiques (nodules, atteintes pulmonaires, vasculite…). La polyarthrite rhumatoïde se manifeste classiquement par une atteinte polyarticulaire symétrique des articulations de la main et du pied. Au cours de l’évolution de la maladie, le processus peut toutefois s’étendre à n’importe quelle articulation, y compris les grosses articulations. La maladie peut aussi se présenter de façon atypique (mono- ou oligoarthrite). La maladie peut évoluer vers la destruction des articulations et est associée au long cours à un risque accru de maladies cardio-vasculaires et à de l’ostéoporose. La prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde est multidisciplinaire et repose sur des mesures médicamenteuses et non médicamenteuses (kinésithérapie, ergothérapie, soutien psychologique). Le traitement médicamenteux de la polyarthrite rhumatoïde a déjà été discuté dans les Folia de mars 2005 et février 2008 . Le traitement symptomatique fait appel à des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et à des glucocorticoïdes. Le traitement de fond par des disease-modifying antirheumatic drugs (DMARD) constitue la pierre angulaire du traitement médicamenteux et fait appel à des DMARD classiques (tels le méthotrexate, le léflunomide, la sulfasalazine, les antipaludéens chloroquine et hydroxychloroquine), ainsi qu’à des DMARD développés plus récemment, en particulier les agents biologiques. A côté des DMARD, les glucocorticoïdes exercent eux aussi un effet favorable sur l’évolution de la maladie. La prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde a fortement évolué ces dernières années; cet article se base surtout sur les recommandations publiées récemment par le National Institue for Health and Clinical Excellence (NICE) ainsi que par l’ European League Against Rheumatism (EULAR).


Objectif du traitement

L’objectif du traitement de la polyarthrite rhumatoïde est d’atteindre endéans les 3 ou 6 premiers mois une rémission clinique et radiologique, ou au moins le plus faible niveau possible d’activité de la maladie. Plusieurs études randomisées contrôlées ont en effet montré un effet bénéfique d’une prise en charge précoce et intensive sur l’évolution des symptômes cliniques, la destruction articulaire, la fonctionnalité et la qualité de vie à long terme.

Il est dès lors recommandé de référer le plus rapidement possible à un rhumatologue tout patient susceptible d’être atteint d’une polyarthrite rhumatoïde et, lorsque le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde est confirmé, d’instaurer sans délai un traitement de fond par un DMARD. Le traitement sera ensuite évalué régulièrement (tous les 2 mois) et adapté de façon à atteindre l’objectif visé dans un délai de 3 à 6 mois (« treat to target »).


Traitement de fond

De nombreux médicaments sont proposés comme traitement de fond. Parmi ceux-ci, on distingue les DMARD classiques, tels le méthotrexate, le léflunomide, la sulfasalazine, les antipaludéens chloroquine et hydroxychloroquine, et les DMARD plus récents, en particulier les agents biologiques, tels les inhibiteurs du TNF (adalimumab, certolizumab, étanercept, golimumab, infliximab), l’abatacept, le rituximab et le tocilizumab. Il n’existe plus de spécialités à base de sel d’or en Belgique. Bien que les glucocorticoïdes ne soient pas considérés comme DMARD, ils exercent aussi un effet favorable sur l’évolution de la maladie.


Quel est le traitement de premier choix ?

Le méthotrexate est efficace à la fois sur les symptômes cliniques et sur les signes radiologiques de la polyarthrite rhumatoïde et représente le traitement de premier choix. Le traitement est administré par voie orale en une prise par semaine; la dose de départ est généralement de 7,5 à 15 mg par semaine et celle-ci peut être augmentée progressivement jusqu’à 25 mg par semaine. La dose hebdomadaire peut éventuellement être fragmentée en 3 prises à 12 heures d’intervalle. Les principaux effets indésirables du méthotrexate aux doses utilisées dans la polyarthrite rhumatoïde consistent en une hépatotoxicité, des troubles gastro- intestinaux, des troubles hématologiques et rarement une atteinte pulmonaire. La déficience en acide folique peut augmenter la toxicité du méthotrexate, et l’administration d’acide folique (en préparation magistrale) à raison de 5 à 10 mg par semaine, soit en prises journalières (1 mg par jour), soit en une prise hebdomadaire (5 mg par semaine), permet de diminuer certains effets indésirables du méthotrexate (p. ex. les troubles gastro-intestinaux et hématologiques) [voir Folia d' avril 2006 ].

Le léflunomide et la sulfasalazine peuvent être des alternatives pour le traitement précoce en cas de contre-indication ou d’intolérance au méthotrexate, mais leur efficacité et leur innocuité sont moins bien étayées. Les antipaludéens chloroquine et hydroxychloroquine paraissent moins efficaces que les autres DMARD mais ils sont parfois utilisés, p. ex. dans les formes plus légères de polyarthrite rhumatoïde ou en association. Le léflunomide et le méthotrexate sont contre-indiqués pendant la grossesse, mais aussi avant la conception (pendant 3 à 6 mois avant la conception pour le méthotrexate, pendant 1 à 2 ans pour le léflunomide).


Monothérapie ou association de DMARD ?

Il est généralement admis que les patients avec un pronostic favorable répondent souvent bien à une monothérapie par le méthotrexate. Par contre, les patients atteints d’une forme grave et agressive répondent mieux à un schéma de départ comportant également des glucocorticoïdes. Des études ont montré que l’association d’un autre DMARD (DMARD classique ou agent biologique) au méthotrexate augmente son efficacité à la fois sur les symptômes cliniques et sur les signes radiologiques de la polyarthrite rhumatoïde.

  • Selon les recommandations de EULAR, l’administration d’un DMARD classique (en général le méthotrexate), éventuellement en association à des glucocorticoïdes à faible dose (max. 10 mg de prednisolone ou équivalent par jour), constitue le traitement de première intention au stade précoce de la maladie. En cas d’efficacité insuffisante après 6 mois de traitement par le méthotrexate, il convient d’associer un autre DMARD classique. Un agent biologique, en général un inhibiteur du TNF, peut être associé au méthotrexate en l' absence de réponse aux DMARD classiques et en présence de facteurs de pronostic défavorables (p. ex. un taux élevé d’anticorps tel que le facteur rhumatoïde ou les anticorps anti-CCP, un score élevé d’activité de la maladie, des paramètres inflammatoires élevés, l’apparition rapide d’érosions articulaires). Il ressort toutefois d' un article paru récemment dans le British Medical Journal que la plus-value des agents biologiques semble limitée en valeur absolue.
  • Selon les recommandations de NICE, il est préférable de proposer d’emblée une association de DMARD classiques (méthotrexate + au moins un autre DMARD classique) et de glucocorticoïdes à court terme, sauf en cas de contre-indication (p. ex. en raison d’une co-morbidité ou en cas de grossesse). Les inhibiteurs du TNF ne sont à envisager qu’en cas d’efficacité insuffisante d’au moins deux DMARD classiques (dont le méthotrexate) administrés pendant 6 mois. Il n’existe actuellement pas de consensus permettant de privilégier une de ces deux approches. Il convient également de tenir compte des conditions de remboursement de l’INAMI (voir plus loin).

Quel est le rôle des glucocorticoïdes ?

Outre leur effet symptomatique anti-inflammatoire, les glucocorticoïdes exercent aussi un effet favorable sur l’évolution de la maladie. Une revue systématique d’études randomisées a montré que l’administration de glucocorticoïdes par voie orale (7,5 à 10 mg/jour de prednisolone ou équivalent) en association à un DMARD ou à une association de DMARD diminue la destruction articulaire et améliore les symptômes. Etant donné que les glucocorticoïdes diminuent rapidement l’activité de la maladie, ils peuvent être utiles lors de l’instauration d’un traitement de fond (parfois à dose plus élevée avec ensuite diminution de la dose). Vu les risques d’un traitement prolongé par des glucocorticoïdes, il est toutefois préférable d’arrêter ce traitement ou de maintenir la dose aussi faible que possible dès que les symptômes sont sous contrôle.


Les agents biologiques

Les agents biologiques regroupent les inhibiteurs du TNF (adalimumab, certolizumab, étanercept, golimumab, infliximab) ainsi que l’abatacept, le rituximab et le tocilizumab.

  • Vu la plus grande expérience avec les inhibiteurs du TNF, ces derniers sont actuellement un premier choix lorsque le recours à un agent biologique s’avère nécessaire, p. ex. en cas d’efficacité insuffisante d’une association de DMARD classiques. En l’absence d’études comparatives directes entre les différents inhibiteurs du TNF, il n’est pas possible de privilégier l’un de ces médicaments par rapport aux autres. Les inhibiteurs du TNF sont en principe administrés en association avec le méthotrexate, étant donné la plus grande efficacité de cette association par rapport à chacun des médicaments utilisés séparément. Au stade précoce de la maladie, il n’est pas prouvé que l’association d’emblée d’un inhibiteur du TNF et d’un DMARD classique soit plus efficace que l’association de glucocorticoïdes et d’un DMARD classique. Il convient en outre de tenir compte de leur coût et des conditions de remboursement [N.d.l.r.: en Belgique, les inhibiteurs du TNF bénéficient d’une intervention de l’INAMI dans le cadre de la polyarthrite rhumatoïde uniquement en cas de réponse insuffisante à l’utilisation optimale préalable d’au moins deux DMARD classiques (successivement ou en association), dont le méthotrexate (situation au 01/08/11)]. Les principaux effets indésirables des inhibiteurs du TNF consistent en des réactions allergiques (locales et générales) et en une sensibilité accrue aux infections bactériennes ou virales, avec réactivation possible de la tuberculose [voir Folia de septembre 2005 ]. Il est suggéré que l’emploi de ces médicaments est associé à un risque accru de lymphome [voir Folia de janvier 2010 ], mais il n’est pas clairement prouvé que ce risque soit plus élevé chez les patients traités par un inhibiteur du TNF que chez les autres patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde indépendamment de tout traitement. Les RCP des spécialités à base d' un inhibiteur du TNF déconseillent l’utilisation pendant la grossesse vu le manque de données. Avec certains inhibiteurs du TNF, l’expérience- bien que limitée- paraît toutefois rassurante et il est dès lors suggéré que les inhibiteurs du TNF pourraient être une alternative lorsque des DMARD tératogènes, tels le méthotrexate et le léflunomide, doivent être arrêtés préalablement à une grossesse.
  • Selon NICE et EULAR, en l’absence de réponse ou en cas de mauvaise tolérance aux inhibiteurs du TNF, d’autres agents biologiques tels que l’abatacept, le rituximab ou le tocilizumab peuvent être envisagés, de préférence en association au méthotrexate. Les données disponibles ne permettent pas de privilégier l’un de ces médicaments par rapport aux autres. [N.d.l.r.: en Belgique, l’abatacept et le tocilizumab bénéficient d’une intervention de l’INAMI selon les mêmes conditions que pour les inhibiteurs du TNF, tandis que le rituximab n’est remboursé qu’en cas d’échec d’un traitement de fond comportant au moins un inhibiteur du TNF]. Comme tous les immunomodulateurs, ces médicaments peuvent favoriser l’apparition d’infections. Vu l’absence de données, ces agents biologiques sont à éviter pendant la grossesse et chez les femmes qui envisagent une grossesse.

Arrêt du traitement

Chez les patients qui présentent une rémission clinique persistante, la question se pose souvent de savoir si le traitement de fond peut être diminué ou arrêté. L’arrêt du traitement de fond peut provoquer une poussée inflammatoire et une diminution progressive et lente du traitement de fond n’est envisageable qu’en cas de rémission prolongée (plus de 6 mois), et en concertation avec le rhumatologue et le patient.


Références

Anonymous. National Institute for Health and Clinical Excellence. Rheumatoid arthritis.The management of rheumatoid arthritis in adults. NICE clinical guideline 79, February 2009 (via www.nice.org.uk )

Anonymous.: EULAR Task Force. EULAR recommendations for the management of rheumatoid arthritis with synthetic and biological disease-modifying antirheumatic drugs. Ann Rheum Dis 2010; 69: 964-75 (doi:10.1136/ard.2009.126532)

Knevel R, Schoels M et al.: Current evidence for a strategic approach to the management of rheumatoid arthritis with disease-modifying antirheumatic drugs: a systematic literature review informing the EULAR recommendations for the management of rheumatoid arthritis. Ann Rheum Dis 2010; 69: 987-94 (doi:10.1136/ard.2009.126748)

Tugwell P, Singh JA et al.: Biologicals for rheumatoid arthritis. Brit Med J 2011; 343: d4027 (doi:10.1136/bmj.d4027)

Verschueren P et Westhovens R.: Optimal care for early RA patients: the challenge of translating scientific data into clinical practice. Rheumatology 2011; 50: 1194-200 (doi: 10.1093/rheumatology/ker131)