Patients souffrant de douleurs dentaires: un groupe à risque important pour une intoxication accidentelle au paracétamol

Les patients souffrant de douleurs dentaires semblent constituer un groupe à risque important pour une intoxication accidentelle au paracétamol. Une prise trop fréquente de paracétamol à doses trop élevées (attention aux nombreuses associations qui contiennent du paracétamol!) peut entraîner une hépatotoxicité grave, particulièrement en présence de facteurs de risque. Chez un patient atteint de douleurs dentaires, il importe de s’informer, dès le premier contact, de la quantité d’antidouleurs qui a déjà été ingérée, en particulier de paracétamol.

- Parmi les patients admis aux urgences en raison d’une intoxication accidentelle au paracétamol, les douleurs dentaires constituent la raison principale de la prise de paracétamol. C’est ce qui ressort de plusieurs études observationnelles, provenant notamment des Etats-Unis (étude cas-témoins1), de la France (notifications spontanées2) et du Royaume-Uni (étude de cohorte rétrospective3). Au moment où un patient atteint de douleurs dentaires contacte un médecin, un dentiste ou un pharmacien, il est important de lui demander s’il a déjà pris des antidouleurs, en particulier du paracétamol, et en quelle quantité. Des données indiquent en effet que les patients souffrant de douleurs dentaires prennent parfois pendant trop longtemps et trop fréquemment du paracétamol, parfois à doses trop élevées, risquant ainsi une intoxication au paracétamol.

- Le fait de retarder trop longtemps les visites chez le dentiste (par exemple par crainte d’une intervention ou parce que le coût constitue un obstacle) ou l’accès difficile aux soins dentaires urgents sont des facteurs qui peuvent jouer un rôle dans la consommation excessive de paracétamol par les patients souffrant de douleurs dentaires. Par ailleurs, le patient combine, parfois sans s’en rendre compte, plusieurs médicaments contenant du paracétamol. Il existe en effet de nombreuses associations dont on oublie parfois qu’elles contiennent du paracétamol. Nombre de médicaments contenant du paracétamol sont en vente libre, ce qui peut faire penser à tort au patient que le médicament est inoffensif. Des conditionnements contenant au total plus de 10,05 grammes de paracétamol ne sont disponibles que sur prescription ou sur “demande écrite du patient”, mais comme nous l’écrivions dans les Folia de décembre 2003 la question reste de savoir si le fait d’exiger une demande écrite permet d’éviter les problèmes liés à un surdosage de paracétamol.

- Le paracétamol existe comme spécialité monocomposée sous de nombreux noms de spécialité; il y a aussi de nombreuses associations contenant du paracétamol (situation au 1/1/2018):
    • paracétamol (400 mg / 500 mg) + caféine : Algostase®, Antigriphine®, Lonarid N®, Mann®, Panadol Plus®, Croix Blanche®.
    • paracétamol (200 mg / 250 mg / 400 mg) + acide acétylsalicylique + caféine : Excedryn®, Perdolan Compositum®, Troc®
    • paracétamol (200 mg) + acide acétylsalicylique + acide ascorbique : Afebryl®
    • paracétamol (500 mg) + codéine : Algocod®, Dafalgan Codeine®.
    • paracétamol (500 mg) + codéine + caféine : Nevrine Codeine®.
    • paracétamol (325 mg) + tramadol : Algotra®, Pontalsic®, Tramadol/Paracétamol EG, Tramadol/Paracétamol KrKa®, Tramadol/Paracétamol Sandoz®, Tramadol/Paracétamol Teva®, Zaldiar®.
    • paracétamol (500 mg) + pseudo-éphédrine : Niocitran®, Parasineg®, Sinutab®.
    • paracétamol (240 mg) + chlorphénamine : Rhinofebryl®
    • paracétamol (33,3 mg/ 5 ml) + benzoate + guaïfénésine + oxomémazine : Toplexil®
- La spécialité à base de paracétamol à libération modifiée (Panadol Retard®) sera probablement retirée du marché en 2018 (voir aussi la Note au bas de cet article).

- On sait que le paracétamol, en cas de surdosage aigu (à partir de 10 grammes chez un adulte, à partir de 150 mg/kg chez l’enfant), peut provoquer une atteinte hépatique grave, nécessitant parfois une greffe hépatique ou pouvant même avoir une issue fatale. Cependant, une atteinte hépatique grave peut également survenir en cas de prises répétées de doses suprathérapeutiques. Des données américaines ont révélé qu’en cas de prises répétées, la dose journalière médiane de paracétamol associée à une hépatotoxicité était de 5 à 7,5 g par jour. En présence de facteurs de risque, une hépatotoxicité peut déjà apparaître en cas de doses moins élevées de paracétamol ingéré, aussi bien après un surdosage aigu qu’après un usage chronique [voir Folia d'avril 2011]. Parmi les facteurs de risque, on compte le jeûne, la malnutrition chronique, un faible poids corporel (< 50 kg chez l’adulte), un âge avancé, une insuffisance hépatique, la dépendance à l’alcool, une insuffisance rénale grave. L’utilisation d’inducteurs enzymatiques des CYP (carbamazépine, phénytoïne, phénobarbital, primidone, rifampicine) pourrait également constituer un facteur de risque.

L’hépatoxicité du paracétamol est provoquée par un métabolite (N-acétyl-p-benzoquinone-imine ou NAPQI) qui ne se forme que de manière limitée en circonstances normales et qui est entièrement neutralisé par liaison au glutathion. En cas de surproduction du métabolite (p.ex. en cas de surdosage) ou en cas de déficit en glutathion (p.ex. en cas de jeûne ou de malnutrition), le glutathion disponible est rapidement saturé, et le métabolite non lié est en mesure d’exercer son action toxique sur le foie [voir aussi le site Web du Centre Antipoisons].

- Il est essentiel de s’informer, dès le premier contact dû à des douleurs dentaires, sur la quantité de paracétamol déjà ingérée. En effet, le patient atteint d’une intoxication au paracétamol peut rester entièrement asymptomatique durant les premières 24 heures, ou ne présenter que des symptômes non spécifiques (nausées, vomissements, malaise), les signes d’une atteinte hépatique (douleur au quadrant supérieur droit, ictère, encéphalopathie hépatique) ne survenant qu’ultérieurement. En cas de suspicion d’une intoxication au paracétamol, un renvoi rapide vers les services d’urgences s’impose, associé si nécessaire à l’administration par voie intraveineuse de N-acétylcystéine, donneur de glutathion. [Les détails concernant la prise en charge d’une intoxication au paracétamol sortent du cadre du présent article; nous vous renvoyons pour cela au site Web du Centre Antipoisons].

- Le paracétamol constitue le premier choix pour le traitement symptomatique des douleurs nociceptives (non neuropathiques) et de la fièvre, mais il convient de ne jamais perdre de vue le danger d’intoxication. Il est important de respecter la posologie.

Posologie
  • Adulte ≥ 50 kg:

    • par voie orale : 500 mg à 1 g, jusqu’à 4 x p.j., maximum 4 g p.j.; en présence de facteurs de risque* maximum 3 g p.j.; en cas d’insuffisance rénale, respecter un intervalle de 6 à 8 heures entre les doses.

    • par voie parentérale : jusqu’à maximum 4 x 1 g p.j., moins en présence de facteurs de risque*

  • Enfant et adulte < 50 kg:

    • par voie orale : 15 mg/kg jusqu’à 4 x p.j. ou 10 mg/kg jusqu’à 6 x p.j., maximum 60 mg/kg/jour; chez l’adulte < 50 kg avec facteurs de risque*: maximum 2 g p.j.

* les facteurs de risque pour l’hépatotoxicité sont entre autres : jeûne, malnutrition chronique, âge avancé, insuffisance hépatique, alcoolisme chronique, insuffisance rénale sévère [voir aussi Répertoire, chapitre 8.2.1.]

- Il est possible qu’en plus du paracétamol, d’autres analgésiques (par exemple l’acide acétylsalicylique, l’ibuprofène, le tramadol etc.) puissent parfois être ingérés de manière excessive en cas de douleurs dentaires et également entraîner des intoxications accidentelles.

 

Note

Contrairement à ce que l’on pense parfois, la prise répétée de doses suprathérapeutiques de paracétamol peut provoquer une intoxication avec de graves lésions hépatiques, comme le souligne à juste titre cet article. Un surdosage en paracétamol nécessite une évaluation urgente pour déterminer si l’administration de l’antidote N-acétylcystéine est utile. Cette évaluation lors de cette prise répétée n’est pas facile à réaliser car, contrairement à une intoxication aiguë, on ne peut pas se fier à un nomogramme contenant la concentration plasmatique du paracétamol. L’évaluation doit se faire sur base d’une estimation des risques de troubles hépatiques, qui doit se baser sur plusieurs facteurs. Dans ce contexte, nous aimerions souligner qu’en cas de surdosage de paracétamol avec une préparation à libération modifiée (Panadol Retard®), il est déjà question d’une exposition répétée dès l’apport initial, avec les mêmes problèmes mentionnés ci-dessus concernant l’évaluation d’une administration de N-acétylcystéine. De plus, il peut y avoir confusion parce que le patient ne communiquera pas toujours s’il prenait déjà ou non une préparation à libération modifiée ou peut-être même une combinaison des deux. L'Agence européenne des médicaments (EMA) a récemment décidé, compte tenu des risques excessifs associés au surdosage, que les préparations de paracétamol à libération modifiée doivent être retirées du marché [voir “Communiqué par le Centre de pharmacovigilance” dans ce numéro et le communiqué de l’EMA du 15/12/17].

Sources générales

  • Guggenheimer J en Moore PA. The therapeutic applications of and risks associated with acetaminophen use. A review and update. JADA 2011;142(1):38-44
  • Nayyer NV, Byers J en Marney C. Identifying adults at risk of paracetamol toxicity in the acute dental setting: development of a clinical algorithm. British Dental Journal 2014;216:229-35 (doi: 10.1038/sj.bdj.2014.146)

Sources spécifiques

1 Vogel J, Heard KJ, Carlson C, Lange C en Mitchell G. Dental pain as a risk factor for accidental acetaminophen overdose: A case control study. Am J Emerg Med. 2011;29(9):1125–9 (doi: 10.1016/j.ajem.2010.08.006)
2 Clement C, Scala‐Bertola J, Javot L, Royer‐Morrot MJ, Gillet P et al. Misuse of acetaminophen in the management of dental pain. Pharmacoepidemiology and drug safety 2011; 20: 996–1000 (doi: 10.1002/pds.2171)
3 Siddique I, Mahmood H en Mohammed-Ali R. Paracetamol overdose secondary to dental pain: a case series. British Dental Journal 2015;219:E6 (doi: 10.1038/sj.bdj.2015.706), avec commentaire (Rice S. British Dental Journal 2019;263)