Les statines dans la prévention cardio-vasculaire: état de la question

Un certain nombre de nouvelles règles concernant le remboursement des hypolipidémiants sont entrées en vigueur en Belgique le 1er décembre 2003 (voir site web de l’INAMI: http://www.inami.fgov.be/other/FR/drug/medical-products/index.asp cliquez sur "chapitre IV"). Le but de cet article n’est pas de discuter ces règles; des informations peuvent être obtenues sur le site de l’INAMI http://www.inami.be/care/FR/doctors/statine , ainsi qu’une discussion sur les conditions de remboursement des spécialités à base de simvastatine qui ne sont pas toujours identiques.

Nous voulons ici attirer l’attention sur la nouvelle règle selon laquelle toutes les spécialités à base d’une statine sont partiellement remboursées (catégorie b) chez les patients qui présentent à la fois

  • et un taux de cholestérol total supérieur ou égal à 190 mg/dl (ou un taux de LDL-cholestérol supérieur ou égal à 115 mg/dl)
  • et un risque accru d’accidents cardio-vasculaires. Un risque accru signifie:
    • soit des antécédents d’une affection artérielle (accident coronaire ou cérébro-vasculaire, ou artériopathie périphérique),
    • soit un risque cardio-vasculaire calculé supérieur à 20 % à 10 ans (calculé sur base de la table de risque de l’European Task Force 1998, voir note).

Les hypolipidémiants autres que les statines (fibrates, résines échangeuses d’anions, acipimox) ne sont remboursés chez ces patients que lorsque les statines ne sont pas bien tolérées, sont contre-indiquées ou insuffisamment efficaces en monothérapie; les fibrates sont également remboursés chez ces patients lorsque la triglycéridémie est supérieure à 190 mg/dl ou lorsque le taux de HDL-cholestérol est inférieur à 40 mg/dl.

Quelles sont les preuves que les statines ont bien un effet favorable sur le pronostic chez ces patients (avec un taux de cholestérol élevé et un risque cardio-vasculaire élevé)? Il ressort des nombreuses études réalisées à ce sujet que les statines ont effectivement une influence favorable sur la morbidité et la mortalité, même si l’augmentation du taux de cholestérol est faible ou si le risque d’affection cardio-vasculaire est peu élevé. Bien entendu, le bénéfice escompté est plus marqué chez les patients avec un risque élevé d’accidents cardio-vasculaires, soit en raison d’une affection cardio-vasculaire (c.-à-d. en prévention secondaire), soit en raison d’un risque important évalué sur base des taux lipidiques, des chiffres tensionnels, de l’existence d’un diabète et d’une obésité, du tabagisme (c.-à-d. en prévention primaire). Les "number needed to treat" (c.-à-d. le nombre de patients devant être traités dans une étude pendant une certaine période afin de prévenir un seul événement clinique, dans ce cas un accident cardio-vasculaire) que l’on retrouve dans les différentes études en prévention primaire ou secondaire montrent – comme on peut s’y attendre- que pour éviter un accident cardio-vasculaire dans le futur, il faudra traiter un nombre beaucoup plus important de personnes lorsqu’il s’agit de patients à faible risque que lorsqu’il s’agit de patients à risque élevé. Dans les différentes directives (et ceci est aussi repris dans les critères de remboursements de l’INAMI), il est proposé de ne pas traiter par des médicaments les patients à faible risque: il est en effet peu probable que ces patients en tirent un bénéfice, et celui-ci ne contrebalance souvent pas des arguments tels le coût et le risque d’effets indésirables. [Voir Note ci-dessous, et les Folia de septembre 2001 et de juillet 2002 concernant le risque de toxicité musculaire avec les statines et le retrait du marché de la cérivastatine après décès suite à une rhabdomyolyse].

Lorsque l’on décide de prescrire une statine, comment choisir entre les différentes statines ? Le choix peut se faire d’une part en fonction de l’effet sur des critères d’évaluation intermédiaires (par ex. les taux de cholestérol), et d’autre part- et ceci est préférable- en fonction de l’effet sur les critères d’évaluation majeurs (morbidité et mortalité). Lors de ce choix, il convient également de tenir compte des interactions possibles.

  • Effet sur des critères d’évaluation intermédiaires. Les statines diffèrent entre elles quant à leur effet sur les taux de cholestérol; des études comparatives rigoureuses tenant compte des doses utilisées font toutefois défaut. Par ailleurs, outre la réduction du taux de cholestérol, d’autres propriétés des statines sont probablement aussi importantes, par ex. l’effet stabilisateur sur les plaques (effet pléiotrope).
  • Effet sur des critères d’évaluation majeurs. Il n’est pas établi si, pour un même effet sur les lipides, toutes les statines ont la même influence favorable sur le pronostic. Des études comparatives portant sur la morbidité et la mortalité font défaut. La plupart des données quant à un effet favorable sur la morbidité et la mortalité en prévention primaire et en prévention secondaire concernent la pravastatine et la simvastatine; il existe aussi des données concernant l’atorvastatine et la fluvastatine, mais celles-ci sont moins nombreuses. On ne dispose actuellement d’aucune donnée quant à l’influence de la rosuvastatine récemment introduite sur la morbidité et la mortalité.
  • Interactions possibles. Les statines présentent des différences quant à leur métabolisme, et dès lors quant à la possibilité d’interactions avec d’autres médicaments. Ces différences influencent le risque de toxicité musculaire [voir les Folia de septembre 2001 et juillet 2002 ]. L’atorvastatine et la simvastatine sont métabolisées par le CYP3A4; les substances qui inhibent le CYP3A4 (par ex. certains macrolides et dérivés azoliques, les inhibiteurs des protéases, le jus de pamplemousse) peuvent augmenter les taux plasmatiques de ces deux statines, avec un risque plus élevé de toxicité musculaire. Le risque de toxicité musculaire lié à n’importe quelle statine augmente lors de l’usage concomitant d’un fibrate, d’acide nicotinique ou de ciclosporine. L’expérience à long terme est plus faible avec la rosuvastatine qu’avec les autres statines (voir Note ci-dessous).

Un mode de vie sain est important. Des mesures telles l’arrêt du tabagisme, une activité physique suffisante, un régime pauvre en acides gras saturés et riche en fruits, légumes et poissons, ainsi qu’une restriction de la consommation d’alcool, doivent toujours être encouragées en prévention des affections cardio-vasculaires, mais aussi en prévention d’autres affections telles le diabète ou l’ostéoporose. L’arrêt du tabagisme par exemple entraîne une diminution du risque au moins aussi importante que celle obtenue lors d’un traitement par statines. L’instauration d’un traitement médicamenteux, p. ex. par des statines, ne doit pas faire oublier ces mesures. [Concernant les fondements de l’impact des adaptations du style de vie, voir aussi MeReC Briefing n° 19 (2002), via http://www.npc.co.uk/MeReC_Briefings/2002/briefing_no_ 19.pdf ].


Notes

  • Pour calculer le risque cardio-vasculaire, les critères de remboursement de l’INAMI renvoient à la table de risque de l’European Task Force 1998 Eur Heart J 19 : 1434-1503(1998) ; plus d’informations via le site http://www.inami.be/care/FR/doctors/statine , à partir duquel les tables peuvent être téléchargées]. Dans ces tables, le "risque coronaire" est calculé sur base des données de l’étude Framingham (Etats-Unis). D’autres tables de risque basées sur l’étude Framingham sont proposées, p. ex. celle de la New Zealand Heart Foundation,, de la Joint British Societies et de la Nederlands Huisartsengenootschap. Des études montrent que lors de l’utilisation en Europe des données provenant de l’étude Framingham, le risque absolu d’affections coronariennes est systématiquement surestimé, ce qui peut s’expliquer entre autres par des différences régionales de risque [ Brit Med J 327 : 1267-1272(2003) avec un éditorial 327 : 1238-1239(2003)]. Des tables de risque ont récemment été proposées sur base de données européennes ("Score"); celles-ci s’appliquent probablement mieux à des pays comme la Belgique. Les tables Score ne permettent pas de calculer le "risque coronaire" mais bien le "risque de mortalité cardio-vasculaire"; concernant le Score Project Group, voir aussi http://www.escardio.org/HeartScore et les publications dans l’ Eur Heart J [24 : 987-1003(2003) et 24 : 1601- 1610(2003)]]. Les différentes tables de risque sont discutées de manière critique dans le Minerva [3 : 54-58(2004)via http://www.minerva-ebm.be ].
  • On retrouve dans la littérature des discussions quant à l’innocuité de la rosuvastatine, particulièrement en ce qui concerne la toxicité musculaire (et d’autres problèmes éventuels comme une atteinte rénale) [éditorial dans le Lancet 362 : 1341(2003) avec réactions dans le 362 : 1498 et 362 : 1854-1856(2003) Lancet 363 : 871(2004) La Revue Prescrire 24 : 245-248(2004) Worst Pills Best Pills 9 : 73-76(2003)et 10 : 17-19(2004)]. Les cas de rhabdomyolyse lors d’un traitement par la rosuvastatine ont été récemment évalués au niveau européen [voir aussi Bon à savoir du 10 juin 2004 sur notre site web http://www.cbip.be]. Il en ressort que le risque de rhabdomyolyse dû à la rosuvastatine augmente clairement à des doses supérieures à 20 mg par jour (40 mg par jour est la dose journalière maximale acceptée). Chez bon nombre de patients qui ont développé une rhabdomyolyse, le traitement avait été débuté à une dose supérieure à la dose recommandée de 10 mg par jour, et/ou en présence de facteurs de risque de toxicité musculaire (p. ex. insuffisance rénale, abus d’alcool, traitement concomitant par la ciclosporine ou des fibrates). Il est actuellement difficile, voire impossible, de conclure si le risque de toxicité musculaire est plus important avec la rosuvastatine qu’avec les autres statines. Selon les rapports de l’évaluation européenne, la prudence est de rigueur, surtout lorsque la rosuvastatine est utilisée à des doses supérieures à 20 mg par jour. La notice de CRESTOR a été adaptée sur base de cette évaluation.