Antipsychotiques classiques versus antipsychotiques atypiques dans le traitement de la schizophrénie


Abstract

Les antipsychotiques sont utilisés chez les patients atteints de schizophrénie pour le traitement de la phase aiguë, et ils sont ensuite souvent poursuivis à long terme en prévention des récidives. Cet article discute des données sur l’efficacité des antipsychotiques classiques et atypiques, ainsi que de leurs effets indésirables. Il ressort de cette discussion que la distinction entre les antipsychotiques "classiques" et "atypiques" n’est pas absolue, et que les avantages avancés avec les médicaments atypiques ne sont pas toujours démontrés. En finale, le choix de l’antipsychotique sera souvent déterminé en fonction des effets indésirables et du coût.

La schizophrénie est un syndrome qui se caractérise par divers problèmes cognitifs, émotionnels et comportementaux. Les symptômes peuvent être subdivisés en trois groupes: les symptômes positifs, les symptômes négatifs et les troubles cognitifs. Les symptômes positifs consistent entre autres en des hallucinations (surtout auditives), des idées délirantes, un discours incohérent; les symptômes négatifs consistent entre autres en de l’apathie, une diminution de la vie affective, une pauvreté du langage et des idées; les troubles cognitifs consistent entre autres en des troubles de concentration et de la mémoire. Les médicaments ne représentent qu’une partie de la pris en charge du patient schizophrène. Cet article discute de la place des antipsychotiques.

Le Répertoire Commenté des Médicaments (chapitre 6.2.) fait la distinction entre les classes suivantes d’antipsychotiques (pour les noms de spécialité, voir Répertoire).

  • (1) les phénothiazines (lévomépromazine, prothipendyl) et les thioxanthènes (flupenthixol, zuclopenthixol);
  • (2) les butyrophénones (brompéridol, benpéridol, dropéridol, halopéridol, melpérone, pipampérone) et les diphénylpipéridines (fluspirilène, penfluridol, pimozide);
  • (3) les benzamides (amisulpiride, lévosulpiride, sulpiride, véralipride);
  • (4) les antipsychotiques atypiques (l’aripiprazole, la clozapine, l’olanzapine, la quétiapine et la rispéridone);
  • (5) la clotiapine.

Les trois premières classes sont souvent désignées comme les antipsychotiques "classiques"; certains considèrent aussi le sulpiride et l’amisulpiride comme des antipsychotiques atypiques.

La distinction entre les antipsychotiques "classiques" et "atypiques" se fait sur base (1) du risque d’effets indésirables extrapyramidaux et d’hyperprolactinémie, (2) de l’effet sur les symptômes négatifs de schizophrénie et/ou (3) de l’efficacité dans la schizophrénie dite "résistante au traitement". Il est toutefois bien établi, certainement pour certains médicaments, que cette distinction n’est pas absolue.

La place des antipsychotiques dans la schizophrénie a fait l’objet d’études contrôlées par placebo et d’études comparatives (antipsychotiques classiques entre eux, antipsychotiques classiques versus atypiques, antipsychotiques atypiques entre eux). Il s’agit souvent d’études de petite taille et de courte durée, utilisant des critères d’évaluation et des échelles de mesure disparates, et avec un pourcentage élevé d’abandons, entre autres en raison de la mauvaise observance thérapeutique chez les patients schizophrènes. Les symptômes négatifs sont aussi plus difficiles à traiter que les symptômes positifs. De plus, dans les études comparatives entre les antipsychotiques atypiques et classiques, l’halopéridol a souvent été utilisé à une dose assez élevée (p. ex. plus de 12 mg par jour) par rapport à la dose de l’antipsychotique atypique, en raison de quoi l’incidence des effets indésirables (en particulier des effets indésirables extrapyramidaux) était élevée avec l’halopéridol.


Efficacité

Sur base de ces études et de nombreuses revues systématiques et méta-analyses (entre autres par la Cochrane Collaboration), et tenant compte des imperfections des études, on peut tirer les conclusions suivantes.

  • Tous les antipsychotiques, classiques et atypiques, ont un effet favorable sur les symptômes positifs de la schizophrénie. Ils sont efficaces dans la phase aiguë et lorsque le traitement est poursuivi, ils diminuent le risque de récidive.
  • Certaines études montrent une plus grande efficacité sur les symptômes négatifs avec les antipsychotiques atypiques par rapport aux antipsychotiques classiques, mais à l’exception de la clozapine, on ne dispose pas de preuves suffisantes provenant d’études rigoureuses (p. ex. avec administration des médicaments à leurs doses habituelles) d’un effet bénéfique sur les symptômes négatifs.
  • Il n’a été clairement prouvé que pour la clozapine qu’elle est efficace dans la schizophrénie "résistante au traitement" (c.-à-d. amélioration clinique insuffisante malgré l’utilisation séquentielle d’au moins deux antispychotiques – dont au moins un antipsychotique atypique autre que la clozapine – à la dose recommandée pendant 6 à 8 semaines).
  • Il n’est pas prouvé que les antipsychotiques classiques diffèrent entre eux quant à leur efficacité.
  • Il n’est pas prouvé que les antipsychotiques atypiques, autres que la clozapine, diffèrent entre eux quant à leur efficacité.

Effets indésirables

Les effets indésirables des antipsychotiques sont très variés et consistent surtout en des symptômes extrapyramidaux aigus précoces, des dyskinésies tardives, une diminution du seuil épileptogène, une hyperprolactinémie, de la sédation, un allongement de l’intervalle QT (avec risque possible de torsades de pointes) [voir aussi Folia de novembre 2003 ], un syndrome neuroleptique malin. [Pour plus de détails, voir le Répertoire Commenté des Médicaments].

La question de savoir si les antipsychotiques diffèrent entre eux quant à la fréquence des effets indésirables fait l’objet de discussions; certainement pour l’aripripazole disponible depuis peu de temps, les données concernant les effets indésirables sont encore limitées.

  • En ce qui concerne les effets indésirables extrapyramidaux aigus, il a été suggéré que le risque est plus faible avec les antipsychotiques atypiques qu’avec les antipsychotiques classiques. Ceci apparaît aussi dans certaines études, mais il n’est pas clairement démontré, sauf pour la clozapine, que les différences soient cliniquement significatives. De plus, le risque est dépendant de la dose, et dans les études comparatives, l’halopéridol était souvent utilisé à une dose assez élevée (p. ex. 12 mg ou plus par jour) par rapport à la dose de l’antipsychotique atypique.
  • Le risque de dyskinésie tardive est le plus faible avec la clozapine. On ne dispose pas de preuves suffisantes pour déterminer si, à ce sujet, il existe une différence entre les autres antipsychotiques atypiques et les antipsychotiques classiques.
  • Une hyperprolactinémie peut survenir avec les antipsychotiques classiques, et en ce qui concerne les antipsychotiques atypiques, surtout avec la rispéridone.
  • Effets indésirables métaboliques
    • Une prise de poids (surtout au cours des premiers mois du traitement) apparaît plus fréquemment avec les antipsychotiques atypiques (surtout la clozapine et l’olanzapine) qu’avec les antipsychotiques classiques.
    • Les patients schizophrènes ont un risque accru de diabète, et le risque de diabète de type 2 peut être encore majoré par l’emploi d’antipsychotiques. Le risque de diabète est probablement plus élevé avec les antipsychotiques atypiques (surtout la clozapine et l’olanzapine) qu’avec les antipsychotiques classiques [voir aussi Folia de Février 2002 ]
    • Une hypercholestérolémie et une hyperlipidémie ont surtout été associées à la prise de clozapine ou d’olanzapine.
  • L’olanzapine et la rispéridone sont associées à un risque accru d’accidents vasculaires cérébraux chez des personnes âgées présentant des symptômes psychotiques et des troubles du comportement dus à une démence [voir Folia d’ avril 2004 ]. On ne sait pas si ce risque existe uniquement pour ces deux antipsychotiques et pour cette population de patients. Les résultats d’une méta-analyse récente indiquent de plus une mortalité accrue chez ce type de patients avec n’importe quel antipsychotique atypique [ JAMA 2005; 294: 1934- 43 , avec un éditorial : 1963-5]. Il est également suggéré sur base d’une étude d’observation récente que les antipsychotiques classiques augmenteraient le risque de mortalité chez les personnes âgées de la même façon que les antipsychotiques atypiques [ N Engl J Med 2005; 353: 1335-41 , avec un éditorial : 2319-21].
  • Avec la clozapine, il existe un risque important d’agranulocytose (incidence de 1 à 2 %), justifiant un contrôle hématologique régulier.
  • Une myocardite et une cardiomyopathie sont décrites avec la clozapine.

Choix de l’antipsychotique

Les sources que nous avons consultées diffèrent entre elles dans leurs recommandations quant au choix de l’antipsychotique.

  • Dans certaines sources (Geneesmiddelenbulletin, Farmacotherapeutisch Kompas), un antipsychotique classique (p. ex. l’halopéridol à une dose pas trop élevée: 4 à 10 mg par jour) est encore toujours proposé comme premier choix, et il est recommandé de passer à un antipsychotique atypique (de préférence la rispéridone ou l’olanzapine, vu la plus grande expérience avec ces médicaments) en cas d’efficacité insuffisante ou lorsque les symptômes extrapyramidaux sont trop nombreux à la plus faible dose qui soit efficace.
  • D’autres sources (p. ex. N Engl J Med, National Institute for Health and Clinical Excellence) recommandent un antipsychotique atypique (à l’exception de la clozapine) lors d’un premier épisode aigu de schizophrénie, et ce en raison du risque moindre d’effets extrapyramidaux et de la plus grande efficacité sur les symptômes négatifs, mais, comme mentionné plus haut, on ne dispose pas- à l’exception de la clozapine- de preuves rigoureuses à ce sujet.

Finalement, les effets indésirables auront un rôle important dans le choix de l’antipsychotique; étant donné que beaucoup d’effets indésirables sont dépendants de la dose, il est important de choisir la plus faible dose qui soit efficace. Le coût est aussi un facteur important: les antipsychotiques atypiques sont beaucoup plus chers que les antipsychotiques classiques.

La clozapine doit, en raison de ses effets indésirables (surtout agranulocytose), être réservée au traitement de la schizophrénie "résistante au traitement" ou lorsque d’autres antipsychotiques ne sont pas supportés.

En cas de doute quant à l’observance du traitement, on peut opter pour une préparation dépôt pour le traitement d’entretien. On s’attend à ce que les préparations dépôt augmentent l’observance du traitement et diminuent ainsi le risque de récidives, mais ceci n’a pas été prouvé dans des études cliniques.


La durée du traitement

Vu le risque de récidive, il est recommandé de poursuivre le traitement antipsychotique après le traitement de l’épisode aigu (pendant au moins 6 semaines); selon les recommandations de NICE pendant 1 à 2 ans. Le Farmacotherapeutisch Kompas propose une durée de traitement d’entretien de 2 ans après un premier épisode psychotique, de 5 ans après un second épisode psychotique, et d’au moins 10 ans après plus de 2 épisodes. Dans les Folia d’ avril 1999 , l’attention est attirée sur l’importance de déterminer individuellement la durée du traitement antipsychotique après un premier épisode aigu de schizophrénie, en fonction du risque de récidive (tenant compte p. ex. du nombre d’épisodes aigus antérieurs, de la présence de symptômes résiduels), et du risque de dyskinésies tardives (sont considérés comme facteurs de risque: présence de symptômes extrapyramidaux aigus, âge avancé, sexe féminin, dose de l’antipsychotique).

Lorsqu’on souhaite arrêter le traitement, il convient de le faire de manière progressive: on a remarqué en effet que le risque de récidive est plus élevé lorsque le traitement est interrompu brutalement. Nous n’avons pas trouvé de détails à ce sujet.


Note

L’étude CATIE publiée récemment, a tenté de mesurer l’efficacité des antipsychotiques atypiques olanzapine, quétiapine, rispéridone et ziprasidone (non disponible en Belgique) et de l’antipsychotique classique perfénazine (non disponible en Belgique) en situation réelle ("effectiveness"). Le critère d’évaluation était le suivant: l’arrêt du traitement pour n’importe quelle raison (p. ex. manque d’efficacité ou apparition d’effets indésirables). Les résultats de cette étude randomisée étaient décourageants: plus de 70 % des patients ont arrêté leur traitement avant d’avoir atteint la durée de traitement de 18 mois initialement prévue. L’olanzapine avait le plus faible taux d’abandons du traitement, mais par rapport aux autres antipsychotiques, elle était associée plus fréquemment à des effets indésirables métaboliques tels prise de poids et élévation des taux d’hémoglobine glycosylée, de cholestérol total et de triglycérides [ N Engl J Med 2005; 353: 1209-23 et : 1286-8].


Références principales

  • Anonyme: Antipsychotica bij de behandeling van psychoses, in het bijzonder schizofrenie. I. Klinisch beeld, farmacologie en werkzaamheid. Geneesmiddelenbulletin 2003; 37: 93-100
  • Anonyme: Antipsychotica. II. Bijwerkingen, interacties en plaatsbepaling. Geneesmiddelenbulletin 2003; 37: 105-9
  • Anonyme: . Which atypical antipsychotics for schizophrenia? Drug Ther Bull 2004; 42: 57-60
  • Clinical Evidence Schizophrenia issue 13 (juin 2005): 1338-65
  • Farmacotherapeutisch Kompas, via http://www.cvzkompassen.nl/fk/
  • Freedman R.: Schizophrenia. N Engl J Med 2003; 349: 1738-49
  • Mueser KT, McGurk SR: Schizophrenia. Lancet 2004; 363: 2063-72
  • Multidisciplinaire richtlijn Schizofrenie 2005. Richtlijn voor de diagnostiek, zelforganisatie en behandeling van volwassen cliënten met schizofrenie. Onder auspiciën van de Landelijke Stuurgroep Multidisciplinaire Richtlijnontwikkeling in de GGZ; ondersteuning en begeleiding: Kwaliteitsinstituut voor de Gezondheidszorg CBO en het Trimbos-instituut. A consulter via http://www.cbo.nl/product/richtlijnen/folder20021023121843/rl_schizo_2005.pdf/view
  • National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE): via http://www.nice.org.uk
    • Guidance on the use of newer (atypical) antipsychotic drugs for the treatment of schizophrenia. Technology Appraisal Guidance n°43, juin 2002
    • Schizophrenia. Core interventions in the treatment and management of schizophrenia in primary and secondary care., Clinical Guidelines décembre 2002
  • The Cochrane Library, issue 2, 2005. Cochrane Schizophrenia Group. Abstracts via http://www.cochrane.org/cochrane/revabstr/SCHIZAbstractIndex.htm