Prévention primaire du cancer du sein: état de la question


Abstract

Il existe un grand intérêt pour la prévention primaire du cancer du sein chez les femmes présentant un risque élevé. Pour le tamoxifène, et depuis peu, aussi pour le raloxifène, un effet préventif a été démontré. Le bénéfice en chiffres absolus est toutefois limité, et il existe en outre un risque d’effets indésirables parfois graves. L’utilisation du tamoxifène ou du raloxifène dans cette indication ne peut dès lors pas être proposée de manière systématique.

Malgré les progrès dans le traitement du cancer du sein [voir entre autres les Folia de janvier 2006 ], la morbidité et la mortalité liées à cette affection restent élevées. Il existe dès lors un grand intérêt pour la prévention primaire du cancer du sein chez les femmes présentant un risque élevé, défini p. ex. sur base d’antécédents familiaux ou de l’anamnèse personnelle.

Il ressort d’études contrôlées par placebo (entre autres IBIS-I, NSABP-P1) qu’un traitement par le tamoxifène (20 mg p.j.) pendant 5 ans chez des femmes (ménopausées ou non) présentant un risque élevé, diminue le risque de cancer du sein avec des récepteurs hormonaux in situ et invasif. Dans les Folia de mars 2003 , nous avions mentionné que, d’après les auteurs d’un éditorial se rapportant à l’étude IBIS-I, les risques liés au tamoxifène (surtout accidents thrombo-emboliques et carcinome de l’endomètre) ne permettaient pas son usage en prévention primaire. Depuis, l’étude NSABP-P1 avec le tamoxifène a été publiée, avec aussi des résultats encourageants, et les données du suivi de cette étude, publiées récemment, montrent que l’effet préventif persiste jusqu’à 2 ans après l’arrêt du tamoxifène. Sur base de ces études, l’utilisation du tamoxifène dans la prévention du cancer du sein chez les femmes présentant un risque élevé, c.-à-d. en prévention primaire, figure comme indication dans les notices aux Etats-Unis.

La recherche s’oriente toutefois vers d’autres médicaments qui pourraient être utilisés dans la prévention du cancer du sein, et avec lesquels on pourrait espérer un meilleur profil d’innocuité.

Le raloxifène est, comme le tamoxifène, un modulateur sélectif des récepteurs aux estrogènes. Sur base de l’étude MORE, le raloxifène est utilisé dans le traitement de l’ostéoporose [voir Folia d’ aout 2004 ]. Dans cette étude contrôlée par placebo, une diminution importante du risque de cancer du sein invasif a aussi été constatée avec le raloxifène, mais il s’agissait seulement d’un critère d’évaluation secondaire [voir Folia de mai 2000 ]. Depuis, deux études à large échelle ont été réalisées avec le raloxifène, dans lesquelles le cancer du sein invasif était un critère d’évaluation primaire. Les résultats de ces deux études ont été publiés récemment.

  • L’étude STAR, réalisée chez des femmes ménopausées présentant un risque élevé de cancer du sein, a comparé le raloxifène (60 mg p.j.) au tamoxifène (20 mg p.j.) pendant 5 ans. Par rapport au tamoxifène, les constatations suivantes ont été faites avec le raloxifène:
    • pas de différence quant à l’incidence du cancer du sein invasif;
    • incidence accrue de cancer du sein in situ (statistiquement non significatif);
    • incidence plus faible de cancer de l’endomètre (statistiquement non significatif);
    • incidence plus faible d’accidents thrombo-emboliques et de cataracte (statistiquement significatif);
    • pas de différence quant à l’incidence d’autres cancers, de fractures, d’accidents cardiaques ischémiques, d’accidents vasculaires cérébraux, de mortalité totale et de la qualité de vie.
  • L’étude RUTH, réalisée chez des femmes ménopausées avec des antécédents d’affections coronariennes ou plusieurs facteurs de risque d’affections coronariennes a comparé le raloxifène (60 mg p.j.) et un placebo pendant 5 ans. Par rapport au placebo, les constatations suivantes ont été faites avec le raloxifène:
    • incidence plus faible de cancer du sein invasif (statistiquement significatif; risque relatif de 0,56 avec un intervalle de confiance à 95 % de 0,38 à 0,83; Number Needed to Treat ou NNT 170, c.-à-d. que dans l’étude, 170 femmes devaient être traitées pendant cinq ans par le raloxifène à la place d’un placebo pour prévenir l’apparition d’un cancer du sein invasif chez une seule femme). L’effet bénéfique a été observé tant chez les femmes présentant un risque élevé de cancer du sein que chez celles ne présentant pas un tel risque;
    • pas de différence quant à l’incidence de cancer du sein in situ (critère d’évaluation secondaire);
    • pas de différence quant à l’incidence d’accidents coronariens, de cancer de l’endomètre, de cataracte ou de mortalité totale;
    • incidence plus faible de fractures vertébrales;
    • incidence accrue de thrombo-embolies veineuses (Number Needed to Harm ou NNH 156, c.-à-d. que sur 156 femmes traitées par le raloxifène pendant cinq ans, un cas supplémentaire de thrombo-embolie veineuse est survenu par rapport au placebo), accidents vasculaires cérébraux à issue fatale (NNH 250), bouffées de chaleur, crampes aux chevilles et oedème périphérique.

Avec les inhibiteurs de l’aromatase anastrozol et exémestane, des études contrôlées par placebo ont débuté chez des femmes ménopausées présentant un risque élevé de cancer du sein.

Quelques commentaires, basés aussi sur les éditoriaux parus suite à l’étude STAR et à l’étude RUTH. Comme déjà mentionné dans les Folia de mars 2003 suite à l’étude IBIS-1 avec le tamoxifène, la prévention médicamen-teuse du cancer du sein semble une approche prometteuse, mais on ne sait Folia de mars 2003 toujours pas dans quelle mesure le risque individuel de cancer du sein doit être élevé pour que les avantages d’un traitement préventif contrebalancent les effets indésirables parfois graves du tamoxifène ou du raloxifène. Il est dès lors difficile d’encourager l’usage systématique de tamoxifène ou de raloxifène dans cette indication.

Lorsqu’on opte quand même pour un traitement préventif, il n’y a pas d’arguments permettant de faire un choix entre le tamoxifène et le raloxifène. Ces deux médicaments diminuent le risque de cancer du sein invasif contenant des récepteurs hormonaux; le tamoxifène semble plus efficace en ce qui concerne la prévention de cancer du sein in situ. Le profil d’innocuité du raloxifène est peut-être un peu plus favorable (il n’existe p. ex. pas de données quant à un risque accru de cancer de l’endomètre), mais des effets indésirables graves (p. ex. thrombo-embolie veineuse) peuvent survenir avec les deux médicaments.


Note

La prévention primaire du cancer du sein n’est pas mentionnée comme indication dans les notices belges des spécialités à base de tamoxifène, raloxifène, anastrazol ou exémestane (situation au 1erseptembre 2006).


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