Quand faut-il interrompre un traitement médicamenteux avant une intervention chirurgicale ?


Abstract

De manière générale, peu de médicaments nécessitent une prise en charge spécifique en période périopératoire. Certains médicaments, p.ex. les diurétiques, les antithrombotiques, la metformine, certains antidépresseurs et les estroprogestatifs peuvent toutefois poser des problèmes et doivent souvent être arrêtés avant une anesthésie générale. Pour d’autres médicaments, il est important au contraire de ne pas les interrompre en période périopératoire. Cet article discute des mesures à prendre avant une hospitalisation pour une intervention chirurgicale programmée; ces recommandations sont surtout basées sur des opinions d’experts.

Lors d’une intervention chirurgicale, la question se pose souvent de savoir s’il faut interrompre ou modifier le traitement médicamenteux avant l’ intervention. Certains médicaments peuvent en effet augmenter les risques liés à l’anesthésie générale et à l’intervention, et des interactions pharmacocinétiques ou pharmacodynamiques avec les anesthésiques peuvent survenir. Dans tous les cas, il convient de mettre en balance les risques liés à l’arrêt éventuel du traitement et les risques liés à sa poursuite, tout en se demandant si le médicament est vraiment indiqué.

  • De manière générale, la prise de la plupart des médicaments peut être poursuivie jusqu’au jour de l’intervention, jusqu’à deux heures avant l’induction de l’anesthésie. Si on décide qu' un médicament pris par voie orale doit être poursuivi, il peut être nécessaire de le donner temporairement par voie parentérale; si cela n’est pas possible, un recours à un autre médicament peut être indiqué.
  • Dans certains cas, il convient cependant d’arrêter temporairement le traitement. Lorsque cette interruption pose des problèmes, le médicament peut parfois être remplacé par un autre médicament, p.ex. une héparine au lieu d’un antagoniste de la vitamine K.

Les mesures médicamenteuses pendant l’anesthésie générale et la reprise du traitement médicamenteux chronique sont évaluées par l’anesthésiste en fonction du type d’intervention et de la situation du patient, et ne sont pas discutées ici.

Cet article donne quelques recommandations générales sur les mesures à prendre avant une hospitalisation pour une intervention chirurgicale programmée. Il va de soi que chez les patients présentant une maladie grave, les patients âgés et les patients polymédiqués, une évaluation préalable par l’anesthésiste, souvent en concertation avec le spécialiste dans le domaine concerné, est indispensable, surtout avant une chirurgie lourde.


Médicaments du système cardio-vasculaire

  • Les ß-bloquants ont un rôle important en prévention des accidents cardio-vasculaires, et il est recommandé de ne pas les interrompre en période périopératoire. Lorsque l’administration par voie orale n’est pas possible, l’administration intraveineuse peut être une alternative.
  • Les diurétiques peuvent entraîner une hypovolémie et une hypokaliémie, et par précaution il est recommandé de les interrompre au moins la veille de l’intervention.
  • Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, les sartans et les inhibiteurs de la rénine peuvent entraîner une hypotension périopératoire sévère et une diminution de la perfusion coronarienne, mais ils exercent un effet bénéfique sur la fonction ventriculaire gauche chez les patients en insuffisance cardiaque. La démarche à suivre fait l’objet de discussions. Il est souvent recommandé d’interrompre ces médicaments au moins 12 heures avant l’intervention lorsque ceux-ci constituent un traitement de l’insuffisance cardiaque. Lorsqu’ils constituent le traitement de base de l’hypertension, il est recommandé de ne pas interrompre le traitement; le risque d’hypotension en cas de chirurgie majeure ou d’anesthésie péridurale doit alors être pris en compte.
  • Les autres antihypertenseurs (antihypertenseurs centraux, ß-bloquants, antagonistes du calcium), les antiangoreux, les antiarythmiques et les glycosides digitaliques sont généralement poursuivis jusqu’au jour de l’intervention, entre autres pour éviter un phénomène de rebond consécutif à un arrêt brutal du traitement.

Antithrombotiques

Lors de la décision de poursuivre ou non un traitement antithrombotique en période périopératoire, il convient de mettre en balance le risque thrombo-embolique et le risque hémorragique en tenant compte du type d’intervention, du médicament utilisé et de l’affection du patient.


Antiagrégants

[voir aussi Folia de janvier 2008 et d' octobre 2009 ]

  • Acide acétylsalicylique
    • En l’absence d’une indication stricte du traitement antiagrégant, comme c’est le cas p. ex. en prévention primaire, il est recommandé d’interrompre l’acide acétylsalicylique 5 à 7 jours avant l’intervention.
    • En présence d’une indication stricte du traitement antiagrégant, p. ex. en prévention secondaire ou après une intervention endovasculaire, il est recommandé de ne pas arrêter systématiquement l’acide acétylsalicylique en période périopératoire. Lors d’une intervention comportant un faible risque hémorragique (p. ex. interventions dentaires ou cutanées, chirurgie de la cataracte, endoscopie), il est recommandé de ne pas interrompre la prise. En revanche, lorsque l' intervention comporte un risque élevé d' hémorragie, p. ex. en cas de neurochirurgie, d’amygdalectomie, de prostatectomie transuréthrale ou de chirurgie du segment postérieur de l’oeil, il est généralement recommandé d’arrêter l’acide acétylsalicylique 5 à 7 jours avant l’intervention.
    • Un traitement par l’acide acétysalicylique n’est pas une contre-indication à l’anesthésie péridurale, pour autant que le taux de plaquettes soit normal.
  • Thiénopyridines
    • Vu le risque plus élevé de complications hémorragiques avec les thiénopyridines par rapport à l’acide acétylsalicylique, il est en principe recommandé d’interrompre un traitement par le clopidogrel ou le prasugrel 7 jours avant une intervention chirurgicale, et par la ticlopidine 10 jours avant l’intervention. Toutefois, en cas d’indication majeure pour une thiénopyridine (c.-à-d. dans les 3 mois après un infarctus du myocarde ou après la mise en place d’un stent métallique ou dans les 12 mois après la mise en place d’un stent médicamenteux), le traitement antiagrégant ne peut en principe pas être interrompu et il est recommandé, si possible, de postposer l’intervention.
    • Un traitement par une thiénopyridine est une contre-indication absolue à une anesthésie péridurale.

Particulièrement en cas d’intervention urgente, la décision de poursuivre ou non le traitement antiagrégant doit se prendre en concertation avec le cardiologue. Il est recommandé dans la mesure du possible de poursuivre la prise d’acide acétylsalicylique.


Antagonistes de la vitamine K

[voir aussi Folia de février 2004 ]

  • En cas d’intervention mineure avec un faible risque d’hémorragie (p. ex. interventions dentaires ou cutanées, chirurgie de la cataracte, endoscopie), les antagonistes de la vitamine K peuvent en principe être poursuivis. Il convient cependant de vérifier l’INR avant l’intervention, avec une valeur cible de l’INR entre 2 et 3. En cas de valeur supérieure de l’INR, on peut administrer de la vitamine K1 par voie intraveineuse (1 à 5 mg).
  • En cas d’intervention majeure avec un risque élevé d’hémorragie , il est nécessaire d’interrompre temporairement les antagonistes de la vitamine K. Le délai d’arrêt du traitement dépend de la demi-vie du médicament utilisé: un délai de 4 jours est recommandé avec l’acénocoumarol (Sintrom®), de 5 jours avec la warfarine (Marevan®) et de 7 jours avec la phenprocoumone (Marcoumar®).
    • Chez les patients avec un risque thrombo-embolique élevé*, les antagonistes de la vitamine K sont remplacés par une héparine de bas poids moléculaire à dose thérapeutique. L’héparine ne peut être débutée que lorsque l’INR est inférieur à 3. La dernière injection d’héparine doit avoir lieu 12 heures avant l’intervention.
    • Chez les patients avec un faible risque thrombo-embolique, différentes options sont envisageables: (1) arrêt simple des antagonistes de la vitamine K; (2) arrêt des antagonistes de la vitamine K et substitution par une héparine de bas poids moléculaire à dose préventive; (3) diminution de la dose des antagonistes de la vitamine K 4 à 5 jours avant l’intervention, et administration éventuelle de vitamine K1 de façon à atteindre un INR entre 1,5 et 2. On ne dispose d’aucune étude randomisée ayant comparé ces différentes options.
  • Un traitement par un antagoniste de la vitamine K est une contre-indication absolue à une anesthésie péridurale. Chez les patients traités par une héparine de bas poids moléculaire, une anesthésie péridurale peut être envisagée pour autant qu’un délai suffisant soit respecté entre la dernière injection d’héparine et l’anesthésie (minimum 12 heures pour une héparine utilisée à dose préventive, minimum 24 heures pour une héparine utilisée à dose thérapeutique).

* Prothèse valvulaire mécanique mitrale, tricuspide ou pulmonaire; prothèse valvulaire aortique mécanique + FA; valvulopathie mitrale + FA; antécédents d' embolie cardiaque ou systémique, thrombo-embolie veineuse profonde récente (< 3 mois); pontage périphérique avec antécédents de thrombose


Médicaments du système digestif

Les inhibiteurs de la sécrétion acide gastrique peuvent être pris jusqu’au jour de l’intervention.


Médicaments du système respiratoire

Les médicaments agissant sur le système respiratoire peuvent généralement être pris le jour de l’intervention. Il est conseillé aux patients traités par des bronchodilatateurs à inhaler de les administrer encore juste avant l’intervention. On suggère d’arrêter la théophylline la veille. D’autre part, il faut absolument éviter d’arrêter les glucocorticoïdes (certainement ceux qui sont administrés par voie systémique).


Analgésiques

  • Les analgésiques morphiniques et non morphiniques peuvent être poursuivis jusqu’au jour de l’intervention; les systèmes transdermiques ne doivent pas être retirés.
  • Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ne doivent pas être interrompus, sauf en cas de chirurgie majeure avec un risque élevé d’hémorragie. Dans ce cas, il convient d’arrêter les AINS de longue demi-vie tels que les oxicams et le naproxène 7 à 10 jours avant l’intervention, et les AINS de courte demi-vie tel l’ibuprofène 24 heures avant l’intervention.

Médicaments agissant sur le système nerveux central

  • Les benzodiazépines peuvent en principe être poursuivies.
  • Les antipsychotiques sont, selon la situation clinique, arrêtés la veille de l’intervention ou poursuivis en période périopératoire. Il convient d’être attentif au risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes: l’arrêt de l’antipsychotique s’impose si on constate un intervalle QT allongé.
  • Il est préférable de ne pas interrompre les antiparkinsoniens en période périopératoire, et en particulier la lévodopa, vu le risque de réapparition d’un syndrome extrapyramidal et de l’apparition d’un syndrome équivalent au syndrome neuroleptique malin à l’arrêt des antiparkinsoniens. Il convient toutefois en période pré-opératoire d’essayer de trouver la dose minimale effective. Dans certains cas, p. ex. chez les patients nécessitant plusieurs prises par jour, il peut être nécessaire d’adapter le traitement au préalable en concertation avec le neurologue.
  • Il est recommandé de ne pas interrompre les antiépileptiques, mais il convient d’être attentif au risque d’interactions vu leur effet inducteur enzymatique.
  • En ce qui concerne les antidépresseurs , le risque lié à l’arrêt brutal du traitement doit être mis en balance avec le risque d’interactions avec les anesthésiques.
    • Les antidépresseurs tricycliques sont généralement interrompus la veille de l’intervention. Chez les patients qui présentent un risque cardio-vasculaire, il peut être recommandé de remplacer au préalable les antidépresseurs tricycliques par un ISRS, vu le risque d’interaction entre les antidépresseurs tricycliques, le terrain cardio-vasculaire et l’anesthésie.
    • Les ISRS ne doivent en principe pas être interrompus, sauf en cas de risque hémorragique élevé.
    • Un traitement par un inhibiteur des monoamine oxydases (IMAO) peut en principe être maintenu en période périopératoire moyennant certaines précautions. Dans le cas où on décide d’arrêter un traitement par un IMAO non sélectif, ceci doit se faire trois semaines avant l’intervention.
    • Le millepertuis doit être arrêté au moins 7 jours avant l’intervention, vu le risque d’interactions par induction au niveau du cytochrome P450.

Antidiabétiques

Lors d’une intervention chirurgicale, il importe de maintenir une glycémie normale, même si le patient reste à jeun. Il convient dès lors d’être particulièrement attentif à l’usage des antidiabétiques.

  • La metformine expose à un risque d’acidose lactique et doit être arrêtée 24 heures avant une intervention chirurgicale majeure avec risque d’hypotension ou un examen radiologique avec injection de produits de contraste iodés. En cas d’intervention lourde ou de diabète déséquilibré, il peut dès lors être nécessaire de passer à l’insuline. Le traitement par la metformine est généralement repris 48 heures après la reprise de l’alimentation en l’absence d’insuffisance rénale.
  • Pour n’importe quel antidiabétique;(oral ou insuline) il convient d’adapter la prise et la posologie à la glycémie.

Autres médicaments du système hormonal

  • Les glucocorticoïdes ne doivent jamais être interrompus brutalement avant une intervention chirurgicale, surtout en cas de traitement prolongé avec une dose supérieure à 10 mg de prednisolone ou équivalent; une augmentation temporaire de la posologie peut même s’avérer nécessaire afin d’éviter une insuffisance surrénalienne.
  • Les hormones thyroïdiennes ne doivent pas être interrompues.
  • Les estroprogestatifs utilisés pour la contraception ou pour le traitement hormonal de substitution augmentent le risque de thrombo-embolie veineuse, et il est recommandé de les interrompre dans la mesure du possible 4 à 6 semaines avant l' intervention, certainement s' il s' agit d' une intervention comportant un risque thrombo-embolique élevé. Lorsqu’une telle interruption n’a pas été possible, une prophylaxie thrombo-embolique périopératoire au moyen d' une héparine, peut être envisagée chez les femmes avec un risque élevé.

Suppléments alimentaires et phytothérapie

Etant donné les nombreuses incertitudes p. ex. en ce qui concerne la dose prise, les extraits de plantes utilisés, l’influence possible sur certains processus physiologiques (p. ex. la coagulation) et les interactions éventuelles avec d’autres médicaments, il est généralement recommandé d’arrêter les suppléments alimentaires et les médicaments à base de plantes au moins une semaine avant l’intervention. Il est important de s’informer auprès du patient de la prise éventuelle de tels produits.


Quelques références

  • American College of Chest Physicians.: The perioperative management of antithrombotic therapy. Chest 2008; 133: 299S-339S
  • S. Herregods, N. Holthof, H. Vereecke et al.: Preoperatief stoppen of verder nemen van chronisch gebruikte medicamenten. Tijdschr voor Geneeskd 2009; 65: 1153-9
  • E. Vandermeulen, R. Verhaeghe, P. Verhamme.: Perioperatief beleid bij gebruik van antitrombotica. Tijdschr voor Geneeskd 2009; 65: 1070-80
  • Société Française d’Anesthésie et de Réanimation.: Gestion périopératoire des traitements chroniques et dispositifs médicaux. Juin; www.sfar.org/_docs/articles/150-rfe_ttsdm09.pdf