Bêta-bloquants dans l’hypertension


Abstract

Plusieurs publications récentes mettent en doute la place des β-bloquants comme l’un des médicaments de premier choix dans l’hypertension. Les données ne nous paraissent toutefois pas suffisantes pour modifier les conclusions de l’article ' Traitement initial de l’hypertension: état de la question ' paru dans les Folia d’avril 2004: chez beaucoup de patients, un thiazide ou un diurétique apparenté à faibles doses constitue le premier choix, mais en fonction de pathologies associées, la décision peut être prise de débuter avec un autre médicament avec un effet prouvé sur la morbidité et la mortalité (β-bloquant, IECA, sartan, antagoniste du calcium); les β-bloquants restent cependant un bon premier choix chez les patients hypertendus atteints d’angor ou d’insuffisance cardiaque ou avec des antécédents d’infarctus du myocarde.

Dans l’article ' Traitement initial de l’hypertension: état de la question' , paru dans les Folia d' avril 2004 , la conclusion est que, chez beaucoup de patients, un thiazide ou un diurétique apparenté à faibles doses constitue le premier choix, mais qu’en fonction de pathologies associées, le traitement peut être débuté avec un autre médicament avec un effet prouvé sur la morbidité et la mortalité (β-bloquant, inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), sartan, antagoniste du calcium). Pour les β-bloquants, il est mentionné qu’ils restent un premier choix dans l’hypertension en présence d’affections coronariennes (angor, antécédents d’infarctus du myocarde) ou d’insuffisance cardiaque.

Récemment, l’utilisation des β-bloquants dans l’hypertension a fait l’objet de plusieurs méta-analyses et d’une revue systématique de la Cochrane Collaboration; en 2006 est parue une recommandation révisée sur le traitement de l’hypertension en première ligne du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) britannique en collaboration avec la British Hypertension Society (BHS); en juin 2007 sont parues les recommandations révisées sur le traitement de l’hypertension de l’ European Society of Hypertension/European Society of Cardiology. Dans la littérature récente, l’attention est également attirée sur le rôle possible de certaines classes d’antihypertenseurs (dont les β-bloquants) dans l’apparition d’un diabète de type 2.


Publications récentes

Plusieurs publications récentes aboutissent dans les grandes lignes aux mêmes conclusions: les β-bloquants diminuent le risque de morbidité et de mortalité cardio-vasculaires associées à l’hypertension, mais leur effet protecteur, surtout en ce qui concerne les accidents cérébro- vasculaires, est plus faible que celui des antihypertenseurs d’autres classes (diurétiques, antagonistes du calcium, IECA ou sartans).

La plupart des études sur les β-bloquants dans l’hypertension portent sur l’aténolol. Dans une méta-analyse publiée dans The Lancet (2005), les résultats ont dès lors été analysés séparément pour l’aténolol. Dans les études avec l’aténolol, un effet protecteur plus faible en ce qui concerne les accidents cérébro-vasculaires a été retrouvé avec l’aténolol par rapport aux antihypertenseurs d’autres classes; pour les autres β-bloquants, l’effet protecteur en ce qui concerne les accidents cérébro-vasculaires était comparable à celui des antihypertenseurs d’autres classes, mais les études sont toutefois beaucoup moins nombreuses.

Une méta-analyse parue dans le CMAJ (2006), dans laquelle les études sur l’hypertension réalisées avec des β-bloquants ont été analysées en fonction de l’âge moyen des patients (< 60 ans ou > 60 ans), apporte des arguments qu’un traitement par des β-bloquants est efficace en termes de morbidité et de mortalité chez des patients âgés de moins de 60 ans, mais pas chez des patients âgés de plus de 60 ans; la plupart des études, certainement celles réalisées chez des patients de plus de 60 ans, étaient à nouveau réalisées avec l’aténolol.

Pour les auteurs des recommandations révisées de NICE/BHS, les informations mentionnées ci-dessus, ainsi que l’incertitude concernant les effets indésirables métaboliques (voir plus loin), sont suffisantes pour ne plus considérer systématiquement les β-bloquants comme premier choix dans le traitement initial de l’hypertension. Selon ces recommandations, une distinction doit être faite pour le choix de l’antihypertenseur entre les patients hypertendus plus jeunes (< 55 ans) et les patients hypertendus plus âgés (≥ 55 ans). Chez les patients hypertendus plus jeunes, un β-bloquant est proposé comme premier choix lorsqu’un IECA est contre-indiqué ou n’est pas supporté, chez les femmes en âge de procréer et chez les patients avec un tonus orthosympathique élevé (p. ex. avec une fréquence cardiaque élevée); chez les autres patients hypertendus plus jeunes et chez les patients hypertendus plus âgés, un β-bloquant n’est proposé que lorsqu’une association d’un antagoniste du calcium, d’un IECA (ou sartan) et d’un diurétique thiazidique n’est pas suffisamment efficace.

Dans la révision des recommandations de l’ European Society of Hypertension/European Society of Cardiology, il y a peu de changements en ce qui concerne le choix de l’antihypertenseur [voir Folia d' avril 2004 ]: le choix de l’antihypertenseur (thiazide, antagoniste du calcium, IECA, sartan ou β-bloquant) se fait en fonction du profil de risque du patient et d’indications ou contre-indications spécifiques; chez les patients hypertendus souffrant d’angor, avec des antécédents d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance cardiaque, un β-bloquant est un bon premier choix. Ce qui est toutefois nouveau dans ces recommandations, c’est que les β-bloquants (certainement lorsqu’ils sont utilisés en association à un thiazide) sont déconseillés chez les patients présentant un ' syndrome métabolique ' [n.d.l.r.: un commentaire sur le ' syndrome métabolique ' paraîtra dans un des prochains numéros des Folia].


Quelques commentaires

  • Il faut remarquer que dans la méta- analyse parue dans The Lancet (2005) et dans la revue systématique de la Cochrane Collaboration, les résultats de l’étude LIFE et de l’étude ASCOT ont été déterminants. Ce sont aussi surtout ces deux études qui sont à l’origine de la révision des recommandations de NICE/BHS. L’étude LIFE et l’étude ASCOT ont déjà été discutées précédemment dans les Folia.
    • Dans l’étude LIFE [ Folia d' août 2002 ] réalisée chez des patients hypertendus présentant une hypertrophie ventriculaire gauche à l’ECG, les résultats étaient plus favorables en termes de morbidité et de mortalité cardio-vasculaires pour le losartan que pour l’aténolol. Une remarque importante à propos de cette étude était et est, que cette étude portait sur groupe sélectif de patients hypertendus (hypertrophie ventriculaire gauche à l’ECG; estimé à 2 à 6% des patients hypertendus), ce qui ne permet pas d’extrapoler simplement les résultats à l’ensemble des patients hypertendus.
    • Dans l’étude ASCOT [ Folia d' octobre 2005 ] réalisée chez des patients hypertendus présentant trois facteurs de risque supplémentaires (donc des patients avec un risque cardio-vasculaire assez élevé), l’amlodipine (associée si nécessaire au périndopril) était plus efficace que l’aténolol (associé si nécessaire au bendrofluméthiazide) sur un certain nombre de critères d’évaluation secondaires. Cette étude a dès lors été interrompue prématurément, bien qu’il n’y avait à ce moment-là pas de différence statistiquement significative en ce qui concerne le critère d’évaluation primaire (accident cardio- vasculaire fatal plus infarctus du myocarde non fatal). Des commentaires à ce sujet ont été faits dans les Folia d' octobre 2005 et plus récemment dans le Geneesmiddelenbulletin (2006). Une remarque importante était et est, que la diminution de la tension artérielle était un peu plus prononcée dans le groupe amlodipine que dans le groupe aténolol. Plusieurs méta-analyses d’études sur l’hypertension étayent l’hypothèse que les différences de morbidité et de mortalité cardio-vasculaires observées entre différentes classes d’antihypertenseurs s’expliquent par des différences de tension artérielle atteinte, même si ces différences sont parfois minimes [voir Folia d' avril 2004 ].
  • Dans les méta-analyses et la revue systématique de la Cochrane Collaboration, il n’a pas été tenu compte de la dose, ni du niveau de contrôle de la tension artérielle.
  • Les études à large échelle sur les β-bloquants dans l’hypertension ont surtout été réalisées avec l’aténolol; les études avec d’autres β-bloquants se rapportent surtout à des β-bloquants plus anciens. Il n’existe pas d’études comparatives entre les β-bloquants avec des critères d’évaluation majeurs. Il a été suggéré que les β-bloquants avec différentes propriétés, p. ex. en ce qui concerne l’activité sympathicomimétique intrinsèque (ASI), la cardiosélectivité, les propriétés vasodilatatrices et la durée d’action, influencent différemment les critères d’évaluation majeurs dans l’hypertension, mais ceci ne repose pas sur des études comparatives rigoureuses de morbidité et de mortalité.
  • La suggestion de ne plus considérer les β-bloquants comme premier choix chez les patients hypertendus plus âgés (p. ex. > 55 ans), mais bien chez les patients hypertendus plus jeunes (p. ex. < 55 ans) ne repose pas sur des études de morbidité et de mortalité réalisées à cette fin. De plus, cette suggestion est quand même en contradiction avec les recommandations nationales et internationales sur l’hypertension (p. ex. aussi les recommandations récemment révisées de l’ European Society of Hypertension/ European Society of Cardiology) dans lesquelles les β-bloquants sont considérés comme un bon premier choix chez les patients hypertendus atteints d’affections coronariennes (angor, antécédents d’infarctus du myocarde) ou d’insuffisance cardiaque: des complications qui surviennent justement fréquemment chez des patients hypertendus plus âgés.

β-bloquants et apparition d’un diabète de type 2

Il est admis depuis longtemps déjà que les antihypertenseurs de certaines classes, surtout les β-bloquants et les diurétiques, peuvent entraîner des troubles du métabolisme glucidique, avec entre autres une résistance à l’insuline. Des études d’observation (p. ex. récemment dans Diabetes Care) et plusieurs méta-analyses d’études randomisées (p. ex. récemment dans The Lancet) montrent une incidence plus élevée de nouveaux cas de diabète avec les β-bloquants et les diurétiques, par rapport p. ex. aux antagonistes du calcium et aux IECA. Dans aucune des études randomisées, le diabète n’était cependant un critère d’évaluation primaire. Il n’est pas prouvé actuellement que l’augmentation de l’incidence de la résistance à l’insuline et l’augmentation possible du risque de diabète de type 2 par les β-bloquants et les diurétiques, diminue l’effet cardioprotecteur; au contraire, avec ces deux classes de médicaments, un effet cardioprotecteur est documenté chez les patients diabétiques. Dans les recommandations récemment révisées de l’ European Society of Hypertension/European Society of Cardiology, il est recommandé de ne pas utiliser les β-bloquants chez les patients présentant un ' syndrome métabolique ' , à moins qu’il n’y ait une autre indication.


Conclusion

Sur base de plusieurs constatations récentes, la place des β-bloquants comme médicaments de premier choix dans l’hypertension est mise en doute. Il ne semble cependant pas y avoir suffisamment de preuves pour modifier la conclusion de l’article ' Traitement initial de l’hypertension: état de la question' paru dans les Folia d' avril 2004 (cfr. plus haut).


Références

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