Traitement initial de l’hypertension: état de la question


Abstract

La nécessité ou non de traiter une hausse de la tension artérielle dépend des valeurs tensionnelles, mais également du risque cardio-vasculaire global du patient. Une adaptation du style de vie (par ex. activité physique suffisante, arrêt du tabagisme, restriction sodée) est une première étape essentielle. En fonction des chiffres tensionnels et du profil de risque du patient, ces mesures peuvent être suffisantes, parfois temporairement, ou un traitement médicamenteux sera instauré immédiatement ou ultérieurement. Un effet favorable sur la morbidité et la mortalité cardio-vasculaires dues à l’hypertension a été démontré avec les diurétiques thiazidiques et apparentés, les β-bloquants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), les sartans et les antagonistes du calcium. Par quel traitement faut-il commencer ?

  • Sur base des données actuelles et tenant compte du coût, l’instauration d’un traitement par un thiazide ou apparenté à faibles doses constitue le premier choix chez beaucoup de patients. En présence d’autres pathologies associées, le traitement peut être débuté avec un médicament appartenant à une autre classe.
  • En général, on essaie d’abord de traiter avec un seul antihypertenseur. L’association de plusieurs antihypertenseurs sera toutefois souvent nécessaire pour obtenir un contrôle suffisant de la tension artérielle.

Plusieurs études concernant le traitement de l’hypertension ont été publiées ces deux dernières années. Certaines d’entres elles ont déjà été discutées dans les Folia: l’étude LIFE ( Folia d’ août 2002 ), l’étude ALLHAT et l’étude ANBP2 ( Folia d’ avril 2003 ). Sur base de ces études, ainsi que de quelques publications récentes (notamment les directives de la "Wetenschappelijke Vereniging voor Vlaamse Huisartsen" (W.V.V.H.), et les directives américaines, britanniques et européennes récemment révisées), un résumé de l’état actuel de la question concernant le traitement initial de l’hypertension est proposé ici.


Faut-il traiter ou non ?

Une hausse de la tension artérielle, associée entre autres à une hyperlipidémie, un diabète, une obésité, une sédentarité et au tabagisme, constitue un facteur de risque important d’affections cardio-vasculaires tels infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral et insuffisance rénale. La nécessité de traiter un patient présentant une hausse de la tension artérielle ne dépend pas seulement de ses valeurs tensionnelles, mais aussi de son risque cardio-vasculaire global, exprimé par exemple comme le risque pour le patient de développer une maladie cardio-vasculaire dans les dix ans. Le traitement ne sera dès lors souvent pas orienté uniquement sur l’élévation de la tension artérielle, mais aussi sur les autres facteurs de risque. L’objectif du traitement est de réduire au maximum la morbidité et la mortalité cardio-vasculaires et rénales.

L’"hypertension" est définie dans les directives européennes, américaines, britanniques et celles de la "Wetenschappelijke Vereniging voor Vlaamse Huisartsen" (W.V.V.H.) comme une tension systolique supérieure à 140 mmHg et une tension diastolique supérieure à 90 mmHg. Encore faut-il ici remarquer qu’il est arbitraire de fixer une valeur tensionnelle à partir de laquelle il existe un risque accru de maladies cardio-vasculaires. L’augmentation du risque est en effet continue, c.-à-d. plus la tension artérielle est élevée, plus le risque est grand. Ceci justifie, d’après les directives européennes et britanniques, l’introduction du terme "haut-normal" (130-139 mmHg pour la systolique /85-89 mmHg pour la diastolique), et d’après les directives américaines l’introduction du terme "pré-hypertension" (120-139 mmHg pour la systolique/ 80-89 mmHg pour la diastolique). Les directives de la W.V.V.H. ne font pas référence à ces termes, et il y est affirmé que les valeurs tensionnelles à partir desquelles le diagnostic d’hypertension peut être posé ne peuvent pas être trop basses "afin de ne pas inquiéter inutilement une grande partie de la population".

Dans les directives, il est mentionné qu’il convient en principe d’atteindre des valeurs tensionnelles inférieures à 140 mmHg pour la systolique, et à 90 ou 85 mmHg pour la diastolique; dans certains groupes de patients (diabétiques, patients atteints d’une affection rénale chronique), les valeurs tensionnelles à atteindre sont plus faibles (< 130 mmHg pour la systolique, et 85 ou 80 mmHg pour la diastolique).

Lorsqu’il est établi que les valeurs tensionnelles obtenues nécessitent une prise en charge, une adaptation du style de vie (notamment contrôle du poids, arrêt du tabagisme, restriction sodée, diminution de la consommation d’alcool, alimentation riche en fruits et légumes et pauvre en graisses saturées, activité physique suffisante) est une première étape essentielle. La décision d’instaurer en plus un traitement médicamenteux et le moment pour le faire dépendent du profil de risque du patient.

Un traitement médicamenteux sera débuté concomitamment aux mesures hygiéno-diététiques dans les groupes de patients suivants.

  • Chez tous les patients avec des chiffres tensionnels de 180/110 mmHg ou plus.
  • Chez tous les patients hypertendus (c.-à-d. tension artérielle ≥ 140/90 mmHg) dans les situations suivantes:
    • pathologies associées (par ex. A.I.T., infarctus du myocarde, néphropathie diabétique) et/ou
    • diabète et/ou
    • signes d’une atteinte organique (par ex. hypertrophie ventriculaire gauche à l’ECG ou à l’échographie, augmentation de la créatinine plasmatique, rétinopathie) et/ou
    • au moins trois facteurs de risque complémentaires (par ex. tabagisme, hyperlipidémie, obésité).

Chez les autres patients, une expectation vigilante (pendant plusieurs mois en cas de mesure conventionnelle de la tension artérielle, plus courte en cas de mesure ambulatoire) est indiquée, au cours de laquelle la tension artérielle est mesurée régulièrement. Lorsque l’adaptation du style de vie paraît insuffisante pour atteindre les valeurs déterminées, un traitement médicamenteux sera instauré.

D’après les directives européennes et américaines, l’instauration d’un traitement médicamenteux peut également être envisagée chez les patients qui ne répondent pas à la définition classique de l’hypertension (≥140/90 mmHg) mais aux termes "haut-normal" dans les directives europénnes et "pré-hypertension" dans les directives américaines, et qui présentent une pathologie associée, un diabète ou une atteinte organique. La W.V.V.H. ne se prononce pas quant à l’instauration éventuelle d’un traitement antihypertenseur dans ce groupe de patients. Dans les recommandations britanniques, une expectation vigilante est recommandée chez ces patients, avec réévaluation annuelle du risque cardio-vasculaire.


Choix de l ’antihypertenseur

Pour plusieurs classes d’antihypertenseurs (thiazides ou apparentés, β-bloquants, IECA, antagonistes du calcium), des études rigoureuses ont apporté la preuve d’une diminution de la morbidité et de la mortalité cardio-vasculaires et rénales dues à l’hypertension [concernant les antihypertenseurs et la néphropathie, voir Folia de février 2003 ]. Pour les sartans, cette preuve n’existe que pour les patients présentant une hypertrophie ventriculaire gauche à l’ECG [voir Folia d’ août 2002 ] et les patients atteints d’une néphropathie diabétique [voir Folia de février 2003 ]. Pour les α-bloquants et les antihypertenseurs centraux (par ex. la méthyldopa, la clonidine), aucun effet favorable sur la morbidité et la mortalité n’a été démontré.

La question de savoir si, pour une même baisse de la tension artérielle, il existe des différences entre les différentes classes d’antihypertenseurs quant à leur effet sur la morbidité et la mortalité fait l’objet de discussions. Trois méta-analyses d’études randomisées et contrôlées de longue durée ont été publiées récemment à ce sujet. Ces méta-analyses ont inclu aussi bien des études contrôlées par placebo que des études comparatives entre différents antihypertenseurs. Deux de ces trois méta-analyses (celle de Staessen et al. et celle de la Blood Pressure Lowering Treatment Trialists’ Collaboration) renforcent l’hypothèse que les résultats divergents (par ex. mortalité cardio-vasculaire) observés entre les groupes randomisés dans ces études s’expliquent par les différences de tension artérielle atteinte, même si ces différences de tension artérielle sont parfois faibles. Il ressort de la troisième méta-analyse (celle de Psaty et al.), dont la méthodologie est spécifique, que les diurétiques thiazidiques sont au moins aussi efficaces selon tous les critères d’évaluation cardio-vasculaires définis (infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral) et sont même meilleurs selon certains critères d’évaluation que les autres classes de médicaments.

  • Etant donné l’efficacité, le faible coût et la large expérience avec les thiazides ou apparentés, et les β-bloquants, ces médicaments sont classiquement considérés comme médicaments de premier choix dans le traitement initial de l’hypertension non compliquée. Ceci correspond toujours à l’avis énoncé dans les directives de la W.V.V.H.
  • Dans les directives américaines, les thiazides ou apparentés sont préconisés comme médicaments de premier choix dans le traitement initial de l’hypertension chez la plupart des patients; les β-bloquants ne sont pas considérés systématiquement comme premier choix, sauf dans certaines situations à risque (par ex. antécédents d’infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque, angor). Outre les β-bloquants, des antihypertenseurs d’autres classes dont l’effet sur la morbidité et la mortalité a été prouvé, peuvent aussi être envisagés comme traitement de premier choix, et ce en fonction de l’existence éventuelle de pathologies associées; le tableau fournit plus de détails à ce sujet.
  • Dans les directives européennes, aucun médicament en particulier n’est recommandé comme premier choix: le choix est à faire en fonction du profil de risque du patient et d’indications ou contre-indications spécifiques complémentaires.
  • Dans les recommandations britanniques, certains choix sont proposés en ce qui concerne la monothérapie et l’association thérapeutique, en fonction de l’influence des antihypertenseurs sur le système rénine-angiotensine.

Pathologies associées Médicaments de premier choix

Insuffisance cardiaque

Thiazide ou apparenté, β-bloquant, IECA, sartan, spironolactone

Antécédents d’infarctus du myocarde

β-bloquant, IECA

Risque coronaire élevé

Thiazide ou apparenté, β-bloquant, IECA, antagoniste du calcium

Diabète

Thiazide ou apparenté, β-bloquant, IECA, sartan, antagoniste du calcium

Insuffisance rénale chronique

IECA, sartan

Antécédents d’accident vasculaire cérébral

Thiazide ou apparenté, IECA


Monothérapie ou association thérapeutique?

D’après les directives américaines et celles de la W.V.V.H., l’hypertension sera d’abord traitée chez la plupart des patients par un seul antihypertenseur; dans certains groupes à risque élevé (par ex. hypertension sévère), une association de deux antihypertenseurs (dont l’un est en général un thiazide) est recommandée comme traitement initial. D’après les directives européennes, le médecin peut, chez la plupart des patients, déjà opter dès le début du traitement pour un seul antihypertenseur, ou pour une association d’antihypertenseurs.

Chez beaucoup de patients chez qui le traitement débute par une monothérapie, une association de deux ou plusieurs antihypertenseurs sera finalement nécessaire pour obtenir un contrôle suffisant de la tension artérielle.

D’après

  • A.V. Chobanian et al.: The seventh report of the Joint National Committee on Prevention, Detection, Evaluation, and Treatment of high blood pressure. The JNC 7 report. JAMA 289 : 2560-2572(2003)
  • 2003 European Society of Hypertension – European Society of Cardiology guidelines for the management of arterial hypertension. J. of Hypertension J Hypertens 21 : 1011-1053(2003)
  • P. De Cort et al.: Hypertensie (Aanbevelingen voor goede medische praktijkvoering). oktober 2003(via http://www.wvvh.be/Ledensite/aanbevelingen/Hypertensie_AB.pdf )
  • J.A. Staessen et al.: Cardiovascular prevention and blood pressure reduction: a quantitative overview updated until 1 March 2003 J Hypertens 21 : 1055-1076(2003)
  • B.M. Psaty et al.: Health outcomes associated with various antihypertensive therapies used as first-line agents. A network meta-analysis JAMA 289 : 2534-2544(2003)
  • Blood Pressure Lowering Treatment Trialists’ Collaboration: Effects of different blood-pressure-lowering regimens on major cardiovascular events: results of prospectively-designed overviews of randomised trials. Lancet 362 : 1527-1535(2003)
  • B. Williams et al.: British Hypertension Society guidelines for hypertension management 2004 (BHS-VI): summary. Brit Med J 328 : 634-640(2004)

Note de la rédaction

Le 6 mai 2004, le "Comité d' évaluation des pratiques médicales en matière de médicaments" organise une conférence de consensus sur le traitement de différentes formes d' hypertension compliquée. Plus d' information via e-mail herman.beyers@riziv.fgov.be ou fax 02.739.77.11.