Médicaments et grossesse

 
Abstract

Dans l’introduction du Répertoire Commenté des Médicaments, l’attention a déjà été attirée sur la problématique de l’usage de médicaments pendant la grossesse, ainsi que dans les Folia [voir Folia de décembre 2001 ]. Il n’est pas facile de mettre en balance les avantages et les inconvénients de l’utilisation d’un médicament pendant la grossesse. Les études chez l’animal ont peu de valeur prédictive, et des données concluantes chez l’homme quant à d’éventuels effets néfastes sur le foetus sont rarement disponibles. Des rapports anecdotiques permettent rarement de tirer des conclusions: des malformations congénitales majeures apparaissent aussi sans que la mère ait pris un médicament pendant la grossesse, avec une fréquence de base estimée à 2 à 4%.

Dans le Répertoire Commenté des Médicaments, il est indiqué pour quels médicaments un effet néfaste est établi ou suspecté; l’absence de mention à ce sujet ne signifie pas pour autant que l’innocuité est prouvée. Il est certainement utile de toujours consulter la notice et éventuellement des sources spécialisées: des références sont mentionnées dans le Répertoire Commenté des Médicaments (édition 2006, p. 14).

L’ Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a commencé à diffuser sur son site web des recommandations concernant l’usage de médicaments pendant la grossesse; en octobre 2006, l’information concernait certains médicaments se rapportant au système nerveux central, et certains antibiotiques (information via http://agmed.sante.gouv.fr/htm/10/filcoprs/051102.htm ).

Dans les Folia de ces dernières années, l’attention a déjà été attirée sur l’utilisation des médicaments suivants pendant la grossesse: les anti-épileptiques [ Folia d’ avril 2002 ], les médicaments utilisés dans les infections des voies urinaires [ Folia de décembre 2003 ], les antihypertenseurs [ Folia de janvier 2005 ], les antidépresseurs [ Folia de mai 2006 ], les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et les sartans [ Folia d’ août 2006 ].

Le présent article discute de quelques publications récentes sur les statines, les anti-épileptiques, les opiacés dans le cadre d’un traitement de substitution, les décongestionnants et la lidocaïne (gel).

  • En ce qui concerne les statines et la grossesse, il est écrit dans le Répertoire Commenté des Médicaments: "Les statines sont contre-indiquées pendant la grossesse en raison d’une interférence possible avec la synthèse des stéroïdes chez le foetus, et du manque de preuves d’innocuité chez l’homme". Selon les auteurs d’un article paru dans La Revue Prescrire [2005; 25: 748-9], les données disponibles suggèrent en effet que les statines sont tératogènes. Les auteurs se basent sur une analyse de notifications à la Food and Drug Administrationaméricaine concernant des femmes enceintes exposées à une statine pendant la période de 1987 à 2001: parmi les 214 rapports analysés, des malformations au niveau du système nerveux central et des membres ont été rapportées chez 8 enfants. Bien que ces données n’apportent aucune preuve, elles suggèrent un rôle de la statine. Certaines malformations ont toutefois été retrouvées chez plusieurs de ces enfants, et certaines d’entre elles ne surviennent que très rarement spontanément, c.-à-d. sans prise d’un médicament.
  • La problématique des anti-épileptiques pendant la grossesse a été discutée dans les Folia d’ avril 2002 : il faut tenir compte d’une part de l’effet tératogène des anti-épileptiques, et d’autre part de la nécessité souvent rencontrée de poursuivre le traitement anti-épileptique chez la femme enceinte épileptique en vue d’éviter la moindre crise. Nous avons écrit que les anti-épileptiques acide valproïque, carbamazépine, phénytoïne et phénobarbital sont les plus incriminés pour leurs effets tératogènes, avec entre autres des malformations congénitales majeures telles anomalies au niveau du tube neural, malformations cardiaques, fente palatine. Il existe peu d’études comparatives sur les différences de risque de ces anti-épileptiques, et de plus, les données sur les anti-épileptiques plus récents sont rares. Sur base d’une étude d’observation sur l’issue de la grossesse chez 333 femmes, il a été suggéré que l’acide valproïque pose plus de problèmes que d’autres anti-épileptiques (lamotrigine, carbamazépine, phénytoïne). L’effet de l’acide valproïque était dépendant de la dose, mais à faibles doses (500 mg à 1 g par jour), l’incidence était comparable à celle des autres médicaments [ Neurology 2006; 67: 407-12]. Les données de l’ UK Epilepsy and Pregnancy Registry et du North American Pregnancy Registry suggèrent également un risque accru de malformations congénitales majeures avec l’acide valproïque par rapport à d’autres anti-épileptiques; pour la lamotrigine, un anti-épileptique plus récent, ces registres indiquent aussi un effet tératogène [ Brit Med J 2006; 333: 615-6 ; www.fda.gov/cder/drug/infopage/lamotrigine/default.htm ]. Bien que de telles données d’observation ne démontrent pas une relation de causalité, elles renforcent les recommandations de réévaluer la nécessité d’un traitement anti-épileptique lorsqu’il existe un désir de grossesse, de traiter de préférence par un seul anti-épileptique à la dose la plus faible qui soit efficace, et d’administrer de l’acide folique (4 mg p.j.) aux alentours de la conception en prévention des anomalies congénitales au niveau du tube neural.
  • La prise en charge de femmes enceintes dépendantes aux opiacés a été discutée récemment dans La Revue Prescrire [2005; 25: 836-41]. Une telle prise en charge doit se faire de préférence de manière multidisciplinaire et en milieu spécialisé. Des données indiquent que, chez ces femmes, une substitution par la méthadone (le premier choix en raison de la plus grande expérience) ou par la buprénorphine s’accompagne d’un meilleur pronostic pour la mère et l’enfant, que lorsque la femme continue à prendre l’opiacé habituel, ou lorsqu’elle supprime brusquement celui-ci sans instauration d’un traitement de substitution. Un tel traitement de substitution s’accompagne le plus souvent d’un meilleur suivi (psycho-social) de la femme enceinte, ce qui probablement explique en grande partie le meilleur pronostic. Les données disponibles à ce jour avec la méthadone et la buprénorphine n’indiquent pas d’effet tératogène. Cependant, en cas de substitution par la méthadone ou la buprénorphine chez la mère, des manifestations de sevrage surviennent fréquemment chez le nouveau-né, le plus souvent dans les 48 heures après la naissance. Dans les cas sévères, celles-ci nécessitent un traitement médicamenteux du nouveau-né: d’après une analyse de la Cochrane Collaboration, un opiacé, p. ex. la morphine, constitue probablement le meilleur choix comme traitement initial; d’autres médicaments (phénobarbital, diazépam) ne semblent pas présenter d’avantage par rapport à la morphine, même pas pour éviter des convulsions.
  • Une étude épidémiologique, basée sur des données provenant de Suède durant la période de 1995 à 2002, montre que, chez les enfants dont la mère avait pris un décongestionnant par voie orale pendant la grossesse (n=4.213), l’incidence des malformations congénitales n’était pas plus élevée par rapport à ce qui est attendu dans la population en général [ Am J Obstet Gynecol 2006; 194: 480-5 ]. Ces données sont encourageantes, mais ne justifient pas la prescription sans discernement de tels médicaments à des femmes enceintes souffrant de rhinite. Il faut également signaler qu’un risque accru de laparoschisis (gastroschisis) a été suggéré avec la pseudo-éphédrine il y a quelques années [voir Folia de mars 2002 ]. D’autre part, des effets indésirables tels hypoxie et tachycardie (chez le foetus), et alcalose et hypertension (chez la mère) ont été décrits avec les vasoconstricteurs, et une diminution de la perfusion utéroplacentaire ne peut être exclue.
  • Nous avons reçu récemment une question sur les problèmes éventuels qui pourraient survenir lors de l’emploi d’un gel à base de lidocaïne (Xylocaïne Gel®) pendant le premier trimestre de la grossesse, dans le cadre d’une colonoscopie. Lors d’une telle utilisation, aucun problème n’a été décrit; étant donné que la toxicité de la lidocaïne est en principe dépendante de la dose, il est peu probable que l’usage de faibles doses de lidocaïne sous forme de gel lors d’une coloscopie soit source de problèmes. Lors de l’utilisation de lidocaïne à doses élevées pendant l’accouchement (p. ex. par voie épidurale), les effets attendus (entre autres diminution du tonus musculaire, dépression du système nerveux central avec un score Apgar faible) ont été observés chez le nouveau-né.