Prise en charge de l’insomnie


Abstract

Face à des troubles du sommeil, il est important de commencer par les définir et d’en rechercher la cause. La prise en charge des troubles du sommeil consiste avant tout en des mesures non médicamenteuses allant de simples conseils sur l’hygiène du sommeil à des thérapies cognitivo-comportementales. Un traitement médicamenteux ne doit être envisagé que dans des circonstances spécifiques, p.ex en cas d’insomnie aiguë sévère, qui peut alors être traitée par des médicaments pendant une très courte période. Dans ce cas, une benzodiazépine à durée d’action intermédiaire, à la plus faible dose possible et pour une durée maximale d’une semaine, est à préférer. La balance bénéfices-risques des substances apparentées aux benzodiazépines (les "z-drugs": zolpidem, zopiclone, zaléplone) n’est pas meilleure que celle des benzodiazépines. Les antidépresseurs sédatifs, telle la trazodone, ne sont pas recommandés chez les patients non dépressifs.

Le traitement médicamenteux de l’insomnie et l’usage rationnel des benzodiazépines ont déjà été discutés dans les Folia d' avril 1999 et octobre 2002 . Bien que les messages de ces articles n’aient pas fondamentalement changé, il nous paraît utile de revenir sur le sujet. A l’occasion de la Journée internationale du sommeil qui a eu lieu le 21 mars dernier, il a été rappelé que la Belgique est l’un des pays avec le nombre le plus élevé de prescriptions de somnifères et de calmants par habitant. Près de 10% de la population belge en prend régulièrement, et ces chiffres peuvent même atteindre 20 à 50% dans les maisons de repos et de soins. Or, l’usage régulier de ces médicaments n’est pas sans danger.


Définition

L’insomnie est décrite comme un sommeil de mauvaise qualité ou de quantité insuffisante ayant un effet néfaste sur les fonctionnements diurnes (fatigue, troubles de la concentration et de la mémoire, diminution des performances). On parle de mauvais sommeil lorsque le patient éprouve des difficultés d’endormissement (plus de 30 minutes pour s’endormir), une difficulté de maintien du sommeil (réveils nocturnes fréquents) ou des réveils trop matinaux.


Le sommeil normal

Il est important de signaler qu’il n’y a pas de norme quantitative en matière de sommeil, et que les modifications de durée et de qualité du sommeil font partie du vieillissement normal. En vieillissant, l’heure de l’endormissement le soir et l’heure du réveil matinal sont généralement plus précoces et le sommeil profond diminue, ce qui peut donner une impression de mauvais sommeil alors que la durée totale de sommeil n’a pas changé.


Etiologie

On distingue classiquement:

  • l’insomnie primaire pour laquelle aucune étiologie ne peut être mise en évidence;
  • l’insomnie secondaire dont les causes peuvent être une mauvaise hygiène du sommeil (p. ex. exercice physique vespéral, excès alimentaire ou de stimulants du système nerveux), des problèmes psycho-sociaux (p. ex. deuil, conflit, stress), un environnement gênant le sommeil, des troubles psychiatriques (dépression), des troubles somatiques (p. ex. douleur, nycturie, toux, dyspnée, reflux gastro-oesophagien), des troubles typiques du sommeil (apnées du sommeil, " restless legs syndrome ", mouvements périodiques des membres), divers médicaments (p.ex. des antidépresseurs, des antiparkinsoniens, des bêta-bloquants, des diurétiques, des corticostéroïdes, la sibutramine, la pseudoéphédrine) ou encore à des troubles du rythme circadien (p. ex. en cas de décalage horaire ou de travail à horaire décalé).

Traitement non médicamenteux

Diverses mesures non médicamenteuses sont proposées dans la prise en charge de l’insomnie, allant d’une simple information aux patients à des thérapies cognitivo-comportementales plus spécialisées.

  • Des conseils visant à améliorer l’ hygiène du sommeil sont notamment: éviter les activités stimulantes une à deux heures avant d’aller se coucher, éviter de trop boire ou trop manger ainsi que de consommer de la caféine, de la nicotine et de l’alcool le soir, maintenir un environnement calme, sombre et confortable, éviter les siestes en journée, se lever à la même heure, éviter de rester longtemps éveillé au lit.
  • La technique du contrôle par le stimulus vise à réassocier le lieu pour dormir avec le sommeil. Cette technique consiste à aller se coucher uniquement quand on sent le sommeil arriver et à se lever si le sommeil ne vient pas après 10 à 20 minutes.
  • Des techniques comportementales telles que le biofeedback, la restriction du temps de sommeil et la relaxation musculaire peuvent également être utiles. L’efficacité des thérapies cognitivo-comportementales dans l’insomnie primaire a été démontrée dans plusieurs études randomisées contrôlées, y compris à long terme (durée de suivi de 6 mois en moyenne après la fin de la thérapie). Certaines études suggèrent une plus grande efficacité des thérapies cognitivo-comportementales lorsqu’elles ne sont pas utilisées concomitamment à un traitement médicamenteux.

Des informations utiles concernant les approches non médicamenteuses proposées aux médecins et pharmaciens peuvent être consultées sur le site du Service Public Fédéral (SPF) Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement www.health.fgov.be (cliquer successivement sur " Ma santé ", " Se soigner ", " Bon usage des médicaments " et " Benzodiazépines "). Il est vrai qu’en Belgique, l’accessibilité aux thérapies psycho-comportementales, en particulier aux thérapies cognitivo-comportementales, est plutôt limitée.


Phytothérapie

De nombreuses plantes sont réputées favoriser l’endormissement, mais pour la plupart d’entre elles, on ne dispose cependant pas de preuves d’efficacité clinique, ni de données quant à leurs risques potentiels. Plusieurs préparations à base d’aubépine (crataegus), de mélisse, de passiflore et/ou de tilleul ont toutefois été enregistrées comme médicament selon la procédure simplifiée relative à l’utilisation traditionnelle de certaines plantes [voir Folia de décembre 2000 ].

La valériane a fait l’objet de plusieurs études dans la prise en charge des troubles du sommeil, mais la plupart d’entre elles présentent des problèmes méthodologiques et ne permettent pas de tirer des conclusions quant à son efficacité. Tout au plus, la valériane exercerait un effet hypnotique modeste, proche de celui d’une benzodiazépine à faibles doses. En ce qui concerne son innocuité, il faut signaler que certains constituants de la racine de valériane peuvent être responsables d’effets mutagènes et cytotoxiques, et il vaut donc mieux utiliser des extraits aqueux et hydro-alcooliques de titre faible qui ne contiennent pas ces composants toxiques; ceux-ci sont indétectables dans les préparations de valériane enregistrées en tant que médicament en Belgique. La valériane doit en tout cas être évitée chez les patients atteints de troubles hépatiques.

Vu l’importance de l’effet placebo dans la prise en charge des troubles du sommeil, l’utilisation à court terme de plantes dont le profil d’effets indésirables paraît acceptable, telle la valériane, peut être une alternative intéressante à des substances connues pour provoquer des effets indésirables et une dépendance.


Traitement médicamenteux

La place du traitement médicamenteux dans la prise en charge de l’insomnie est très limitée et ne devrait être envisagée que dans les insomnies aiguës sévères.


Benzodiazépines

Les benzodiazépines agissent au niveau de certains récepteurs GABA de type A et ont des propriétés anxiolytiques, hypnotiques, myorelaxantes, anticonvulsivantes et amnésiantes. Comme hypnotique, il est logique d’utiliser une benzodiazépine à durée d’action intermédiaire (alprazolam, bromazépam, brotizolam, clotiazépam, loprazolam, lorazépam, lormétazépam, oxazépam). Il n’existe probablement pas de différences cliniques significatives entre les différentes benzodiazépines disponibles. L’utilisation de flunitrazépam (Rohypnol®), une benzodiazépine à longue durée d’action, est certainement à éviter vu le risque élevé d’usage abusif; le flunitrazépam fait d’ailleurs partie de la liste des psychotropes spécialement réglementés [voir Folia d' avril 2003 ].

Plusieurs études randomisées et méta-analyses ont montré une efficacité à court terme des benzodiazépines sur la latence d’endormissement et la durée du sommeil, mais une tolérance et une dépendance physique et psychique peuvent déjà se manifester après 2 semaines d’utilisation. Il existe une dépendance croisée entre les benzodiazépines et entre les benzodiazépines et les substances apparentées. Il convient également de tenir compte des autres effets indésirables des benzodiazépines tels que l’effet résiduel pendant la journée avec comme conséquences de la somnolence diurne, des vertiges et une incoordination motrice avec risque de chutes et de fractures, une amnésie antérograde, de la confusion (surtout chez les personnes âgées), des réactions paradoxales (avec aggravation de l’insomnie, angoisse, agitation, agressivité) et des manifestations de sevrage à l’arrêt du traitement. Ces dernières sont plus fréquentes et plus sévères avec les molécules à courte durée d’action. Les benzodiazépines présentent également des interactions, notamment pharmacodynamiques, avec l’alcool et d’autres médicaments sédatifs (voir tableau dans le Répertoire Commenté des Médicaments, édition 2009, p. 25).

Lors de l’utilisation de certaines benzodiazépines pendant le premier trimestre de la grossesse, des malformations cranio-faciales (fentes labiopalatines), un retard de croissance et des malformations au niveau du système nerveux central ont été observés, notamment avec le diazépam. Des manifestations de sevrage avec dépression respiratoire, hypotonie et difficultés de succion peuvent survenir chez des nouveau-nés de mères traitées par des benzodiazépines.

De manière générale, si une benzodiazépine est prescrite, il convient d’utiliser la plus faible dose possible et ce, pour une durée maximale d’une semaine. L’administration intermittente de benzodiazépines (p. ex. tous les 3 jours pendant 1 à 2 semaines) ne pose en principe pas de problèmes d’accoutumance. Il est important d’informer le patient des risques liés aux benzodiazépines et de revoir le patient rapidement après une première prescription d’une benzodiazépine. Un traitement par une benzodiazépine est fréquemment instauré lors d’une hospitalisation. Dans ce contexte, il est important de veiller à l’arrêter dès que possible, et certainement dès la fin de l’hospitalisation.


Médicaments apparentés aux benzodiazépines ("z-drugs ")

Les " z-drugs " (zolpidem, zopiclone et zaléplone) ont une structure chimique différente des benzodiazépines mais des propriétés pharmacodynamiques très proches. Plusieurs études de courte durée ont montré une efficacité des " z-drugs " sur la latence d’endormissement et la durée du sommeil. D’après une revue systématique réalisée par le National Institute of Health and Clinical Excellence (NICE), on ne dispose d’aucune étude randomisée contrôlée rigoureuse ayant comparé les " z-drugs " par rapport à une benzodiazépine à durée d’action intermédiaire à dose appropriée. Bien que des différences statistiquement significatives entre les " z-drugs " et les benzodiazépines aient été observées dans certaines études, les résultats ne sont pas consistants d’une étude à l’autre, et dans la plupart des cas, la signification clinique est incertaine vu les faibles différences observées en chiffres absolus.

Les " z-drugs " présentent les mêmes effets indésirables que les benzodiazépines, y compris l’effet résiduel, l’accoutumance, la dépendance et les manifestations de sevrage. Des troubles du comportement tels que le somnambulisme et des conduites automatiques ont été rapportés avec le zolpidem, surtout à doses élevées ou en cas de prise concomitante d’alcool, de benzodiazépines ou d’antidépresseurs. Sur base des données disponibles, la balance bénéfices-risques des " z-drugs " n’est pas meilleure que celle des benzodiazépines. Tenant compte en outre de leur prix plus élevé et de l’expérience d’utilisation moins longue, ces molécules ne constituent pas un premier choix.


Antidépresseurs

Les antidépresseurs sédatifs, telle la trazodone, sont fréquemment utilisés dans la prise en charge de l’insomnie chronique, et ce même chez des patients non dépressifs. Des données limitées indiquent un effet sur la durée et la qualité du sommeil, mais des études rigoureuses font défaut, et l’insomnie n’est pas une indication officielle pour ces médicaments. Tenant compte en outre des effets indésirables importants de ces antidépresseurs, surtout chez les personnes âgées, il est préférable de réserver ces médicaments aux cas d’insomnie associée à une dépression.


Mélatonine

La mélatonine est une hormone sécrétée par l’épiphyse selon un rythme circadien. La place de la mélatonine dans le traitement des troubles du sommeil est toutefois limitée.

La mélatonine est proposée à court terme dans le " jet-lag ", mais les données restent contradictoires [voir Folia de mai 2007 et octobre 2007 ].

En ce qui concerne la prise en charge de l’insomnie, deux méta-analyses d’études contrôlées par placebo n’ont pas apporté de preuves d’efficacité de la mélatonine. On ne dispose pas d’études comparatives avec des hypnotiques. L’innocuité de la mélatonine est encore mal connue, et des données limitées indiquent que la mélatonine inhibe l’effet des anticoagulants oraux et diminue le seuil convulsif. Une spécialité à base de mélatonine (Circadin®) est disponible en Belgique pour le traitement à court terme de l’insomnie chez les patients âgés de 55 ans ou plus; le " jet-lag " ne figure pas comme indication dans la notice.

Le rameltéon , un agoniste des récepteurs de la mélatonine, a fait l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché européen pour le traitement de l’insomnie, mais celle-ci a été refusée en raison du manque de preuves d’efficacité.


Antihistaminiques H1

Certains antihistamiques H1 tels que la diphenhydramine, l’ hydroxyzine et la prométhazine ont des effets sédatifs et sont parfois utilisés dans l’insomnie. Ces médicaments provoquent toutefois des effets indésirables anticholinergiques, des sensations vertigineuses et un effet sédatif résiduel avec risque de chute. Vu leur rapport bénéfices-risques, ces médicaments ne sont en principe pas recommandés dans le traitement de l’insomnie.


Autres

L’usage des barbituriques n’est plus acceptable, et il n’existe plus de spécialités à base de barbituriques enregistrées dans cette indication.

De même, l’utilisation d’ antipsychotiques sédatifs , telles les phénothiazines, est à déconseiller vu le risque élevé d’effets indésirables (troubles extrapyramidaux, chutes, allongement de l’intervalle QT, accidents cardio-vasculaires) [voir aussi Folia de novembre 2003 , avril 2004 et février 2006 ].


Sevrage après un traitement chronique par une benzodiazépine ou substance apparentée

Bon nombre de patients utilisent des benzodiazépines ou des médicaments apparentés (" z-drugs ") de façon chronique malgré l’apparition rapide d’une tolérance à l’effet hypnotique (en quelques semaines). L’usage de ces médicaments n’est cependant pas sans danger, et une dépendance physique et psychique apparaît déjà après quelques semaines de traitement.

L’arrêt brutal du traitement s’accompagne d’un syndrome de sevrage qui se manifeste le plus souvent par des signes d’anxiété, la réapparition de l’insomnie, de la confusion, des hallucinations, des cauchemars, ces symptômes incitant souvent les patients à poursuivre le traitement. La sévérité du syndrome de sevrage dépend de la durée du traitement, de la dose et de la durée d’action (manifestations de sevrage plus fréquentes avec les préparations à courte durée d’action). Les personnes âgées semblent également plus sensibles au syndrome de sevrage.

L’arrêt de la prise chronique d’une benzodiazépine ou d’une substance apparentée doit dès lors être très progressif et doit être associé à une information du patient ainsi qu’à une prise en charge cognitivo-comportementale.

Dans certains cas, p. ex. en cas de manifestations de sevrage, ou d’utilisation de benzodiazépines à courte durée d’action, il est recommandé de passer progressivement à une benzodiazépine à longue durée d’action, tel le diazépam (voir tableau des équivalences dans le Répertoire édition 2009, p.197). Une fois la dose équivalente atteinte, la dose de diazépam peut être diminuée suivant un schéma dégressif (p. ex. diminution d’un dixième de la dose de départ toutes les une à deux semaines) sur plusieurs mois. Si nécessaire, la dose atteinte peut être maintenue un peu plus longtemps mais elle ne sera pas réaugmentée. Lorsque la dose journalière de diazépam n’atteint plus que 0,5 mg, celui-ci peut être complètement arrêté à l’étape suivante. Dans ce contexte, le recours aux préparations magistrales est souvent nécessaire.

Il est déconseillé de remplacer le sédatif par de l’alcool ou d’autres médicaments pouvant entraîner de la dépendance. Un suivi régulier du patient est indispensable.


Références

Anonyme: Plaintes de mauvais sommeil. Autant que possible, éviter les somnifères. La Revue Prescrire 2008; 28: 111-8

Anonyme: Plainte d’insomnie. Une place pour la phytothérapie traditionnelle. La Revue Prescrire 2005; 25: 110-4

Anonyme: Rameltéon – Insomnie: non aux placebos à risque. La Revue Prescrire 2008; 28: 406-9

C. Laine, D. Goldmann et JF Wilson: In the Clinic. Insomnia. Ann Intern Med 2008; ITC 1-16

The National Institute for Clinical Excellence.: Guidance in the use of zaleplon, zolpidem and zopiclone for the short-term management of insomnia . via www.nice.org.uk/TA077guidance

F. Pineux.: Insomnie: recommandations en première ligne de soins. La Revue de la Médecine Génér 2007; 144: 240-3

MH. Silber.: Chronic Insomnia. N Engl J Med 2005; 353: 803-10