IECA et sartans: études récentes et indications

Plusieurs études à large échelle sur les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) et les sartans (antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II) ont déjà été discutées dans les Folia: les études ELITE 1 et 2 [ Folia d’avril 2000 ], l’étude PROGRESS [ Folia de novembre 2002 ], l’étude HOPE [ Folia d’avril 2000 et de novembre 2002 ], l’étude LIFE [ Folia d’août 2002 ]. Les IECA et les sartans ont également été discutés dans les articles sur la protection rénale par des médicaments [ Folia de février 2003 ], le traitement initial de l’hypertension [ Folia d’avril 2004 ] et le traitement de l’insuffisance cardiaque [ Folia de mai 2004 ]. Le présent article discute de la place des IECA et des sartans dans les différentes indications possibles, entre autres sur base des études mentionnées ci-dessus ainsi que d’autres études randomisées à large échelle.


Phase aiguë de l’infarctus du myocarde


Abstract

Sauf contre-indication, un IECA doit être administré dans la phase aiguë de l’infarctus du myocarde. Le traitement doit être poursuivi à long terme, notamment chez les patients présentant un dysfonctionnement ventriculaire gauche ou une insuffisance cardiaque. Des études sur les sartans losartan et valsartan chez des patients ayant eu un infarctus du myocarde et présentant des signes d’insuffisance cardiaque et/ou un dysfonctionnement ventriculaire gauche prononcé ont été publiées récemment. Ces études arrivent à la conclusion que chez ces patients, l’administration d’un sartan peut être envisagée lorsque les IECA ne sont pas supportés; le valsartan est dans ce cas celui qui a été le mieux étudié.

Il semble bien établi que les IECA administrés précocement (dans les 36 heures à 14 jours) après un infarctus aigu du myocarde, diminuent la mortalité et le risque d’insuffisance cardiaque, même à court terme (dans les 30 jours). On s’attend à obtenir un plus grand bénéfice chez les patients à risque élevé, tels ceux présentant une insuffisance cardiaque ou un dysfonctionnement ventriculaire gauche. Une hypotension et des troubles de la fonction rénale sont des effets indésirables dont il faut tenir compte. D’après la plupart des recommandations, il convient dès lors, pour autant qu’il n’y ait pas de contre-indication (par ex. choc cardiogénique et hypotension sévère persistante), d’instaurer un traitement par un IECA dans la phase aiguë de l’infarctus du myocarde. Après quelques semaines, l’état du patient doit être réévalué: le traitement sera certainement poursuivi chez les patients présentant une insuffisance cardiaque ou un dysfonctionnement ventriculaire gauche; en ce qui concerne les IECA dans la prévention secondaire chez des patients ayant fait un infarctus du myocarde sans insuffisance cardiaque ou dysfonctionnement ventriculaire gauche, voir plus loin: "Prévention secondaire chez les patients présentant une affection cardio-vasculaire".

Ces dernières années, deux études dans lesquelles les sartans ont été comparés aux IECA chez des patients ayant eu un infarctus aigu du myocarde avec des signes d’insuffisance cardiaque et/ou un dysfonctionnement ventriculaire gauche important ont été publiées. Le traitement était chaque fois instauré pendant la phase aiguë de l’infarctus du myocarde.

  • L’étude OPTIMAAL: losartan (50 mg p.j.) versus captopril (150 mg p.j.), d’une durée moyenne de 2,7 ans. Après 4 mois, la mortalité totale était, de manière statistiquement significative, plus faible dans le groupe sous captopril que dans le groupe sous losartan, mais à la fin de l’étude, aucune différence quant à la mortalité totale n’a été constatée entre les groupes. La mortalité cardio-vasculaire à la fin de l’étude restait plus faible dans le groupe sous captopril.
  • L’étude VALIANT: valsartan (320 mg p.j. [n.d.l.r.: c.-à-d. une dose élevée]) versus captopril (150 mg p.j.) + valsartan (160 mg p.j.) versus captopril (150 mg p.j.), d’une durée moyenne de 2,5 ans. A la fin de l’étude, aucune différence statistiquement significative quant à la mortalité totale n’a été observée entre le groupe sous valsartan et le groupe sous captopril. L’association captopril + valsartan entraînait plus d’effets indésirables que chacun des deux traitements utilisés séparément, sans avantage en termes de morbidité ou de mortalité.

Que nous apprennent les études OPTIMAAL et VALIANT sur la place des sartans chez les patients ayant eu un infarctus aigu du myocarde et présentant un dysfonctionnement ventriculaire gauche et/ou une insuffisance cardiaque?

Un IECA reste le premier choix après un infarctus du myocarde chez les patients présentant un dysfonctionnement ventriculaire gauche et/ou une insuffisance cardiaque: l’expérience avec les IECA est beaucoup plus large que celle avec les sartans, et leur coût est moindre. Avec les IECA, un effet favorable sur la mortalité à court terme (dans les 30 jours) et à long terme a été démontré. Les sartans semblent aussi efficaces à long terme, mais il n’est pas clair qu’ils soient aussi efficaces à court terme. La différence de mortalité après 4 mois entre le losartan et le captopril dans l’étude OPTIMAAL s’explique selon certains par une augmentation trop lente de la dose de losartan jusqu’à la valeur à atteindre (50 mg p.j.), mais aussi par le fait que cette dose serait trop faible. D’après les investigateurs et les auteurs d’un éditorial se rapportant à cette étude, ceci souligne l’importance d’une augmentation rapide de la dose et d’une posologie adéquate. La conclusion de cet éditorial est qu’un sartan, en particulier le valsartan, peut être envisagé chez les patients qui ne supportent pas les IECA. On ne dispose pas de données quant à l’usage de sartans chez des patients ayant eu un infarctus aigu du myocarde sans dysfonctionnement ventriculaire gauche ou insuffisance cardiaque.


Hypertension


Abstract

La conclusion de l’article sur le traitement initial de l’hypertension, paru dans les Folia d’avril 2004, est qu’un thiazide ou apparenté est le traitement de premier choix chez beaucoup de patients, et que le choix peut s’orienter vers d’autres médicaments en fonction d’éventuelles pathologies associées. Un IECA constitue un bon choix chez les patients avec des facteurs de risque tels diabète ou antécédents d’infarctus du myocarde. Des études récentes avec des sartans montrent que ceux-ci sont probablement aussi efficaces que d’autres antihypertenseurs dans la prévention d’accidents cardio-vasculaires, à condition que la diminution de la tension artérielle soit similaire: ces études ne modifient cependant pas la conclusion des Folia d’avril 2004.

Les Folia d’ avril 2004 ont consacré un article sur le traitement initial de l’hypertension. La conclusion est que, sur base des preuves actuelles, un thiazide ou un diurétique apparenté est le premier choix chez beaucoup de patients; en présence de pathologies associées, un autre médicament dont l’effet sur la morbidité et la mortalité a été démontré, peut être envisagé. Il y est mentionné qu’un IECA est un bon choix chez les patients qui présentent aussi une insuffisance cardiaque, des antécédents d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral, un risque cardio-vasculaire élevé, un diabète ou une affection rénale chronique.

Trois études sur les sartans dans l’hypertension ont été publiées ces dernières années.

  • L’étude LIFE: losartan versus aténolol, chez des patients hypertendus présentant une hypertrophie ventriculaire gauche à l’ECG [ce qui n’est observé que chez 2 à 6% des patients hypertendus; voir Folia d’ août 2002 ]. Dans cette étude, le losartan a eu un effet favorable sur la morbidité et la mortalité cardio-vasculaires par rapport à l’aténolol, et ce, en raison d’une diminution plus marquée du risque d’accident vasculaire cérébral par le losartan.
  • L’étude SCOPE: candésartan versus placebo, chez des patients âgés hypertendus. Dans les deux groupes, un traitement antihypertenseur complémentaire a fréquemment été instauré: il s’agit donc plutôt dans cette étude d’une comparaison entre un traitement hypertenseur à base entre autres de candésartan et un traitement antihypertenseur sans sartan. Les résultats ne montrent aucune différence statistiquement significative quant à la survenue d’accidents cardio-vasculaires.
  • L’étude VALUE: valsartan versus amlodipine, chez des patients hypertendus avec un risque cardio-vasculaire élevé. Les résultats ne montrent aucune différence statistiquement significative quant à la survenue d’accidents cardio-vasculaires, à l’exception de l’infarctus du myocarde qui était moins fréquent dans le groupe sous amlodipine. La diminution de la tension artérielle était plus prononcée dans le groupe sous amlodipine.

Que nous apportent les études LIFE, SCOPE et VALUE sur la place des sartans dans la prise en charge de l’hypertension?

D’après un éditorial paru dans le Lancet, les sartans sont probablement aussi efficaces que d’autres antihypertenseurs dans la prévention des accidents cardio-vasculaires chez des patients hypertendus, pour autant que la diminution de la tension artérielle soit comparable. Les petites différences de résultats entre les groupes s’expliquent probablement par les différences des valeurs tensionnelles atteintes. Dans les trois études, l’apparition d’un diabète de novo était moins fréquente dans le groupe sous sartans que dans le groupe contrôle. Les études LIFE, SCOPE et VALUE renforcent les preuves d’un effet favorable des sartans sur la morbidité et la mortalité chez les patients hypertendus, mais ceci ne modifie pas la conclusion des Folia d’avril 2004 (voir plus haut).


Insuffisance cardiaque

Voir Folia d’avril 2000 et Folia de juin 2004 .


Abstract

Sauf contre-indication, tous les patients atteints d’une insuffisance cardiaque systolique doivent être traités par un IECA. Ces dernières années, des études réalisées avec des sartans chez des patients atteints d’une insuffisance cardiaque systolique ont également été publiées: ELITE 1 et 2 (avec le losartan), Val-HeFT (avec le valsartan), CHARM (avec le candésartan). Les sartans sont actuellement considérés comme une alternative lorsque les IECA ne sont pas supportés.


Prévention secondaire chez les patients présentant une affection cardio-vasculaire


Abstract

Il a été déjà mentionné plus haut qu’un traitement à long terme par un IECA se justifie chez les patients ayant eu un infarctus aigu du myocarde et qui présentent des signes de dysfonctionnement ventriculaire gauche ou d’insuffisance cardiaque. Les études HOPE et EUROPA ont examiné si ce choix se justifie aussi chez d’autres patients présentant une affection cardio-vasculaire. Ces études concernent surtout ou exclusivement des patients atteints d’une affection coronarienne. Selon certains, tous les patients présentant une affection coronarienne doivent être traités à long terme par un IECA, et ce pour autant bien sûr qu’il n’y ait pas de contre-indication. Il faut toutefois remarquer que d’autres sont plus réservés, et estiment que chez les patients atteints d’une affection coronarienne sans autre facteur de risque évident, la décision d’administrer un IECA à vie ne doit pas être prise de manière systématique.

Il est clair que chez les patients qui ont eu un infarctus du myocarde aigu et qui présentent des signes de dysfonctionnement ventriculaire gauche ou d’insuffisance cardiaque, un traitement à long terme par un IECA se justifie (voir plus haut "Phase aiguë de l’infarctus du myocarde"). Est-ce aussi le cas chez d’autres patients atteints d’une affection cardio-vasculaire ? Ces dernières années, deux études avec un IECA ont été publiées à ce sujet.

  • L’étude HOPE: ramipril (10 mg p.j.) versus placebo, notamment chez des patients présentant une affection cardio-vasculaire: voir Folia d’ avril 2000 et Folia de novembre 2002.
  • L’étude EUROPA: périndopril (8 mg p.j.) versus placebo, chez des patients atteints d’angor stable.

Dans ces études, une minorité de patients avait des antécédents d’accident vasculaire cérébral, et les patients atteints d’une insuffisance cardiaque étaient exclus. Dans ces deux études, l’IECA a été ajouté à un éventuel traitement existant par un antiagrégant, un β-bloquant et/ou un hypolipidémiant. Une diminution du critère d’évaluation combinant la morbidité et la mortalité cardio-vasculaires (e.a. le risque d’infarctus du myocarde) a été observée dans les deux études avec l’IECA. Dans l’étude HOPE mais pas dans l’étude EUROPA, une diminution de la mortalité a été observée lors d’une analyse ultérieure.

Que nous apportent les études HOPE et EUROPA sur l’emploi d’un IECA chez les patients présentant une affection coronarienne ? [voir aussi Folia de septembre 2004 ].

D’après les chercheurs et les auteurs de certains commentaires, sur base des résultats de ces études, tous les patients présentant une affection coronarienne devraient être traités par un IECA, en plus d’un traitement par un antiagrégant, un β-bloquant et un hypolipidémiant. D’après une lettre de lecteur parue dans le Lancet, et un article de La Revue Prescrire, ceci semble toutefois prématuré: dans l’étude EUROPA chez des patients qui avaient un risque cardio-vasculaire pré-existant plus faible que dans l’étude HOPE, aucun effet sur la mortalité n’a pu être démontré. Chez les patients atteints d’une affection coronarienne mais sans autre facteur de risque évident, le bénéfice escompté d’un traitement préventif est en tout cas plus faible et, en l’absence de preuves d’un effet d’un IECA sur la mortalité, ce bénéfice ne contrebalance peut-être pas le coût et les risques d’un tel traitement. Chez ces patients, une adaptation du style de vie avec perte de poids, arrêt du tabagisme et une activité physique régulière, entraînera probablement une diminution plus importante du risque qu’un traitement par un IECA, et ce à un coût beaucoup moins élevé. Dans la classe des IECA, le ramipril est celui qui a été le plus étudié.


Affection rénale

Voir Folia de février 2003 .


Abstract
  • Chez les patients présentant une élévation de la tension artérielle et un diabète de type 1 ou 2, les IECA diminuent le risque d’apparition d’une néphropathie diabétique, et ralentissent la progression d’une néphropathie diabétique existante; ils sont à cette fin probablement plus efficaces que d’autres antihypertenseurs. Des études avec les sartans irbésartan et losartan chez des diabétiques de type 2 (la plupart hypertendus) ont également montré un effet favorable. Une revue systématique d’études randomisées contrôlées sur les IECA et les sartans chez des patients atteints d’une néphropathie diabétique (diabète de type 1 ou de type 2) a été publiée récemment. Les auteurs rapportent pour ces deux classes un effet favorable sur les critères d’évaluation rénaux (p. ex. progression vers une insuffisance rénale terminale), mais seuls les IECA ont entraîné une diminution de la mortalité.
  • Chez des patients hypertendus atteints d’une néphropathie non diabétique, il est démontré que certains IECA (énalapril, fosinopril, ramipril) ralentissent la progression vers une insuffisance rénale terminale. Les IECA sont peut-être plus efficaces à cette fin que d’autres anithypertenseurs.

D’après

  • K. Dickstein et al.: Effects of losartan and captopril on mortality and morbidity in high-risk patients after acute myocardial infarction: the OPTIMAAL randomised trial. Lancet 360 : 752-760(2002)
  • M.A. Pfeffer et al.: Valsartan, captopril, or both in myocardial infarction complicated bij heart failure, left ventricular dysfunction, or both. N Engl J Med 349 : 1893-1906(2003)
  • D.L. Mann en A. Deswal: Angiotensin-receptor blockade in acute myocardial infarction – A matter of dose. N Engl J Med 349 : 1963-1965(2003)
  • K. Dickstein: What did we learn from the OPTIMAAL trial? What can we expect from VALIANT? Am Heart J 145 : 754-757(2003)
  • H. Lithell et al.: The Study on Cognition and Prognosis in the Elderly (SCOPE): principal results of a randomized double-blind intervention trial. J Hypertens 21 : 875-886(2003)
  • The study on cognition and prognosis in the elderly (SCOPE): principal results of a randomized double-blind intervention trial (correspondence). J Hypertens 21 : 1771-1773(2003)
  • The EURopean trial On reduction of cardiac events with Perindopril in stable coronary Artery disease Investigators. Efficacy of perindopril in reduction of cardiovascular events among patients with stable coronary artery disease: randomised, double-bl Lancet 362 : 782-788(2003)
  • H.D. White: Should all patients with coronary disease receive angiotensin-converting-enzyme inhibitors? Lancet 362 : 755-757(2003)
  • The EUROPA trial (correspondence). Lancet 362 : 1935-1937(2003)
  • Ramipril ou perindopril pour les coronariens? La Revue Prescrire 24 : 475-476(2004)
  • S. Julius et al.: Outcomes in hypertensive patients at high cardiovascular risk treated with regimens based on valsartan or amlodipine: the VALUE randomised trial. Lancet 363 : 2022-2031(2004)
  • M.A. Weber et al.: Blood pressure dependent and independent effects of antihypertensive treatment on clinical events in the VALUE trial. Lancet 363 : 2049-2051(2004)
  • L.H. Lindholm: (Commentary). Valsartan treatment of hypertension – does VALUE add value? Lancet 363 : 2010-2011(2004)
  • G.F.M. Strippoli et al.: Effects of angiotensin converting enzyme inhibitors and angiotensin II receptor antagonists on mortality and renal outcomes in diabetic nephropathy: systematic review Brit Med J 329 : 828-839(2004)

Note de la rédaction

L’auteur d’un éditorial publié récemment dans les Ann Intern Med [141 : 157-158(2004)] pose la question de savoir si l’effet favorable sur la survie démontré avec certains IECA peut être extrapolé à tous les médicaments de cette classe. La réponse donnée dans l’éditorial est que cela n’est pas si simple et qu’il est préférable d’utiliser un médicament pour lequel l’effet favorable a été démontré dans des études cliniques rigoureuses. Une autre question posée est de savoir comment choisir entre les différents IECA pour lesquels un effet favorable a été démontré. Il est difficile d’y répondre. Aucune étude n’a comparé directement ("head-to-head") les IECA entre eux en ce qui concerne leur effet sur la survie. Une solution possible serait de comparer les études avec les IECA concernés, mais cela pose un certain nombre de problèmes (p.ex. critères d’inclusion et d’exclusion différents dans les différentes études).