COVID-19 : retrait de l’étude du Lancet sur l’hydroxychloroquine et la chloroquine [mise à jour des communiqués du 26/05/20 et du 28/05/20] 26 mai 2020
dernière mise à jour: 5 juin 2020

Mise à jour du 05/06/20


L'étude publiée dans le Lancet du 22 mai sur la chloroquine et l'hydroxychloroquine, qui semblait démontrer un manque d'efficacité et suggérer une mortalité accrue et davantage d'arythmies chez les patients hospitalisés, est retirée : voir le site Web du Lancet (04/06/20). Nous avions abordé cette étude dans le « Bon à savoir » du 26 mai (voir ci-dessous).
Les chercheurs chargés de réaliser un peer reviewing indépendant de l'étude et de la base de données sur laquelle l’étude est basée (Surgisphere) signalent qu'ils n'ont pas obtenu les données nécessaires, et qu'une révision par les pairs n'est donc pas possible. La véracité de l'étude ne peut plus être garantie.
Le point de vue du CBIP reste toutefois le même, à savoir que l'utilisation de l’HCQ ou de la CQ ne se justifie que dans le cadre d’études rigoureuses, randomisées et contrôlées. 
Entre-temps, l'Organisation mondiale de la santé  a décidé de poursuivre à nouveau le bras hydroxychloroquine de l'étude Solidarity, qui avait été temporairement interrompu (voir ci-dessous). L'étude Solidarity et d'autres études randomisées en cours devraient permettre, espérons-le, de mieux comprendre la place de l’HCQ dans le traitement du COVID-19.
Le New England Journal of Medicine retire également une étude basée sur la même base de données (Surgisphere) : voir le site Web du NEJM (04/06/20) . Cette étude, rapportant des données sur les IECA et les sartans, a été discutée dans notre communiqué « Bon à savoir » du 12 mai 2020. Ce « Bon à savoir » a également été mis à jour.
Le retrait de ces deux articles doit nous rendre vigilants quant au risque de perte de qualité lié  à l'accélération du peer reviewing et à la publication d'articles sous la pression du temps, en cette période de pandémie de coronavirus, même dans les grandes revues médicales.


Mise à jour 28/05/20:


Suite aux résultats de l’étude publiée dans The Lancet (voir notre communiqué ci-dessous) Sciensano limite l’utilisation de l’hydroxychloroquine chez les patients COVID-19 hospitalisés à l’utilisation exclusive dans le cadre d’études cliniques. L’usage en dehors de ce cadre est déconseillé [voir Procédure pour hôpitaux et spécialistes > « Traitement de patients hospitalisés »  (version la plus récente (en anglais) du 26/05/2020)]. La chloroquine ne faisait de toute façon pas partie des options thérapeutiques mentionnées en Belgique.
Sciensano annonce aussi qu’un groupe de travail a été mis en place pour formuler des recommandations sur la prise en charge des patients COVID-19 en première ligne, sous la coordination du “Groupe de Travail Développement Recommandations de Bonne Pratique Première Ligne ” (un consortium de développeurs de guides de pratique clinique, financé par l’INAMI), et il est prévu qu’une première partie de la recommandation sera prête d’ici octobre 2020.

 
Notre communiqué Bon à savoir du 26/05/20:


The Lancet (22/05/20)1 a publié les résultats d'une vaste étude observationnelle multinationale « en conditions réelles » menée auprès de patients COVID-19 hospitalisés. Les patients recevant de l'hydroxychloroquine (HCQ) ou de la chloroquine (CQ), éventuellement en combinaison avec un macrolide, ont été comparés aux patients n’en ayant pas reçu. Dans cette étude, ces médicaments ne sont associés à aucun bénéfice chez les patients traités, mais sont au contraire associés à une augmentation de la mortalité hospitalière et de l'incidence des arythmies ventriculaires (voir plus loin pour quelques détails de l'étude). Même si, en tant qu’étude observationnelle, cette étude ne permet pas de prouver une relation causale pour ces événements indésirables, il s'agit néanmoins d'un signal sérieux.
Cette étude publiée dans The Lancet a incité l'Organisation mondiale de la santé à interrompre temporairement le bras hydroxychloroquine de l'étude Solidarity, une étude contrôlée et randomisée évaluant l'efficacité de quatre traitements dans le COVID-19. Ceci dans l'attente d'une analyse des résultats intermédiaires. En Belgique, la place de l’HCQ chez les patients COVID-19 hospitalisés est en cours de révision par Sciensano ; nous vous renverrons au site Web de Sciensano dès que les recommandations révisées seront disponibles.
L'AFMPS rappelle également, suite à l'étude publiée dans The Lancet, les risques liés à la CQ et à l’HCQ (communiqué du 25/05/20).
Cette étude ne nous apprend rien sur les patients COVID-19 traités à domicile ou dans une maison de repos et de soins. Pour ces patients, les recommandations restent inchangées : l'utilisation d’HCQ ou de CQ à domicile ou dans les maisons de repos et de soins n'est pas justifiée car il n'y a aucune preuve d'efficacité alors que les risques sont réels, et la surveillance (notamment cardiaque) n'est pas possible dans ce contexte. [En ce qui concerne l’HCQ, voir aussi nos BàS du 22/04/20 et du 16/04/20].
 
Conclusion du CBIP :
L'utilisation de l’HCQ ou de la CQ ne peut se justifier que dans le cadre d’études rigoureuses, contrôlées et randomisées. Les macrolides n'ont pas de place dans le traitement du COVID-19 [voir aussi BàS du 16 avril 2020]. 

 

Quelques détails sur l’étude dans The Lancet

  • L'étude publiée dans The Lancet s’appuie sur un registre international (“The Surgical Outcomes Collaborative Surgisphere Corporation”) rassemblant des données « en conditions réelles », validées au maximum, de patients COVID-19 provenant de 671 hôpitaux sur 6 continents (principalement en Amérique du Nord ; période du 20/12/2019 au 14/04/2020). Sur un total de 98.262 patients COVID-19 hospitalisés, 2.230 ont été exclus, soit parce qu'ils prenaient du remdesivir (un antiviral expérimental), soit parce que la CQ ou l’HCQ avait été initiée pendant qu'ils étaient sous ventilation artificielle, soit parce que la CQ ou l’HCQ avait été initiée plus de 48 heures après le diagnostic de COVID-19.

  • Les données de 14.888 patients chez lesquels un traitement par HCQ ou CQ, ou HCQ + macrolide ou CQ + macrolide, avait été initié dans les 48 heures suivant le diagnostic de COVID-19, ont été comparées aux données de 81.144 patients n’ayant pas reçu ces médicaments. Les macrolides utilisés étaient l'azithromycine ou la clarithromycine.

  • Les principaux critères d’évaluation étaient la mortalité hospitalière et l'apparition d'arythmies ventriculaires. D'autres critères d’évaluation étaient la progression vers la ventilation artificielle et la durée d'hospitalisation.

  • Après ajustement selon l’âge, le sexe, la race ou l'origine ethnique, la comorbidité (notamment obésité, maladie cardio-vasculaire, maladies pulmonaires, diabète) et la gravité du COVID-19 au début de l'étude, l'analyse montre :

    - une incidence plus élevée de mortalité hospitalière chez les patients traités: 16,4% à 23,8%, selon le groupe de médication (HCQ, CQ, ou combinaison avec un macrolide) contre 9,3% chez les patients témoins, avec des rapports de hasards allant de 1,3 [IC à 95% de 1,2 à 1,5] à 1,5 [IC à 95% de 1,4 à 1,5];
    - une incidence plus élevée d’arythmies ventriculaires « de novo » chez les patients traités : 4,3% à 8,1%, selon le groupe de médication (HCQ, CQ, ou combinaison avec un macrolide) contre 0,3% chez les patients témoins, avec des rapports de hasards allant de 3,6 [IC à 95% de 2,8 à 4,6] à 5,1 [IC à 95% de 4,1 à 6].
    - Aucun bénéfice n’a été observé dans les groupes traités sur les critères d’évaluation « nécessité d’une ventilation artificielle » et « durée d’hospitalisation ».

  • En raison de sa conception observationnelle, cette étude ne permet pas de prouver la présence d’un rapport causal entre les associations observées, ni de déterminer si la mortalité plus élevée était due aux arythmies ventriculaires. Se pourrait-il par exemple que l’on ait mis sous CQ ou sous HCQ les patients les plus malades - c'est-à-dire ceux dont le pronostic était moins bon et qui présentaient un risque plus élevé d'effets indésirables ? Il n'y avait pas de données sur l'intervalle QT ni sur le type d'arythmie ventriculaire (s’agissait-il de torsades de pointes p.ex. ?). Selon les auteurs d'un Commentaire se rapportant à l'étude2, l'augmentation de la mortalité n'était probablement due qu'en partie aux propriétés arythmogènes de la CQ et de l’HCQ : le nombre de décès supplémentaires était beaucoup plus élevé que le nombre d'arythmies ventriculaires. Le risque de décès ne dépendait pas, contre toute attente, de la combinaison avec les macrolides, qui ont également des propriétés arythmogènes. Selon les auteurs du Commentaire, les propriétés antivirales et immunomodulatrices de la CQ et de l’HCQ pourraient aggraver la sévérité du COVID-19 chez certains patients, ce qui pourrait expliquer la mortalité accrue.

 
Sources spécifiques

1.  Mehra MR, Desai SS, Ruschitzka F, Patel AN. Hydroxychloroquine or chloroquine with or without a macrolide for treatment of COVID-19: a multinational registry analysis. The Lancet, online 22/05/20 (https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31180-6)

2.  Funck-Brentano C, Salem J-E. Chloroquine or hydroxychloroquine for COVID-19: why might they be hazardous? The Lancet, online 22/05/20 (https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31174-0)