Le risque d’effets indésirables graves, notamment gastro-intestinaux et rénaux, est bien connu avec les AINS, surtout chez les patients à risque (notamment les personnes âgées) et en cas d’utilisation prolongée de doses élevées. L’association de  codéine à l’ibuprofène, comme dans l’association fixe Brufen Codeine® (400 mg d’ibuprofène + 30 mg de codéine par comprimé), peut favoriser une prise chronique et un abus. Cela peut conduire à une utilisation prolongée d’ibuprofène à une dose bien supérieure à la dose recommandée.

Parmi les patients prenant l’association ibuprofène + codéine, on a rapporté des cas de toxicité rénale, gastro-intestinale et métabolique graves, avec parfois une issue fatale, le plus souvent suite à l’utilisation de doses élevées d’ibuprofène pendant une période prolongée. Ceci est la conséquence d’une dépendance à la codéine. Les principaux effets indésirables rapportés sont : perforations et hémorragies gastro-intestinales, anémie grave, insuffisance rénale, acidose rénale tubulaire, hypokaliémie grave.

Le Comité européen de pharmacovigilance (PRAC, Pharmaceutical Risk Assessment Commitee) de l’Agence européenne des médicaments (EMA) a récemment évalué le risque d’acidose rénale tubulaire et d’hypokaliémie consécutif à la prise de l’association fixe ibuprofène + codéine.

  • Dans la majorité des rapports d’acidose rénale tubulaire et d’hypokaliémie, les patients prenaient plus de 12 comprimés par jour, parfois pendant plusieurs années. Mais dans 3 cas, il s’agissait de patients qui avaient pris des doses thérapeutiques pendant  5 semaines (n = 1 ), 3 mois (n = 1) ou un an (n = 1.). Les patients dont l’âge était connu, étaient âgés entre 28 et 58 ans (âge médian : 38 ans). Dans la majorité des cas, les patients n’avaient pas d’antécédents de dépendance médicamenteuse ni de co-morbidité psychiatrique.

  • En cas d’hypokaliémie et d’acidose métabolique inexpliquées ou en présence de symptômes évocateurs, tels que faiblesse générale ou diminution de la conscience, chez des patients prenant l’association ibuprofène+ codéine, une acidose rénale tubulaire doit être suspectée.

  • Les RCP et les notices des spécialités contenant cette association seront mis à jour pour attirer l’attention sur ce risque.1,2

    Une recherche de la littérature et des bases de données irlandaise et européenne de pharmacovigilance a permis d’identifier 24 cas d’acidose rénale tubulaire et 8 cas d’hypokaliémie (sans acidose rénale tubulaire) pour l’association ibuprofène + codéine. Six cas d’acidose rénale tubulaire avec l’ibuprofène seul ont aussi été identifiés. Lorsqu’il était connu (n = 31), l’âge était compris entre 28 et 58 ans (âge médian : 38 ans). Dans la majorité des cas, les patients n’avaient pas d’antécédents de dépendance médicamenteuse ni de co-morbidité psychiatrique. Dans la plupart des cas, les effets indésirables ont été observés après une utilisation de l’association à doses élevées (généralement entre 12 et 40-60 comprimés par jour), pendant plusieurs mois voire plusieurs années.
     
    Les cas d’abus médicamenteux et de dépendance rapportés avec l’association ibuprofène + codéine ont aussi été recherchés dans la base de données européenne de pharmacovigilance : on a identifié 99 cas de dépendance et 48 cas d’abus médicamenteux pour lesquels l’association était le seul médicament suspecté. Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés pour ces cas étaient : hémorragie gastro-intestinale, anémie, ulcère gastro-duodénal/perforation gastro-intestinale, insuffisance rénale aiguë. L’âge moyen des patients était d’environ 40 ans.

    La majorité des cas ont été rapportés dans des pays où, contrairement à la Belgique, l’association ibuprofène + codéine est en délivrance libre.

Commentaire du CBIP

  • L’association fixe ibuprofène + codéine peut provoquer une dépendance, avec prise prolongée de doses élevées d’ibuprofène. En plus des risques connus de l’ibuprofène (p.ex. effets indésirables gastro-intestinaux,… : voir Répertoire 9.1.1.), il faut tenir compte d’un risque d’acidose tubulaire rénale et d’hypokaliémie. La recommandation du PRAC de reprendre ce risque dans le RCP renforce le message du Répertoire au chapitre 8.3.2. : « La place de l’association ibuprofène + codéine n’est pas claire et son usage devrait être limité dans le temps. ». Les données de pharmacovigilance montrent que les cas rapportés concernent aussi des personnes jeunes (âge moyen de l’ordre de 40 ans) et sans antécédents connus de dépendance médicamenteuse ou de troubles psychiatriques.

  • Cet article attire l’attention sur le risque d’hypokaliémie. Ceci ne doit pas être confondu avec le risque d’hyperkaliémie associé aux AINS, surtout chez les patients avec insuffisance rénale et les patients qui prennent des suppléments de potassium, des diurétiques d’épargne potassique, des IECA ou des sartans, ou qui utilisent des héparines.

  • Vu le risque de dépendance au tramadol, un risque similaire ne peut être exclu avec l’association fixe tramadol + dexkétoprofène.

  • Conclusion: Les associations fixes d’un opioïde et d’un AINS sont en principe à déconseiller, et si elles doivent quand même être utilisées, elles le seront uniquement pour un traitement de très courte durée. Si les deux médicaments doivent être utilisés simultanément, il est préférable d’utiliser les composants individuels sous forme de deux spécialités distinctes. Cela permet de mieux adapter la dose et diminue le risque d’effets indésirables des AINS.

Sources spécifiques

EMA. Meeting highlights from the Pharmacovigilance Risk Assessment Committee (PRAC) 26-29 September 2022. News 30/09/22
EMA. PRAC recommendations on signals. EMA/PRAC/781568/2022 (24/10/22)