Risque de bradycardie sévère avec les antiarythmiques dans la fibrillation auriculaire 9 mai 2025

Message clé

  • Les antiarythmiques sont des médicaments à marge thérapeutique étroite. Ils font l’objet de nombreuses interactions et peuvent être sources d’effets indésirables graves.

  • Cette étude a montré que :

    • Les antiarythmiques utilisés dans la fibrillation auriculaire (FA) peuvent être associés à des bradycardies sévères. Celles-ci peuvent être sources de syncopes ou encore, nécessiter l’implantation d’un pacemaker.

    • Cette association était d’autant plus importante avec le sotalol ou la dronédarone (non disponible en Belgique) et, dans une moindre mesure, avec l’amiodarone qu’avec les antiarythmiques de la classe Ic.

  • En pratique, tout patient traité par un antiarythmique devrait être informé sur les symptômes évocateurs d’une bradycardie sévère (par ex. fatigue inhabituelle, malaise, perte de connaissance…). Un contrôle régulier de la fréquence cardiaque devrait être également réalisé chez ces patients.

Protocole de l’étude

  • Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective, basée sur les données du système d’assurance-maladie sud-coréen1.

  • Cette étude s’est intéressée à l’association entre la prescription d’antiarythmiques dans le cadre d’une approche « rhythm control » pour FA de novo et le risque de syncope ou d’implantation de pacemaker. Les données de 674 303 patients chez qui une FA de novo avait été diagnostiquée entre 2013 et 2019 ont été analysées.

  • Les antiarythmiques utilisés dans cette étude étaient les suivants : flécaïnide, propafénone, pilsicaïnide (non disponible en Belgique), amiodarone, dronédarone (non disponible en Belgique) et sotalol.

  • Les critères d’exclusion étaient : un âge < 18 ans, un antécédent de syncope ou d’implantation permanente de pacemaker, un antécédent de tachycardie ou fibrillation ventriculaires, une prescription antérieure d’antiarythmiques.

  • Afin de renforcer la validité des résultats de l’étude, deux types d’analyses ont été menées :

    • Premièrement, le risque de survenue de syncope ou d’implantation de pacemaker a été comparé entre les patients placés sous antiarythmiques dans l’année ayant suivi le diagnostic de leur fibrillation auriculaire (n = 142 141) et les patients n’ayant pas eu recours à ces médications (n = 532 162).

    • Deuxièmement, un appariement par score de propension (« propensity score matching ») a ensuite été constitué afin de former deux groupes aux caractéristiques les plus similaires possibles (âge, sexe, diabète, hypertension, tabagisme, consommation éthylique…) ; tous deux rassemblaient 142 140 patients.

      Le score de propension2 exprime la probabilité, pour une personne, d’être exposée ou non à un traitement sur base de facteurs de confusion. Dans une étude observationnelle, l’appariement par score de propension permet d’apparier à chaque participant du groupe « exposition », un participant similaire du groupe « contrôle » sur base de leurs scores de propension. Lors de l’appariement, on veille à ce que la différence absolue entre les scores de propension soit la plus petite possible. On obtient ainsi deux groupes pour lesquels la probabilité d’être exposé à un traitement est pratiquement égale. Ceci permet d’éliminer un grand nombre de facteurs de confusion sans perte importante d’observations.
  • La durée de suivi était de 1 an à partir du diagnostic de FA pour les non-utilisateurs d’antiarythmiques et de 1 an à partir de la prescription d’antiarythmiques pour les patients sous ces médications. Les antiarythmiques ont été prescrits dans l’année suivant le diagnostic de FA.

Résultats en bref

  • La majorité des patients inclus (61,1%) avaient ≥ 65 ans (âge moyen de 67,1 ans), 53,2% étaient des hommes, 18,4% étaient diabétiques, 41,8% étaient hypertendus et le BMI moyen était de 24,4 kg/m2. Seuls 4% souffraient d’une insuffisance cardiaque, 3,4% d’une insuffisance rénale chronique et 2,9% d’une dysthyroïdie. Un antécédent d’infarctus du myocarde était retrouvé chez 1,6% des patients.

  • Dans la première analyse, après ajustement des covariables (âge, sexe, hypertension, diabète, dyslipidémie, insuffisance rénale chronique, insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde et dysthyroïdie), le risque chez les patients sous antiarythmiques par rapport aux patients sans antiarythmiques était:

    • 3,5 fois plus important (HR 3,495 avec IC95% 3,291 à 3,713, p<0,001) pour la survenue de syncope ou la nécessité d’implantation de pacemaker.

    • 5,3 fois plus important (HR 5,263 avec IC95% 4,858 à 5,702, p<0,001) pour la nécessité d’implantation de pacemaker.

    • 2,1 fois plus important (HR 2,142 avec IC95% 1,951 à 2,352, p<0,001) pour la survenue de syncope.

  • L’appariement par score de propension, réalisé dans la seconde analyse, montrait des résultats similaires. En outre, l’incidence d’implantation de pacemaker ou de survenue de syncope était de 4,5/1 000 personnes-années dans le groupe sans antiarythmiques contre 16,3/1 000 personnes-années dans le groupe sous antiarythmiques.

    Après appariement par score de propension, le risque chez les patients sous antiarythmiques par rapport aux patients sans antiarythmiques était :
    • 3,6 fois plus important (HR 3,566 avec IC95% 3,232 à 3,933, p<0,001) pour la survenue de syncope ou d’implantation de pacemaker.
    • 5,1 fois plus important (HR 5,055 avec IC95% 4,419 à 5,783, p<0,001) pour la nécessité d’implantation de pacemaker.
    • 2,3 fois plus important (HR 2,286 avec IC95% 1,981 à 2,638, p<0,001) pour la survenue de syncope.
  • Par rapport aux autres antiarythmiques, les antiarythmiques de la classe Ic (flécaïnide, propafénone, pilsicaïnide) apparaissaient moins à risque pour le critère d’évaluation étudié. En effet, par rapport aux antiarythmiques de la classe Ic, on retrouvait un risque plus important de syncope ou d’implantation de pacemaker avec l’amiodarone (HR 1,75 avec IC 95% 1,52 à 2,00, p<0,001) et la dronédarone ou le sotalol (HR 2,57 avec IC95% 2,20 à 2,95).

  • Après appariement par score de propension, une analyse de sous-groupes a révélé un risque significativement plus important de syncope ou d’implantation de pacemaker chez les patients de sexe féminin.

Forces et limites de l’étude

  • Il s’agit d’une étude observationnelle. Ce design d’étude est plus à risque de biais (par ex. erreur ou absence d’encodage dans les dossiers des patients analysés) et de facteurs de confusion pouvant influencer les résultats. En outre, certaines données étaient manquantes dans l’étude, comme par exemple, la présence ou non d’autres médicaments bradycardisants dans les traitements des patients.

  • Toutefois, la grande taille de la cohorte analysée a permis d’étudier des évènements indésirables dont la fréquence de survenue est pourtant rare (syncope, nécessité d’implantation de pacemaker).

  • De plus, en utilisant les données médicales issues du système d’assurance-maladie sud-coréen, l’étude a pu analyser des évènements qui sont survenus dans la première et deuxième lignes de soins et qui concernaient l’entièreté de la population sud-coréenne. En effet, le système d’assurance-maladie sud-coréen est obligatoire et rassemble des données telles que l’historique de prescription, les diagnostics réalisés chez les patients mais aussi des données issues d’examens (para-)cliniques provenant de campagnes de dépistage bisannuelles offertes à la population. En outre, toute implantation de pacemaker doit y être inscrite pour pouvoir être remboursée.

  • D’autre part, les deux niveaux d’analyses ont montré des résultats concordants. Ceci permet de renforcer la validité des résultats de cette étude.

  • Enfin, seuls des patients asiatiques ont été inclus dans l’étude. La généralisation des résultats à une population caucasienne doit donc se faire avec prudence.

Commentaire du CBIP

  • Dans la fibrillation auriculaire, le choix entre une approche privilégiant un contrôle de la fréquence cardiaque (« rate control ») ou un retour/maintien en rythme sinusal (« rhythm control ») fait souvent l’objet de discussions bien que les patients bénéficient généralement d’un traitement combinant ces deux approches.

  • Alors que l’approche « rate control » suffit généralement à soulager les symptômes relatifs à la FA, les études s’intéressant aux bénéfices des antiarythmiques (« rhythm control ») montrent des résultats discordants en termes de morbi-mortalité.

  • Les antiarythmiques ont encore leur place dans les recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC)3 et du National Institute for Health and Care Excellence (NICE)4. Ceux-ci peuvent être utilisés tant pour une cardioversion (par voie intraveineuse ou per os s’il s’agit d’une stratégie « pill in the pocket ») que dans le cadre d’une prévention secondaire au long cours chez les patients revenus en rythme sinusal.

  • Si les antiarythmiques peuvent être indiqués, il faut cependant rappeler que ces molécules sont des médicaments à marge thérapeutique étroite, faisant l’objet de nombreuses interactions et pouvant être sources d’effets indésirables graves.

  • Bien que dans cette étude, le risque de bradycardie sévère était moindre avec les antiarythmiques de la classe Ic, il est nécessaire de rappeler qu’en pratique, les comorbidités du patient guident le choix de l’antiarythmique à utiliser. Les antiarythmiques de la classe Ic sont, par exemple, contre-indiqués chez les patients souffrant d’une cardiopathie ischémique.

  • En pratique, tout patient sous antiarythmique devrait être informé des symptômes devant l’inciter à consulter son médecin traitant car évocateurs d’une bradycardie sévère (par ex. fatigue inhabituelle, malaise, perte de connaissance…). Un contrôle régulier de la fréquence cardiaque devrait être également réalisé chez ces patients.

 
Noms des spécialités concernées :

  • Flécainide : Apocard®, Flecainide, Flecateva®, Tambocor® (voir Répertoire)

  • Propafénone : Rytmonorm® (voir Répertoire)

  • Amiodarone : Amiodaron(e), Cordarone® (voir Répertoire)

  • Sotalol : Sotalex®, Sotalol (voir Répertoire)

Sources

Kim YG, Lee HS, Kim H, et al. Association of Antiarrhythmic Drug Therapy With Syncope and Pacemaker Implantation in Patients With Atrial Fibrillation. J Am Coll Cardiol. 2024;83(11):1027-1038. doi:10.1016/j.jacc.2024.01.013
Poelman T. Appariement sur les scores de propension. Minerva 2013;12(8):103.
3 Van Gelder IC, Rienstra M, Bunting KV, et al. 2024 ESC Guidelines for the management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J. 2024;45(36):3314-3414. doi:10.1093/eurheartj/ehae176
4 Atrial fibrillation: diagnosis and management. London: National Institute for Health and Care Excellence (NICE); June 30, 2022.

Autres sources consultées :

  • BMJ Best Practice. New onset atrial fibrillation. Consulté le 27/02/2025.

  • BMJ Best Practice. Established atrial fibrillation. Consulté le 27/02/2025.

  • Antiarythmiques dans la fibrillation auriculaire : poses de pacemakers et syncopes. La Revue Prescrire 2024;493:828.