La quétiapine est un antipsychotique qui est de plus en plus souvent prescrit off-label dans l’insomnie sans comorbidité psychiatrique, à faible dose (25 à 100 mg/j). Pourtant, son efficacité n’a pas été prouvée dans des études randomisées de bonne qualité.
Un article de synthèse du Geneesmiddelenbulletin conclut, en s’appuyant sur ce que l’on sait aujourd’hui de son efficacité et de ses effets indésirables potentiels, que la quétiapine à faible dose est déconseillée dans les insomnies « primaires », c’est-à-dire les insomnies qui ne sont pas causées par une autre maladie. Selon les guides de pratique clinique, les antipsychotiques tels que la quétiapine n’ont pas de place dans l’insomnie. Dans des études observationnelles, la quétiapine à faible dose a été associée à un risque accru d’effets indésirables cardiovasculaires graves et à une prise de poids. Des recherches complémentaires sont nécessaires pour confirmer ces observations.

La quétiapine à faible dose dans l’insomnie

La quétiapine est un antipsychotique atypique autorisé pour le traitement de la schizophrénie, du trouble bipolaire et comme traitement adjuvant des épisodes dépressifs majeurs (chez des patients présentant un Trouble Dépressif Majeur (TDM) et ayant répondu de façon insuffisante à un antidépresseur en monothérapie). Dans ces indications, les posologies varient de 150 à 800 mg par jour. L’effet sédatif de la quétiapine repose principalement sur une action antagoniste au niveau des récepteurs à l’histamine H11. Certains médecins pensent que la quétiapine à faible dose (25-100 mg/j) serait un somnifère plus sûr que les somnifères classiques2.

Dans les cabinets de médecins généralistes aux Pays-Bas, les taux de prescription de quétiapine pour traiter l’insomnie sont passés de 5,6% en 2015 à 9,7% en 20202. On ne connaît pas les données de prescription en Belgique.

Quelles sont les preuves scientifiques de l’efficacité de la quétiapine à faible dose dans ce que l’on appelait auparavant les insomnies « primaires » (voir +plus d’infos), c’est-à-dire les insomnies qui ne sont pas causées par un autre trouble du sommeil (tel que l’apnée du sommeil) ou par une maladie psychiatrique ou somatique ? Et que sait-on du profil de sécurité d’une faible dose ?

Selon le guideline belge sur la prise en charge des problèmes de sommeil et de l’insomnie en première ligne8, les termes d’insomnie « primaire » et « secondaire » sont tombés en désuétude parce que les relations de cause à effet ne sont pas toujours claires. Dans le DSM-5, le terme d’insomnie « primaire » a été remplacé par le terme de « trouble d’insomnie ». Le diagnostic d’insomnie n’est pas seulement posé lorsque l’insomnie se présente de manière isolée, mais aussi lorsqu’elle se présente en comorbidité avec d’autres troubles psychiques/psychiatriques ou somatiques, ou avec un autre trouble du sommeil. Dans ce cas, il faut traiter les deux pathologies (par exemple l’insomnie + la dépression associée).

Dans un article récemment publié, nos homologues du Geneesmiddelenbulletin1 ont effectué une recherche systématique de la littérature médicale pour répondre à ces questions. Nous abordons ci-dessous les principaux résultats, que nous complétons par des informations provenant d’autres sources du CBIP et des études initiales.

Pour plus d’informations sur la quétiapine, voir Répertoire 10.2.4.

La quétiapine à faible dose améliore-t-elle le sommeil ?

Il n’existe aucune preuve de l’efficacité de la quétiapine à faible dose chez les patients souffrant d’insomnie sans comorbidité psychiatrique. Une seule étude randomisée est disponible et elle n’a constaté aucun effet sur le sommeil, mais la petite taille de l’échantillon étudié, le risque élevé de biais et la courte durée du traitement étudié ne permettent pas de tirer des conclusions.

La seule étude randomisée portant sur des patients ayant reçu un diagnostic d’insomnie «primaire » est une étude thaïlandaise menée auprès de 20 participants, dont 13 seulement ont été inclus dans l’analyse (diagnostic « insomnie primaire » selon le DSM-IV-TR, âge moyen de 45 ans, 82% de femmes)3. Après avoir tenu un journal du sommeil pendant une semaine, les participants ont été randomisés entre une dose quotidienne de quétiapine (25 mg/j) et un placebo pendant deux semaines. Le critère d’évaluation primaire de l’étude était l’efficacité auto-évaluée par le patient. La quétiapine avait tendance à réduire la durée d’endormissement, à améliorer la durée totale du sommeil et à augmenter la satisfaction du sommeil, par rapport au placebo, mais la différence n’était pas statistiquement significative. Selon les auteurs, ceci pourrait être dû au manque de puissance statistique de l’étude, mais l’étude présentait également un risque élevé de biais. Les patients ayant reçu la quétiapine dormaient beaucoup moins bien, au moment de la randomisation, que les patients du groupe placebo (durée d’endormissement au début de l’étude : respectivement 163 et 71 minutes en moyenne ; durée totale de sommeil au début de l’étude : respectivement 223 et 290 minutes en moyenne). Il est probable que la randomisation n’a pas été effectuée correctement. La petite taille de l’échantillon étudié, le risque élevé de biais et la courte durée du traitement étudié ne permettent pas de tirer des conclusions.

Le Geneesmiddelenbulletin cite en outre deux petites études randomisées avec permutation, portant respectivement sur 19 et 18 volontaires sains, que nous ne détaillerons pas ici en raison de leur manque de pertinence pour la pratique clinique. Elles ont été réalisées dans un contexte expérimental où l’insomnie était déclenchée par un stress acoustique.

The Lancet a publié une méta-analyse en réseau de plusieurs RCT en double aveugle sur l’efficacité et la sécurité de la pharmacothérapie chez des adultes dont l’insomnie ne pouvait pas être attribuée à une comorbidité, un traitement médicamenteux ou la consommation de substances4. La seule RCT ayant évalué la quétiapine était l’étude thaïlandaise susmentionnée, qui présentait un risque élevé de biais et ne permet pas de tirer des conclusions3.

La quétiapine à faible dose dans l’insomnie : peut-on l’utiliser sans danger ?

Dans une étude de cohorte à grande échelle, la quétiapine à faible dose a été associée à un risque accru d’effets indésirables cardiovasculaires majeurs et de décès cardiovasculaire, par rapport aux Z-drugs. Une autre étude de cohorte à grande échelle n’a pas constaté de risque accru de diabète par rapport aux ISRS. Dans des études de plus petite taille, conduites dans une population sélectionnée, la prise prolongée de faibles doses de quétiapine a été associée à une prise de poids.
Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour pouvoir se prononcer sur un lien de causalité.

Données de sécurité issues d’études observationnelles

  • Une étude de cohorte rétrospective à grande échelle a évalué l’association entre la quétiapine à faible dose et les effets indésirables cardiovasculaires dans deux registres nationaux danois (le Danish National Prescribing Register et le Danish National Patient Register)1, 5. Les patients ont été appariés selon l’âge et le sexe : 60 566 patients ayant reçu une nouvelle prescription de quétiapine à faible dose (comprimé au dosage ≤50 mg) ont été comparés à 455 567 patients ayant reçu une nouvelle prescription de Z-drug (zolpidem ou zopiclone). Les patients ayant des antécédents d’AVC, d’infarctus du myocarde, de cancer ou de maladie psychique grave ont été exclus. Les résultats de l’analyse ont été ajustés sur 100 facteurs de confusion possibles.
    Dans le groupe ayant reçu une prescription de quétiapine à faible dose, l’incidence des événements cardiovasculaires majeurs était plus élevée (critère d’évaluation composite : infarctus du myocarde non fatal, AVC non fatal, décès cardiovasculaire ; rapport de hasards ajusté de 1,52 (IC à 95% 1,35 à 1,70)) et l’incidence des décès cardiovasculaires était presque deux fois plus élevée (rapport de hasards ajusté de 1,90 ; IC à 95% 1,64 à 2,19), par rapport au groupe témoin apparié.
    Dans leur réponse à une lettre de lecteur critique6, les chercheurs reconnaissent que les résultats n’ont pas été ajustés sur le tabagisme et l’activité physique, des facteurs de risque majeurs de maladies cardiovasculaires qui n’étaient pas documentés dans les registres utilisés.

  • Une étude de cohorte rétrospective à grande échelle a évalué l’effet de la quétiapine à faible dose sur l’incidence du diabète de type 21, 7, en s’appuyant sur deux registres nationaux danois (voir ci-dessus). Les patients ont été appariés selon l’âge et le sexe : 57 701 patients ayant reçu une nouvelle prescription de quétiapine à faible dose (comprimés de 25 ou 50 mg) ont été comparés à 838 584 patients ayant reçu une nouvelle prescription d’ISRS. Les patients souffrant de schizophrénie ou de troubles bipolaires ont été exclus. Les résultats de l’analyse ont été ajustés sur 50 facteurs de confusion possibles.
    Aucune différence n’a été retrouvée pour l’incidence du diabète de type 2 entre le groupe ayant reçu une prescription de quétiapine et le groupe témoin apparié (rapport d’incidence 0,99 ; IC à 95% 0,87 à 1,13). Les résultats de l’analyse comparative avec les Z-drugs étaient en faveur de la quétiapine, mais les chercheurs notent que l’analyse ne s’est pas révélée utile car il y a eu un nombre inattendu de nouveaux cas de diabète dans le groupe ayant reçu les Z-drugs. Les chercheurs n’ont pas donné d’explication possible à ce résultat.

  • De telles études de cohorte rétrospectives, réalisées à partir de bases de données existantes, doivent être considérées avec prudence car les données qu’elles contiennent n’ont pas été enregistrées en fonction de la question de recherche.

  • Le Geneesmiddelenbulletin mentionne trois études rétrospectives de plus petite taille ayant évalué l’effet de la quétiapine à faible dose sur le poids corporel1. Elles ont toutes constaté une prise de poids statistiquement significative (entre 2 et 5 kg en moyenne) suite à une prise prolongée de quétiapine. 

    • Une étude rétrospective a évalué l’évolution du poids corporel de 534 militaires américains à qui l’on avait prescrit de la quétiapine contre les cauchemars pendant au moins un mois, à une dose allant jusqu’à 100 mg/j (sans autre précision) et à qui l’on n’avait pas prescrit d’autres antipsychotiques. Après 6 mois, leur poids avait augmenté de manière statistiquement significative de 2 kg en moyenne, et après 12 mois, de 5 kg en moyenne.
    • Dans une étude rétrospective portant sur 43 patients psychiatriques ayant reçu de la quétiapine pour un trouble du sommeil (dose ≤ 200 mg/j, moyenne 120 mg/j), le poids avait augmenté de 2,2 kg en moyenne et l’IMC de 0,8 point en moyenne, après 11 mois.
    • Dans une étude rétrospective portant sur 403 patients psychiatriques (dose ≤ 200 mg/j, dose moyenne de quétiapine 117 mg/j, motif de l’utilisation non connu), le poids avait augmenté de 1,9 kg en moyenne et l’IMC de 0,5 point en moyenne, après 44 mois.

    Les études ayant été conduites dans une population sélectionnée (militaires ou patients psychiatriques), les résultats ne peuvent pas être généralisés à la première ligne. Notons que la prise de poids est un effet indésirable connu des médicaments antipsychotiques et qu’il est recommandé de suivre régulièrement le poids, la pression artérielle et certains paramètres métaboliques (glycémie, lipides) (voir Répertoire 10.2).

Données de pharmacovigilance

  • Selon une publication récente du Lareb2, le centre de pharmacovigilance des Pays-Bas, les patients prenant de la quétiapine à faible dose comme somnifère peuvent présenter des effets indésirables graves. Parmi les effets indésirables rapportés, on note une prise de poids, un rythme cardiaque irrégulier, une élévation de la glycémie et des idées suicidaires. Ces notifications de cas ne permettent pas de conclure à une relation de causalité.

    • Le Lareb a reçu 176 notifications d’effets indésirables liés à l’utilisation de la quétiapine comme somnifère sur une période de 18 ans, dont 123 concernaient des femmes. L’âge médian des patients était de 43 ans.
    • Parmi les effets indésirables cardiovasculaires et métaboliques, l’effet le plus fréquemment rapporté était une prise de poids (14 cas, dont 12 à des posologies ≤100 mg par jour). Sur ces 14 cas, 6 prenaient, outre la quétiapine, d’autres médicaments susceptibles de provoquer une prise de poids (antipsychotiques, antidépresseurs, antihistaminiques ou contraceptifs). Autres effets indésirables signalés : tachycardie (n = 4), hypertension (n = 3), diabète sucré (n = 2) et élévation de la glycémie
      (n = 1).
    • 95 notifications concernaient des effets indésirables psychiques, dont 14 chez des patients associant la quétiapine à des antidépresseurs ou à d’autres antipsychotiques. La posologie était ≤50 mg/j dans près de la moitié des cas. Les cas les plus fréquemment rapportés étaient des hallucinations (n = 7), des idées suicidaires (n = 6) et des cauchemars (n = 6). En outre, un comportement suicidaire, une tentative de suicide et un suicide ont également été rapportés.

Effets sur l’aptitude à conduire

  • La quétiapine agissant sur le système nerveux central, elle peut affecter les activités qui nécessitent une vigilance mentale. Il faut donc déconseiller aux patients de conduire un véhicule ou de manipuler une machine tant que la sensibilité individuelle du patient n’est pas connue (informations provenant des RCP).

  • Participation à la circulation : selon les avis de la KNMP, l’association des pharmaciens néerlandais, la quétiapine est classée dans la catégorie II1: en cas de prise quotidienne, il est interdit de conduire pendant les deux premières semaines suivant le début du traitement ou une augmentation de la dose. En cas de prise occasionnelle de quétiapine à des doses inférieures ou égales à 25 mg, la conduite est interdite jusqu’à 16 heures après la prise ; pour les doses supérieures à 25 mg, l’interdiction de conduire s’applique jusqu’à 24 heures après la prise.

Que disent les guidelines sur l’utilisation de la quétiapine dans l’insomnie ?

Selon le guideline belge Prise en charge des problèmes de sommeil et de l’insomnie chez l’adulte en première ligne8 [voir Folia de juin 2019], les antipsychotiques sédatifs n’ont pas de place dans l’insomnie en première ligne, en raison de leurs effets indésirables potentiellement graves. Le guideline néerlandais du NHG Slaapproblemen en slaapmiddelen9 indique que les antipsychotiques tels que la quétiapine n’ont pas de place dans le traitement de l’insomnie, en raison du manque de preuves de leur efficacité, alors que leurs effets indésirables sont importants.

Conclusion

Il n’y a pas de de justification scientifique pour l’utilisation off-label de la quétiapine à faible dose dans l’insomnie sans comorbidité psychiatrique. Les effets indésirables de la quétiapine à faible dose ne sont pas suffisamment documentés. Des études observationnelles suggèrent que la quétiapine à faible dose expose à un risque accru d’événements cardiovasculaires graves et de prise de poids, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour le confirmer.
Le guideline belge Prise en charge des problèmes de sommeil et de l’insomnie chez l’adulte en première ligne8 préconise en première intention une prise en charge non médicamenteuse de l’insomnie. Selon ce même guideline, un traitement de courte durée avec un somnifère (benzodiazépine ou Z-drug) peut être envisagé chez les patients qui présentent une forme aiguë d’insomnie sévère associée à une souffrance importante. Le recours à la quétiapine comme somnifère est déconseillé dans le guideline belge.

Noms de spécialités:

  • Quétiapine : Quetiapin(e) ; Seroquel® (voir le Répertoire)

Sources

Stolk LM. Quetiapine bij primaire slapeloosheid? Geneesmiddelenbulletin 2023;57:e2023.3.5.
Boussaidi M, Zweers P. Quetiapine als slaapmiddel: bijwerkingen die je wakker schudden. Pharmaceutisch Weekblad 2023;158:24-7.
3 Kanida T, Suchat P, Sompon T, et al. Quetiapine for primary insomnia: a double blind, randomized controlled trial 2010.
4 De Crescenzo F, DAlò GL, Ostinelli EG, et al. Comparative effects of pharmacological interventions for the acute and long-term management of insomnia disorder in adults: a systematic review and network meta-analysis. The Lancet 2022;400:170-84. https://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(22)00878-9.
5 Højlund M, Andersen K, Ernst MT, et al. Use of low-dose quetiapine increases the risk of major adverse cardiovascular events: results from a nationwide active comparator-controlled cohort study. World Psychiatry 2022;21:444-51. https://dx.doi.org/10.1002/wps.21010.

6 Højlund M, Andersen K, Ernst MT, et al. Response to: The use of low-dose quetiapine does not necessarily increase the risk of major adverse cardiovascular events. Acta Neuropsychiatr 2023;35:3-4. https://dx.doi.org/10.1017/neu.2023.3.
7 Højlund M, Lund LC, Andersen K, et al. Association of Low-Dose Quetiapine and Diabetes. JAMA Netw Open 2021;4:e213209. https://dx.doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2021.3209.
8 Cloetens H, Declercq T, Habraken H, et al. Prise en charge des problèmes de sommeil et de l’insomnie chez l’adulte en première ligne. ebpracticenet Groupe de travail Développement de Guides de pratique de Première ligne 2018.
Knuistingh Neven A, Lucassen P, Bonsema K, et al. NHG-standaard slaapproblemen en slaapmiddelen (tweede herziening). Huisarts en Wetenschap 2014;57:352-61.