Message clé

  • Une nouvelle publication parue dans la revue Gastroenterology1, sur base de deux études observationnelles, n’a pas montré de lien entre la prise d’IPP et une surmortalité. Ces résultats ont été obtenus en appliquant une correction pour un biais spécifique (le « biais protopathique », voir définition plus bas), non pris en compte lors de précédentes études observationnelles ayant trouvé une augmentation de mortalité sous IPP.

  • Cette étude confirme par contre un lien entre la prise d’IPP et la survenue de décès d’origine rénale.

  • Les IPP sont utiles pour plusieurs indications. Il est important d’envisager une pathologie sévère sous-jacente (digestive ou extra-digestive). Leur usage à long terme est à éviter (voir Répertoire 3.1. et e-learning « Utilisation prolongée d’IPP »).

En quoi cette étude est-elle importante ?

  • Dans nos Folias de mai 2022, nous avons attiré l’attention sur différentes publications suggérant une surmortalité liée à la prise d’IPP. Selon des études observationnelles, une surmortalité globale, ou pour cause  cardiovasculaire, rénale, ou liée à des cancers digestifs hauts pourrait être liée à la prise d’IPP.

  • Cependant, les études observationnelles ne permettent pas d’établir un lien de cause à effet, notamment parce que certains biais ne sont pas pris en compte. L’étude détaillée ici a la particularité d’avoir pris en compte et appliqué des corrections concernant un éventuel « biais protopathique ».

  • Biais protopathique (définition de Minerva) : « biais retrouvé dans les études épidémiologiques lorsque la pathologie ou l’effet étudié a précédé le facteur d’exposition supposé, alors que celui-ci est interprété à tort comme le facteur causal de la pathologie ». Dans le cas des IPP, il s’agirait par exemple de la prise d’IPP pour des plaintes « gastriques », qui s’avéreraient plus tard être des symptômes d’ischémie cardiaque entraînant le décès du patient. Dans ce cas, le décès ne serait pas dû à l’IPP, mais à la maladie qui était déjà présente (et pas encore diagnostiquée). Si ce biais n’est pas pris en compte, les résultats de l’étude pourraient erronément attribuer le décès à la prise de l’IPP.
     

Protocole de l’étude

  • Cette étude a inclus les données de participants de deux études de cohorte prospectives toujours en cours réalisées chez des professionnels de santé américains : la Nurses’ Health Study (NHS) et la Health Professionals Follow-up Study (HPFS).

  • Au total, environ 50 000 femmes et 22 000 hommes (âge moyen 68-69 ans) ont été inclus dans l’étude. Les personnes ayant auparavant pris des IPP ou avec des antécédents de maladie digestive haute telle que reflux gastro-oesophagien, œsophage de Barrett, ulcère peptique ou saignement digestif ont été exclues.

  • Les données provenant des études de cohorte ont été recueillies entre 2004 et 2018. Sur cette période de 14 ans, les participants ont reçu un questionnaire médical tous les 2 ans, portant notamment sur une éventuelle prise régulière d’IPP ou d’anti-H2.

  • Pour corriger le biais protopathique, les auteurs ont comparé l’exposition à un IPP avec la mortalité 2, 4 et 6 ans plus tard, respectivement.

  • Les critères d’évaluation sont la mortalité toutes causes, et la mortalité liée à des maladies cardiovasculaires, respiratoires, digestives, rénales, neurologiques ou infectieuses, ou à des cancers (pulmonaire, digestif haut, colorectal, lymphome non-Hodgkinien, sein, ovaire).

Résultats en bref

  • Les premiers résultats ont été obtenus après correction pour les biais suivants : l’ethnicité, le statut tabagique, le BMI, l’activité physique, un score nutritionnel, la prise d’alcool, l’utilisation régulière d’AINS, et des antécédents de prise d’anti-H2, cancer, infarctus, AVC, hypertension, diabète de type 2, hypercholestérolémie, reflux gastro-oesophagien, œsophage de Barrett, ulcère peptique, saignement digestif et BPCO. Sans correction pour le biais protopathique, l’étude a trouvé plus de décès chez les utilisateurs d’IPP que chez les non-utilisateurs : plus de décès toutes causes, pour cancer, maladie cardiovasculaire, respiratoire, rénale ou digestive. Elle n’a par contre pas trouvé de lien avec des décès de cause neurologique ou infectieuse.

  • En appliquant, outre les corrections citées ci-dessus, une correction pour le biais protopathique, les auteurs n’ont plus trouvé de lien statistiquement significatif entre la prise d’IPP et les décès toutes causes ou de causes spécifiques, sauf concernant les décès d’origine rénale, avec un risque estimé doublé par rapport à la non-utilisation d’IPP (pour un délai de 6 ans : HR 2,45 ; IC 95% de 1,59 à 3,78).

Limites de l’étude

  • Selon les auteurs, les limites principales de l’étude sont le manque d’informations par rapport au dosage et au schéma de prise des IPP, le faible nombre de certains événements chez les utilisateurs d’IPP, l’impossibilité d’ajuster les résultats en fonction de conditions médicales spécifiques, et le fait que la population incluse est du personnel de santé majoritairement caucasien.

Commentaire du CBIP

  • Par l’application de corrections pour le biais protopathique, cette étude suggère que la prise d’IPP n’est pas liée à une surmortalité (sauf pour les décès d’origine rénale), et nuance les résultats des études précédentes. La surmortalité observée dans les études précédentes était peut-être due au fait que les patients ont reçu des IPP pour des symptômes d’une maladie grave préexistante. Elle est un rappel du principe de précaution à respecter lors de l’interprétation des résultats des études observationnelles.

  • Les données de cette étude sont rassurantes, mais elles ne constituent néanmoins pas une conclusion définitive sur la question de la mortalité liée aux IPP.

  • Elle confirme par contre que les IPP pourraient être liés à une surmortalité rénale, déjà mentionnée dans le Folia de mai 2022.

  • La conclusion du Folia de mai 2022 reste d’application : les IPP sont utiles et nécessaires dans des indications bien posées, pour une durée limitée. Leur usage à long terme est déconseillé, et il convient de rester attentif, en particulier au risque rénal et au éventuels signaux d’alarme d’une pathologie plus sévère. Il est utile de prévoir avec le patient une date d’arrêt, de l’informer de la possibilité d’un rebond d’acidité gastrique à l’arrêt brutal, et de prévoir le cas échéant une solution pour passer ce cap (voir aussi e-learning « Utilisation prolongée d’IPP » et Répertoire 3.1.).
     

Sources

1 Lo CH et al. Association of Proton Pump Inhibitor Use With All-Cause and Cause-Specific Mortality. Gastroenterology. 2022 Oct;163(4):852-861.e2. doi: 10.1053/j.gastro.2022.06.067. Epub 2022 Jul 1. PMID: 35788344; PMCID: PMC9509450.