Message clé

Une Cochrane Review publiée en 2022 conclut que les interventions pharmacologiques ne sont pas plus efficaces que le placebo pour traiter le trouble de la personnalité borderline. Ces résultats confirment le message des guidelines : aucun traitement médicamenteux n’améliore les symptômes de base du trouble de la personnalité borderline. Des études à plus grande échelle et de meilleure qualité sont nécessaires, chez des patients présentant une comorbidité psychiatrique, et la sécurité d’utilisation doit être mieux documentée.

En quoi cette étude est-elle importante ?

  • Le trouble de la personnalité borderline (syn. trouble de la personnalité limite) est une maladie psychiatrique qui se caractérise principalement par une instabilité de la régulation émotionnelle, de l’image de soi, des relations interpersonnelles et du contrôle des impulsions.1, 2 Ce trouble est associé à des altérations du fonctionnement psychosocial et à un risque élevé d’automutilation et de suicide. La prévalence dans la population est estimée entre 0,7 et 2,7%. La plupart des personnes souffrant d’un trouble de la personnalité borderline ont été diagnostiquées avec un autre trouble psychiatrique (par exemple, dépression majeure, trouble anxieux) au cours de leur vie.2

    Dans une étude américaine menée auprès de 34 481 adultes atteints d’un trouble de la personnalité borderline et vivant à domicile, un pourcentage important de participants avaient reçu au cours de leur vie un diagnostic de trouble de l’humeur (dépression, trouble bipolaire,… ; 83%), de trouble anxieux (85%), d’abus de substances (78%), de trouble de stress post-traumatique (30%) et/ou d’un autre trouble de la personnalité (53%).2
  • Aucun médicament n’est autorisé par les agences du médicament dans l’indication du trouble de la personnalité borderline (situation au 01/10/2023). Pourtant, plus de 8 patients sur 10 souffrant d’un trouble de la personnalité borderline sans comorbidité se voient prescrire des psychotropes pour leurs symptômes borderline, généralement pour une durée prolongée (> 4 semaines)1, 3. En 2022, une mise à jour d’une Cochrane Review (datant de 2010)1 a examiné s’il existe des preuves de l’efficacité et de la sécurité des interventions pharmacologiques dans le trouble de la personnalité borderline.

Protocole de l’étude

  • La Cochrane Review a inclus toutes les études randomisées (non publiées et publiées) sur les interventions pharmacologiques dans le trouble de la personnalité borderline avec ou sans comorbidité. Ont été exclues les études ayant évalué les interventions pharmacologiques à court terme dans des situations de crise.

  • Les critères d’évaluation primaires de la Cochrane Review étaient : la gravité des symptômes du trouble borderline, le fonctionnement psychosocial, l’automutilation (self-harm) et les critères d’évaluation liés au suicide. Les critères d’évaluation secondaires étaient les symptômes individuels tels que la dépression, la colère et l’impulsivité, l’abandon de l’étude et les effets indésirables (graves).

Résultats en bref

  • L’analyse incluait 45 RCT portant sur un total de 2 752 patients, soit 18 RCT supplémentaires par rapport à la Cochrane Review de 2010. La plupart des études ont été menées en contexte ambulatoire. Les médicaments étudiés étaient des antidépresseurs, des antipsychotiques, des anxiolytiques et des régulateurs de l’humeur, outre quelques autres médicaments divers.

    Les médicaments suivants ont été évalués :

    • Antidépresseurs : amitriptyline, fluoxétine, fluvoxamine, miansérine, phénelzine, sertraline, sulfate de tranylcypromine (IMAO)
    • Antipsychotiques : flupentixol, halopéridol, loxapine, thiothixène, trifluopérazine, aripiprazole, asénapine, brexpiprazole, olanzapine, quétiapine, ziprasidone
    • Médicaments régulateurs de l’humeur : carbamazépine, valproate, lamotrigine, topiramate
    • Médicaments divers : clonidine, mémantine, naltrexone, acides gras oméga-3, alprazolam
  • Les personnes présentant une comorbidité de dépression majeure, de trouble bipolaire ou de trouble psychotique, ou ayant un problème d’abus d’alcool ou de substances, étaient généralement exclues. L’âge moyen était compris entre 16 et 40 ans, et la plupart des participants étaient des femmes. Huit études n’ont pas autorisé l’utilisation concomitante de psychotropes avec le traitement étudié. Les études duraient entre 4 semaines et 1 an (généralement 8 à 12 semaines).

  • Toutes les RCT présentaient un risque élevé de biais selon les auteurs de la Cochrane Review. Les formes de biais fréquemment observées étaient le biais de sélection, le biais de migration et le biais de notification.

  • Sur aucun critère d’évaluation primaire, les pharmacothérapies n’ont donné de meilleurs résultats que le placebo (très faible degré de certitude). Pour les symptômes individuels de dépression, problèmes interpersonnels, colère et instabilité affective, une légère amélioration a parfois été observée, mais les résultats n’étaient pas cohérents (faible à très faible degré de certitude). Une analyse de sensibilité ne révélait aucun bénéfice sur les critères d’évaluation primaires dans les études financées par le secteur public, mais montrait des bénéfices dans les études financées par l’industrie pharmaceutique.

  • La survenue d’effets indésirables étant trop peu documentée dans les études, il n’est pas possible de se prononcer à ce sujet. Dans les études ayant évalué les antidépresseurs, les effets indésirables n’étaient même pas du tout documentés. Aucune différence n’est observée en ce qui concerne le taux d’abandon entre l’utilisation d’antipsychotiques (très faible degré de certitude), d’antidépresseurs et de médicaments régulateurs de l’humeur (faible degré de certitude) par rapport au placebo.

Conclusion

  • Selon la mise à jour de 2022 d’une Cochrane Review de 2010, incluant 18 études supplémentaires, les pharmacothérapies n’améliorent pas les symptômes du trouble borderline ni le fonctionnement psychosocial des personnes souffrant d’un trouble de la personnalité borderline. Ces résultats confirment l’avis formulé dans les guidelines de ne pas utiliser de traitement médicamenteux comme traitement primaire du trouble de la personnalité borderline2.

  • Toutes les études, autant les anciennes que les plus récentes, présentent un risque élevé de biais. Les résultats comportent donc un degré élevé d’incertitude.

  • Très peu de recherches ont été menées chez les hommes, les jeunes et les personnes souffrant d’autres troubles psychiatriques (par exemple, dépression majeure, trouble bipolaire, dépendance à l’alcool). Il est donc difficile d’appliquer ces résultats à la pratique clinique. Des recherches plus approfondies dans ces populations sont nécessaires.

  • La Cochrane Review ne permet pas de se prononcer sur l’utilité des pharmacothérapies dans une situation de crise. D’après le guideline du NICE, la prise en charge d’une situation de crise peut inclure une pharmacothérapie de courte durée. Dans ce cas, un seul médicament sera choisi, qui sera administré à la dose minimale pendant tout au plus une semaine2.

Sources

Stoffers-Winterling JM, Storebø OJ, Pereira Ribeiro J, et al. Pharmacological interventions for people with borderline personality disorder. Cochrane Database of Systematic Reviews 2022. https://dx.doi.org/10.1002/14651858.CD012956.pub2.
Leichsenring F, Heim N, Leweke F, et al. Borderline Personality Disorder: A Review. JAMA 2023;329:670-9. https://dx.doi.org/10.1001/jama.2023.0589.
3 Paton C, Crawford MJ, Bhatti SF, et al. The use of psychotropic medication in patients with emotionally unstable personality disorder under the care of UK mental health services. J Clin Psychiatry 2015;76:e512-8. https://dx.doi.org/10.4088/JCP.14m09228.