Quelle est la place des nouveaux anticoagulants oraux dans la fibrillation auriculaire ?


Abstract

Récemment, des nouveaux anticoagulants oraux ont été enregistrés dans le cadre de la fibrillation auriculaire non valvulaire. Les études actuellement disponibles ont comparé ces nouveaux anticoagulants à la warfarine: le dabigatran et le rivaroxaban s’avèrent aussi efficaces que la warfarine en prévention des thrombo-embolies dans la fibrillation auriculaire non valvulaire. Leur balance bénéfices-risques ne semble pas supérieure à celle d’un antagoniste de la vitamine K à condition que celui-ci soit utilisé à dose ajustée dans les valeurs cibles de l’INR.

Dans l’attente d’études supplémentaires et tenant compte en outre des données limitées et du coût élevé de ces nouveaux anticoagulants, un antagoniste de la vitamine K reste le premier choix chez de nombreux patients. Le dabigatran et le rivaroxaban peuvent être des alternatives chez les patients chez qui un traitement par un antagoniste de la vitamine K est difficile à équilibrer. En l’absence d’études comparatives entre le dabigatran et le rivaroxaban, il n’y a pas d’arguments permettant de privilégier un produit par rapport à l’autre. Ces nouveaux anticoagulants peuvent entraîner certaines interactions médicamenteuses – bien que dans une moindre mesure par rapport aux antagonistes de la vitamine K – et des surdosages en cas de diminution de la fonction rénale (attention chez les personnes âgées).

Chez la plupart des patients atteints de fibrillation auriculaire, un traitement antithrombotique de longue durée doit être envisagé en prévention d’un accident vasculaire cérébral ou d’une embolie systémique. Le choix du traitement se fait en fonction de l’estimation du risque thrombo- embolique d’une part, et du risque hémorragique d’autre part. En présence d’un risque thrombo-embolique élevé (voir Note), un antagoniste de la vitamine K (acénocoumarol, phenprocoumone, warfarine) représente le traitement de référence [voir Folia de novembre 2009 ]. Bien que l’efficacité des antagonistes de la vitamine K soit clairement démontrée, ces médicaments présentent toutefois un certain nombre d’inconvénients tels qu’une marge thérapeutique-toxique étroite, de nombreuses interactions médicamenteuses ou avec l' alimentation, et la nécessité d’un monitoring de l’INR et d’une adaptation de la posologie.

Il existe dès lors un grand intérêt pour de nouveaux anticoagulants oraux d’usage moins contraignant tels que le dabigatran (Pradaxa®) et le rivaroxaban (Xarelto®), qui étaient déjà enregistrés pour la prévention des thrombo-embolies veineuses dans le cadre de la chirurgie orthopédique. L’apixaban (Eliquis®), disponible depuis peu (voir rubrique "Informations récentes " dans ce même numéro des Folia) est enregistré uniquement pour la prévention des thrombo-embolies veineuses dans le cadre de la chirurgie orthopédique.

Cet article fait le point sur les caractéristiques du dabigatran et du rivaroxaban, leurs avantages et leurs inconvénients, et tente de situer leur place dans la prise en charge de la fibrillation auriculaire.


Dabigatran


Propriétés pharmacologiques

Le dabigatran étexilate est une prodrogue métabolisée en dabigatran, un inhibiteur direct de la thrombine. La demi-vie du dabigatran est d’environ 12 à 14 heures. Il n’est pas métabolisé par les isoenzymes du cytochrome P450, mais c’est un substrat de la glycoprotéine P. Le dabigatran est principalement éliminé sous forme inchangée par voie rénale.


Etude dans la fibrillation auriculaire

L’effet du dabigatran en prévention des thrombo-embolies dans la fibrillation auriculaire non valvulaire a été évalué dans l’étude Re-Ly ayant inclus plus de 18.000 patients présentant pour la plupart un risque thrombo-embolique modéré. [ N Engl J Med 2009; 361: 1139-51 (doi:10.1056/ NEJMoa0905561)] Les patients étaient traités par le dabigatran (soit 110 mg 2 x p.j., soit 150 mg 2 x p.j., en double aveugle), ou par la warfarine (en visant un INR entre 2 et 3).

Les résultats montrent qu’après 2 ans, le dabigatran à raison de 300 mg p.j. est légèrement plus efficace que la warfarine en prévention des thrombo-embolies systémiques (1,11% versus 1,69% par an; NNT = 170 pour un an), et qu’à raison de 220 mg p.j., il est aussi efficace que la warfarine. Avec le dabigatran à raison de 300 mg p.j., le risque d’hémorragies majeures est comparable à celui de la warfarine (3,11% versus 3,36% par an), mais le risque d’hémorragie digestive est par contre plus élevé (1,51% versus 1,02% par an); avec le dabigatran à raison de 220 mg p.j., le risque d’hémorragies majeures est moindre qu’avec la warfarine (2,71% versus 3,11% par an). Dans les deux groupes traités par le dabigatran, des hémorragies intracrâniennes, pouvant être graves, étaient moins fréquentes que sous warfarine (0,23% par an avec le dabigatran à faible dose, 0,30% par an avec le dabigatran à dose élevée, et 0,74% par an avec la warfarine).


Indications

Les indications mentionnées dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP, anciennement la notice scientifique) sont les suivantes.

  • Dabigatran (Pradaxa®) à 110 mg et à 150 mg: prévention des accidents vasculaires cérébraux et des embolies systémiques chez les patients adultes présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire associée à un ou plusieurs des facteurs de risque suivants:
    • antécédents d’accident vasculaire cérébral (AVC), d’accident ischémique transitoire (AIT) ou d’embolie systémique
    • fraction d’éjection ventriculaire gauche < 40%
    • insuffisance cardiaque symptomatique, classe NYHA ≥ 2
    • âge ≥ 75 ans
    • âge ≥ 65 ans en cas de diabète, de coronaropathie ou d’hypertension artérielle.
    La posologie mentionnée dans le RCP est de 300 mg p.j. en 2 prises; une posologie plus faible de 220 mg p.j. en 2 prises y est recommandée en cas de risque hémorragique élevé chez des patients présentant un faible risque thrombo-embolique, ainsi que chez les personnes âgées de plus de 80 ans.
  • Dabigatran à 75 mg et 110 mg: prévention primaire des thrombo-embolies veineuses profondes en cas de chirurgie orthopédique programmée pour une prothèse totale de hanche ou de genou.

Effets indésirables, interactions, contre-indications et précautions particulières

Les effets indésirables du dabigatran consistent principalement en des hémorragies (surtout au niveau du système digestif) et des troubles digestifs (nausées). Avec le dabigatran à dose élevée (300 mg p.j.), un risque légèrement accru d’infarctus du myocarde a été constaté par rapport à la warfarine dans l’étude Re-Ly (risque relatif de 1,38; intervalle de confiance à 95% de 1,00 à 1,91). L’administration concomitante de dabigatran et d’un inhibiteur de la glycoprotéine P (tel que l’amiodarone, le vérapamil, la quinidine, la clarithromycine, le kétoconazole, l’itraconazole, la ciclosporine ou le tacrolimus) entraîne une augmentation des concentrations plasmatiques du dabigatran et un risque accru d’hémorragies, et est à éviter. Par ailleurs, le dabigatran étant principalement éliminé sous forme inchangée par voie rénale, toute diminution de la fonction rénale (p. ex. due à un âge avancé ou à la prise de certains médicaments) expose à un risque accru d’hémorragie. Le dabigatran est contre-indiqué en présence d’une insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine < 30 ml/min).

Contrairement aux antagonistes de la vitamine K, le dabigatran ne nécessite pas de contrôle de l’INR ni d’adaptation de la posologie, mais il impose un contrôle de la fonction rénale (entre autres avant l’instauration du traitement, au moins 1 fois par an pendant le traitement et lors de toute suspicion de diminution de la fonction rénale). Si nécessaire, la mesure du Temps de Céphaline Activée (TCA) et du Temps de Thrombine (TT) peuvent être utiles pour évaluer l’effet anticoagulant


Rivaroxaban


Propriétés pharmacologiques

Le rivaroxaban est un inhibiteur spécifique du facteur Xa. Sa demi-vie est d’environ 7 à 11 heures. Le rivaroxaban est métabolisé par le CYP3A4 et est un substrat de la glycoprotéine P. Un tiers de la dose de rivaroxaban est éliminé sous forme inchangée par voie rénale.


Etude dans la fibrillation auriculaire

L’effet du rivaroxaban en prévention des thrombo-embolies dans la fibrillation auriculaire non valvulaire a été évalué dans l’étude Rocket-AF ayant inclus plus de 14.000 patients avec un risque thrombo-embolique modéré à élevé. [ N Engl J Med 2011; 365: 883-9 (doi:10.1056/NEJMoa1009638)]

Les patients étaient traités en double aveugle par le rivaroxaban (20 mg p.j.) ou par la warfarine (en visant un INR entre 2 et 3). Les résultats de cette étude révèlent la " non-infériorité " du rivaroxaban par rapport à la warfarine. Il n’y a pas de différence significative entre les groupes en ce qui concerne la mortalité, le risque d’infarctus du myocarde et le risque d’hémorragies majeures, mais le risque d’hémorragies intracrâniennes (0,5% versus 0,7% par an) et d’hémorragies fatales (0,2% versus 0,5% par an) est plus faible dans le groupe sous rivaroxaban.


Indications

Les indications mentionnées dans le RCP sont les suivantes.

  • Rivaroxaban (Xarelto®) à 15 mg et à 20 mg
    • Prévention des AVC et des embolies systémiques chez des patients présentant une fibrillation auriculaire non valvulaire associée à un ou plusieurs facteurs de risque suivants:
      • insuffisance cardiaque congestive
      • hypertension
      • âge ≥ 75 ans
      • diabète
      • antécédents d’AVC ou d’AIT.
      La posologie mentionnée dans le RCP est de 20 mg p.j.
    • Traitement de la thrombose veineuse profonde et prévention secondaire de l’embolie pulmonaire et de la thrombose veineuse profonde.
  • Rivaroxaban à 10 mg: prévention des thrombo-embolies veineuses profondes en cas de chirurgie orthopédique programmée pour une prothèse totale de hanche ou de genou.

Effets indésirables, interactions, contre-indications et précautions particulières

Les principaux effets indésirables du rivaroxaban consistent en des hémorragies (surtout au niveau du système digestif), des troubles digestifs (nausées) et une élévation des enzymes hépatiques. Etant donné que le rivaroxaban est excrété en partie par les reins, la prudence s’impose chez les patients atteints d’une insuffisance rénale sévère. Le rivaroxaban peut entraîner une diminution de la fonction rénale.

L’administration concomitante de rivaroxaban et d’un inhibiteur puissant du CYP3A4 (voir tableau dans l’Introduction du Répertoire Commenté des Médicaments,) ou de la glycoprotéine P (voir plus haut) est associée à un risque accru d’hémorragies. Le rivaroxaban est contre-indiqué chez les patients présentant une atteinte hépatique associée à une coagulopathie et un risque de saignement.

Comme le dabigatran, le rivaroxaban ne nécessite pas de contrôle de l’INR ni d’adaptation de la posologie, mais la prudence s’impose en cas de diminution de la fonction rénale ou hépatique, et d’utilisation de médicaments susceptibles de modifier les concentrations plasmatiques du rivaroxaban. Si nécessaire, la mesure du Temps de Prothrombine (PTT) peut être utile pour évaluer l’effet anticoagulant.


Discussion

Les résultats de l’étude Re-Ly et de l’étude Rocket-AF permettent de faire un certain nombre de commentaires applicables au dabigatran et au rivaroxaban. Les principales conclusions que l’on peut tirer de ces deux études sont que le dabigatran et le rivaroxaban sont aussi efficaces que la warfarine en prévention des thrombo-embolies dans la fibrillation auriculaire non valvulaire chez des patients avec un risque thrombo-embolique modéré à élevé, et que par rapport à la warfarine, ils sont associés à un risque légèrement moindre d’hémorragies intracrâniennes. Le dabigatran et le rivaroxaban ne nécessitent pas de contrôle de l’INR ni d’adaptation de la posologie, ce qui peut être perçu comme un avantage. Vu leur courte demi-vie, l’effet anticoagulant apparaît plus rapidement et dure moins longtemps qu’avec la warfarine. Ceci a pour conséquence qu’une bonne observance du traitement est particulièrement importante, et qu’en cas d’effet exagéré, l’arrêt sans autres mesures est généralement suffisant.

Bien que ces données soient encourageantes, il faut souligner que ces conclusions ne reposent pour chacun des produits que sur une seule étude à large échelle sponsorisée par leur producteur. Dans ces deux études, le dabigatran et le rivaroxaban ont chacun été comparés à la warfarine (en visant un INR entre 2 et 3), mais cette valeur cible de l’INR n’était atteinte que dans 64% du temps dans l’étude Re-Ly et dans 55% du temps dans l’étude Rocket-AF. Il n’est en effet pas toujours facile en pratique d’obtenir un INR optimal. Dans l’étude Re-Ly, le niveau de preuve est affaibli par le fait que le dabigatran et la warfarine n' ont pas été comparés en double aveugle.

Par ailleurs, le manque de recul ne permet pas de connaître les effets et l’innocuité de ces nouveaux médicaments à long terme. Avec le dabigatran, il existe des données concernant la possibilité d’un risque accru d’infarctus du myocarde; pour le rivaroxaban, de telles données n’existent pas. Avec le dabigatran comme avec le rivaroxaban, il existe un risque d’interactions médicamenteuses (moins important par rapport aux antagonistes de la vitamine K, mais pas insignifiant), et de surdosage en cas d’insuffisance rénale (attention chez les personnes âgées). Si nécessaire, des tests de coagulation peuvent être utiles pour évaluer l’effet anticoagulant, p. ex. en cas d’hémorragie, de thrombose malgré le traitement anticoagulant, de geste invasif ou de risque de surdosage. A ce sujet, nous renvoyons à un article paru récemment dans Louv Med [2012; 131: 5-10].

En cas de surdosage, on ne dispose pas d’antidote spécifique. En ce qui concerne l’interruption ou non du traitement antithrombotique en cas d’intervention chirurgicale ou d’hémorragie, on adoptera la même attitude qu’avec les antagonistes de la vitamine K, sauf qu’ici, un contrôle de l’INR n’est pas requis. Si l’on décide d’interrompre le rivaroxaban ou le dabigatran, il convient de le faire 24 heures avant l’intervention [voir Folia de février 2012 ].

Enfin, le coût élevé de ces nouveaux anticoagulants doit également être pris en considération dans le choix d’un traitement prolongé aussi largement utilisé.

Le dabigatran et le rivaroxaban ne sont actuellement pas remboursés par l’INAMI pour la prévention des thrombo-embolies dans la fibrillation auriculaire, mais bien pour la prévention des thrombo-embolies veineuses dans le cadre de la chirurgie orthopédique (situation au 01/03/12).

En conclusion, le développement de nouveaux anticoagulants oraux n’ayant pas les inconvénients des antagonistes de la vitamine K suscite beaucoup d’intérêt, mais chez les patients bien contrôlés par des antagonistes de la vitamine K (dans les valeurs cibles de l’INR), il n’y a pas de raison de changer de traitement.


Note

Le choix d’un traitement antithrombotique en cas de fibrillation auriculaire (acide acétylsalicylique versus antagonistes de la vitamine K ou nouveaux anticoagulants) est déterminé principalement par le risque thrombo-embolique. Celui-ci peut être évalué au moyen du score CHADS2 ou du score CHA2 DS2-VASc.

  • Pour le score CHADS2: 2 points sont attribués en cas d’antécédents d’AVC ou d’AIT; 1 point en cas d’âge > 75 ans, d’anamnèse d’hypertension artérielle, de diabète, d’insuffisance cardiaque récente.
  • Pour le score CHA2 DS2-VASc: 2 points sont attribués en cas d’antécédents d’AVC ou d’AIT, ou d' âge ≥ 75 ans; 1 point en cas d’anamnèse d’hypertension artérielle, de diabète, d’insuffisance cardiaque récente, de pathologie vasculaire, de sexe féminin, ou d’âge entre 65 et 74 ans.

Chez les patients avec un score CHADS2 ou CHA2 DS2-VASc ≥ 2, le risque thromboembolique est élevé et un anticoagulant oral est recommandé. Les recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) [ Eur Heart J 2010; 31: 2369–2429 (doi:10.1093/ eurheartj/ehq278)] sont les suivantes.

Score

Risque

Traitement

0

faible

Pas de traitement antithrombotique (ou traitement par l' acide acétylsalicylique)

1

modéré

Anticoagulants oraux (ou acide acétylsalicylique)

≥ 2

élevé

Anticoagulants oraux