Prise en charge du reflux gastrooesphagien chez les jeunes enfants


Abstract
  • Chez un enfant présentant un reflux physiologique, c.-à-d. se limitant à des régurgitations sans symptômes d’alarme et sans complications, la prise en charge consiste surtout à rassurer les parents, à conseiller des mesures générales et éventuellement à épaissir la nourriture. On dispose de peu de preuves d’un effet favorable des antacides ou des gastroprocinétiques métoclopramide et dompéridone. Les inhibiteurs de la sécrétion acide gastrique (antihistaminiques H2 , IPP) n’ont pas de place chez ces enfants.
  • Chez les enfants présentant un reflux gastro-oesophagien pathologique ou « maladie de reflux gastro-oesophagien », c.-à-d. un reflux associé à des symptômes inquiétants ou à des complications, des examens complémentaires s’avèrent nécessaires et un traitement par des inhibiteurs de la sécrétion acide gastrique, en plus des mesures générales, peut être utile. On ne dispose cependant que de peu de données provenant d’études cliniques sur ces médicaments.

Le reflux gastro-oesophagien est une plainte fréquemment rapportée chez le jeune enfant. Le reflux se manifeste par des régurgitations, à savoir l’évacuation soudaine et sans effort de petites quantités du contenu gastrique par la bouche. Ces régurgitations sont le plus souvent physiologiques et disparaissent généralement avant l’âge de 12 à 15 mois. Ce n’est que lorsque le reflux est associé à des symptômes inquiétants ou alarmants (p. ex. une évolution anormale du poids, des pleurs inexpliqués, un refus de s’alimenter) ou à des complications (p.ex. une oesophagite, des problèmes respiratoires), que l’on parle de “maladie de reflux gastro-oesophagien”. Celle-ci survient plus fréquemment chez les enfants nés prématurément et chez les enfants présentant des facteurs de risque tels que des troubles neurologiques ou des anomalies congénitales de l’oesophage.

La prise en charge du reflux gastro-oesophagien chez les jeunes enfants a été discutée pour la dernière fois dans les Folia en janvier 1999 . En cas d’échec des mesures générales (voir plus loin), des gastroprocinétiques, en particulier le cisapride, étaient alors proposés comme premier choix. Le cisapride n’est plus du tout disponible depuis fin avril 2011; l’utilité du cisapride était déjà limitée depuis longtemps en raison du risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes. Le présent article discute de la prise en charge actuelle du reflux gastro-oesophagien chez les jeunes enfants.


Mesures générales

La prise en charge du reflux gastro-oesophagien chez les jeunes enfants consiste en premier lieu à rassurer les parents, et à rectifier leurs attentes et leurs connaissances concernant le comportement normal des nourrissons. D’autres mesures telles que le repos et la régularité, « nourrir à la demande » (et apprendre à bien interpréter cette demande pour éviter aussi bien la sur- que la sous-alimentation) peuvent aussi être utiles. L’épaississement de la nourriture (par exemple avec de la farine de graines de caroube, de l’amidon de riz ou de maïs) n’a qu’un effet limité sur le nombre de régurgitations, et il n’est pas possible de se prononcer en faveur d’un épaississant en particulier. [N.d.l.r.: les laits dits “anti-régurgitation” (laits AR) contiennent déjà des épaississants]. En l’absence de symptômes d’alarme ou de complications, ce sont en principe les seules mesures à appliquer.

La position en décubitus ventral n’est pas recommandée chez les très jeunes enfants vu la possibilité d’un risque accru de mort subite. La position en décubitus dorsal avec la tête de lit surélevée n’a pas d’impact sur le reflux. La position en décubitus latéral gauche peut diminuer le reflux, mais cette position n’est pas stable, et l’usage de coussins n’est pas recommandé.


Traitement médicamenteux


1. Gastroprocinétiques

En ce qui concerne le métoclopramide et la dompéridone , les preuves d’efficacité sont limitées. Le métoclopramide peut provoquer, surtout chez l’enfant, des réactions extrapyramidales, et dans de très rares cas, de la galactorrhée; des dyskinésise tardives ont aussi été décrites lors d’un usage prolongé. Avec la dompéridone, les réactions extrapyramidales sont moins fréquentes. Une relation entre la dompéridone et l’allongement de l’intervalle QT chez les jeunes enfants est toutefois suspectée, mais ceci est peu documenté, en particulier en ce qui concerne le risque éventuel de torsades de pointes.


2. Antacides

L’efficacité des antacides, en association ou non à l’alginate (qui forme un gel visqueux dans l' estomac), chez les jeunes enfants, n’est pas clairement prouvée. Les antacides à base d’aluminium (p.ex. algeldrate) sont déconseillées chez les enfants de moins d’un an vu que l’accumulation peut entraîner des concentrations plasmatiques accrues d’aluminium et un risque de neurotoxicité.


3. Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) et antihistaminiques H 2

  • Ces médicaments n’ont pas de place dans la prise en charge des symptômes bénins du reflux gastro-oesophagien chez les enfants ne présentant pas de complications. Il n’est en effet pas prouvé qu’ils soient plus efficaces qu’un placebo.
  • En revanche, ces médicaments sont indiqués en cas de maladie de reflux gastro-oesophagien, en particulier chez les enfants présentant une oesophagite. Dans ce cas, les IPP sont plus efficaces que les antihistaminiques H2. Jusqu’à présent, peu d’études seulement ont été réalisées à ce sujet et les doses proposées sont donc très peu étayées.

    Même en cas d’oesophagite par reflux, il n’est pas utile de prolonger indéfiniment le traitement. Après 3 à 6 mois, il convient d’essayer de réduire progressivement le traitement sur une période de 4 semaines environ. Selon le British National Formulary for children (BNF for Children), lorsqu’un tel traitement s’avère nécessaire, la ranitidine est l’antihistaminique H2 de premier choix et l’oméprazole est l’IPP de premier choix.

  • Il convient de tenir compte des effets indésirables de ces médicaments: surtout des céphalées et des troubles gastro-intestinaux, mais des données suggèrent également que l’inhibition chronique de la sécrétion acide gastrique est susceptible d’augmenter le risque de pneumonie acquise en communauté, d’infection à Candida et de gastro-entérite chez les enfants, ainsi que d’entérocolite nécrosante chez les prématurés.

3.1. Usage pédiatrique selon les RCP belges (situation au 01/07/11)

  • Antihistaminiques H2. Les “ Résumés des Caractéristiques du Produit ” (RCP) de certaines spécialités à base de ranitidine ne mentionnent pour les enfants que la posologie en cas d’ulcère gastro-duodénal (sans limite d’âge). Les RCP des spécialités à base de cimétidine mentionnent comme indication “l’oesophagite peptique” ou le “reflux gastro-oesophagien peptique”, et donnent une posologie dès la naissance, alors que les formes pharmaceutiques ne sont pas adaptées à un usage chez de très jeunes enfants.
  • IPP. Les RCP de certaines spécialités à base d’oméprazole et de lansoprazole prévoient l’usage chez des enfants dès l’âge d’un an (≥ 10 kg) en cas de reflux gastro-oesophagien. Pour les autres IPP, l’usage pédiatrique n’est pas stipulé.

3.2. Préparations magistrales

Le Formulaire Thérapeutique Magistral (édition 2010) mentionne une suspension à base d’oméprazole (“Suspension pédiatrique à 2 mg d’oméprazole/ml FTM”) et un sirop à base de ranitidine (“Sirop pédiatrique à 15 mg de ranitidine/ml”) à usage pédiatrique.

L’INAMI prévoit un remboursement pour les préparations magistrales à base de ranitidine (forme liquide) et d’oméprazole (suspension). Les préparations magistrales à base d’oméprazole ne sont remboursées que si elles sont utilisées chez des enfants de plus de deux ans et de moins de 18 ans, dans le cadre d’un traitement d’un reflux gastro-oesophagien sévère réfractaire aux autres mesures thérapeutiques (remboursement selon le chapitre IV, donc après avis du médecin-conseil).

[N.d.l.r.: une préparation magistrale dans laquelle une spécialité à base d’oméprazole ou de ranitidine a été incorporée, ne peut pas être remboursée étant donné que l’oméprazole et la raniditine sont disponibles en tant que matières premières remboursables].


3.3. Posologies pédiatriques

Les posologies suivantes sont tirées du BNF for Children (01/07/11):

  • ranitidine (par voie orale)
    • nouveau-né: 2 mg/kg, 3 x p.j., mais la résorption est imprévisible (max. 3 mg/kg, 3 x p.j.);
    • enfant de 1 à 6 mois: 1 mg/kg, 3 x p.j. (max. 3 mg/kg, 3 x p.j.);
    • enfant de 6 mois à 3 ans: 2 à 4 mg/kg, 2 x p.j.
  • oméprazole (par voie orale)
    • nouveau-né: 0,7 mg/kg, 1 x p.j., à augmenter si nécessaire après 7 à 14 jours jusqu’à 1,4 mg/kg, 1 x p.j. (dans certains cas, une dose allant jusqu’à 2,8 mg/kg, 1 x p.j., peut s’avérer nécessaire)
    • enfant de 1 mois à 2 ans: 0,7 mg/kg, 1 x p.j., à augmenter si nécessaire après 7 à 14 jours jusqu’à 3 mg/kg, 1 x p.j. (max. 20 mg par jour).
    ou pour l' oméprazole, exprimé autrement:
    • enfant de 10 à 20 kg: 10 mg 1 x p.j., à augmenter si nécessaire jusqu’à 20 mg 1 x p.j. (en cas de forme sévère d’oesophagite ulcéreuse par reflux, pendant maximum 12 semaines à dose plus élevée)
    • enfant> 20 kg: 20 mg 1 x p.j., à augmenter si nécessaire jusqu’à 40 mg 1 x p.j. (en cas de forme sévère d’oesophagite ulcéreuse par reflux, pendant maximum 12 semaines à dose plus élevée).

  • Quelques références

    Anonyme.: Managing gastro-oesophageal reflux in infants. Drug Ther Bull 2009; 47: 134-7

    Anonyme.: Dompéridone chez les nourrissons: allongement de l’intervalle QT. La Revue Prescrire 2010; 30: 430

    vandenplas Y en Rudolph CD.: J Pediatr Gastroenterol Nutr 2009; 49: 498-547

    van Winckel M.: IPP pour les nourrissons avec plaintes postprandiales? Minerva 2010; 9: 52-3