Traitement de substitution en cas d’interruption périopératoire des anticoagulants oraux

Lors d’une intervention chirurgicale avec un risque élevé d’hémorragie, il convient d’arrêter les anticoagulants oraux. Chez les patients avec un risque thromboembolique élevé, les antagonistes de la vitamine K sont remplacés temporairement par une héparine de bas poids moléculaire (HBPM). Chez les patients avec un faible risque thromboembolique, la substitution temporaire d’un anticoagulant oral par une HBPM ne semble pas apporter de plus-value et peut même être associée à un risque accru d’hémorragie.

Lors d’une intervention chirurgicale chez un patient traité par des antithrombotiques, on est confronté à l’équilibre précaire entre le risque thromboembolique d’une part, et le risque de saignements d’autre part. La question se pose dès lors de savoir si le traitement antithrombotique doit être poursuivi ou non en période périopératoire, et en cas d’interruption, si un traitement de substitution doit être instauré. La prise en charge du traitement antithrombotique en période périopératoire a déjà été discutée dans les Folia de juin 2011, décembre 2011 et février 2012. A l’occasion de publications récentes 1,2,3, nous revenons sur la question d’instaurer ou non une thérapie de substitution par une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) lors de l’interruption périopératoire des anticoagulants oraux.

Dans ce texte, on considère que le risque thromboembolique est élevé dans les situations suivantes: prothèse valvulaire mécanique mitrale, tricuspide ou pulmonaire; prothèse valvulaire aortique mécanique + fibrillation auriculaire (FA); valvulopathie mitrale + FA; antécédents d’embolie cardiaque ou systémique; thromboembolie veineuse profonde récente (< 3 mois); pontage périphérique avec antécédents de thrombose.

Les facteurs de risque d’hémorragie sont les suivants: hypertension > 160mmHg, troubles de la fonction rénale ou hépatique, antécédents d’AVC, antécédents d’hémorragie ou prédisposition aux saignements, INR instable, âge > 65 ans, usage d’antiagrégants, d’AINS ou d’alcool.

Les interventions avec un faible risque d’hémorragie sont les extractions de maximum deux dents, la chirurgie de la cataracte et les interventions dermatologiques.

 

Antagonistes de la vitamine K (AVK)

Intervention avec un faible risque d’hémorragie

On considère que les AVK peuvent en principe être poursuivis.

 

Intervention avec un risque élevé d’hémorragie

Il est nécessaire dans ce cas d’interrompre temporairement les AVK.

  • Chez les patients avec un risque thromboembolique élevé, il convient de remplacer temporairement les AVK par une HBPM.

  • Chez les patients avec un faible risque thromboembolique, il convient d’arrêter temporairement les AVK, mais la question de savoir si un traitement de substitution doit être instauré n’est pas clairement résolue. On ne dispose en effet que de peu de preuves solides étayant les recommandations à ce sujet. Les études non randomisées suggèrent que la substitution n’est pas nécessaire.

    • Une étude randomisée contrôlée (BRIDGE2) a comparé l’effet d’un traitement de substitution par une HBPM par rapport à l’absence de traitement de substitution en période périopératoire. L’étude a été réalisée chez 1.884 patients atteints de fibrillation auriculaire (avec au moins un des facteurs de risque CHADS2 suivants: insuffisance cardiaque gauche, hypertension, âge > 75 ans, diabète, antécédent d’AVC ou d’AIT). Les patients avec un risque thromboembolique élevé (p. ex. ceux porteurs d’une prothèse valvulaire ou avec des antécédents récents d’accident thromboembolique) étaient exclus de l’étude. Les résultats montrent qu’il n’y avait pas de différence statistiquement significative sur l’incidence des accidents thromboemboliques entre le groupe ayant reçu une HBPM et le groupe n’ayant pas reçu de substitution (0,3% versus 0,4%), mais le risque d’hémorragies majeures était plus élevé dans le groupe ayant reçu un traitement de substitution (3,2% versus 1,3%).

    • Les résultats de l’étude BRIDGE correspondent à ceux des études non randomisées réalisées jusqu’à présent. Récemment, une nouvelle étude de cohorte3 renforce ces conclusions. L’étude a été réalisée auprès de 1.178 patients traités par la warfarine en raison d’une thromboembolie veineuse. La plupart des patients présentaient un faible risque de récidive. Les résultats n’ont pas montré de différence statistiquement significative en ce qui concerne le risque de récidive de thromboembolie entre le groupe ayant reçu un traitement de substitution et le groupe n’ayant pas reçu de substitution (0 versus 0,2%), mais le risque d’hémorragie était plus élevé chez les patients ayant reçu un traitement de substitution (2,7% versus 0,2%).

 

Nouveaux anticoagulants oraux (NACO)

Avec les NACO, la question de la substitution temporaire par une HBPM est moins pertinente vu la courte durée de demi-vie des NACO. Celle-ci permet de limiter la durée de l’interruption et de retrouver rapidement l’effet anticoagulant lors de la reprise du traitement. Les observations faites dans certaines études d’efficacité des NACO dans la fibrillation auriculaire correspondent à cette hypothèse. Des études contrôlées conçues pour évaluer ce problème font toutefois défaut. En cas d’hémorragie postopératoire, des antidotes spécifiques sont en cours de développement mais ne sont pas encore disponibles en Belgique (situation au 29/03/16).

 

Conclusion

Les résultats des études réalisées avec les AVK, et le profil pharmacocinétique des NACO semblent indiquer que, chez les patients qui présentent un faible risque thromboembolique, la substitution temporaire d’un anticoagulant oral par une HBPM en période périopératoire ne semble pas apporter de plus-value et peut même être associée à un risque accru d’hémorragie. Bien que toutes les questions ne soient pas encore définitivement résolues, les données actuelles ne plaident pas en faveur d’un traitement de substitution systématique en  cas d’interruption périopératoire des anticoagulants oraux. Il convient en tout cas d’évaluer le rapport bénéfice/risque pour chaque patient en particulier.

 

1 BMJ 2015 ;351 :h2391 (doi: 10.1136/bmj.h2391)

2 NEJM ; 373: 823-33 2015 (doi: 10.1056/NEJMoa1501035)

3 JAMA Intern. Med. 2015; 175:1163-8 (doi: 10.1001/jamainternmed.2015.1843)