Résumé |
Dans deux récentes méta-analyses d’études randomisées contrôlées, un traitement par le paracétamol (3 à 4 g par jour) en cas d’arthrose du genou et de la hanche n’a pas entrainé de bénéfice cliniquement significatif, par rapport au placebo, sur la douleur et le fonctionnement, quelle que soit la durée du traitement. Les auteurs des méta-analyses, ainsi que des éditoriaux s’y rapportant, remettent en question le paracétamol comme premier choix dans les douleurs liées à l’arthrose. Ils suggèrent qu’un traitement par mobilisation, seul ou combiné à un AINS par voie locale ou à une prise intermittente et de courte durée d’un AINS par voie orale, en tenant compte du risque individuel de complications gastro-intestinales et cardio-vasculaires, constitue la meilleure prise en charge. Le CBIP estime que ces deux méta-analyses ne permettent pas de modifier fondamentalement la place du paracétamol et des AINS dans les douleurs liées à l’arthrose. Un changement en faveur de l’usage d’AINS par voie orale semble très risqué, vu le risque d’effets indésirables gastro-intestinaux, rénaux et cardio-vasculaires graves, en particulier chez les patients (généralement âgés) atteints d’arthrose présentant souvent un risque plus élevé d’effets indésirables. Il est frappant que les études n’aient pas montré d’effet cliniquement significatif non seulement avec le paracétamol, mais aussi avec des AINS couramment utilisés, tels que l’ibuprofène, le naproxène et le célécoxib. Dans la pratique, l’abandon du paracétamol comme premier choix fait également l’objet de controverses. Les résultats de ces études incitent toutefois à l’utilisation raisonnée du paracétamol et à (ré)évaluer régulièrement tout traitement. Concernant le profil d’innocuité du paracétamol, nous avons écrit dans les Folia d’avril 2015 que l’on ne dispose pas encore de preuves de qualité suffisante concernant un lien de causalité entre la prise de paracétamol à doses normales et des effets indésirables graves. |
Actuellement, la prise en charge des douleurs liées à l’arthrose repose avant tout, selon le Répertoire Commenté des Médicaments [voir chapitre 9.4. Arthrose] et la plupart des autres sources1, sur des mesures non médicamenteuses telles que : exercices physiques spécifiques, éviter la surcharge et, en cas de surpoids, perte de poids. Si la douleur reste gênante, il peut être utile de recourir à un traitement médicamenteux, en commençant de préférence par le paracétamol ou, en cas d'arthrose des genoux ou des mains, par un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) à usage local. Les AINS par voie orale ne sont recommandés qu’en cas de contrôle insuffisant de la douleur (p.ex. en présence d'une composante inflammatoire); le traitement doit alors être le plus court possible en raison des effets indésirables gastro-intestinaux et cardio-vasculaires, et un traitement gastro-protecteur peut être envisagé dans ce dernier cas chez les patients à risque. La place des opioïdes est très limitée en raison du manque de preuves, de l’apparition potentielle d’une dépendance et d’autres effets indésirables importants (entre autres sédation, constipation, vertiges, euphorie, nausées,...), en particulier chez les personnes âgées [voir aussi Folia septembre 2016]
Les auteurs de méta-analyses récentes parues dans The BMJ2 et The Lancet3 rapportent que le paracétamol n’est pas plus efficace qu’un placebo en cas de douleurs liées à une arthrose de la hanche ou du genou: dans ces deux méta-analyses, le paracétamol n’était associé qu’à un effet très faible, sans impact clinique, sur la douleur et le fonctionnement. Aucun effet cliniquement pertinent n’a été constaté non seulement avec le paracétamol, mais aussi avec des AINS couramment utilisés tels que l’ibuprofène, le naproxène et le célécoxib.
Dans la méta-analyse de Machado et al publiée dans The BMJ2, l’efficacité du paracétamol a été évaluée par rapport à un placebo dans les douleurs liées à l’arthrose (arthrose de la hanche et du genou). Dix études contrôlées randomisées (RCT) ont été incluses (n = 3.541 patients), ayant évalué l’efficacité immédiate (0-2 semaines) ou à court terme (2-12 semaines) du paracétamol (3 à 4 g par jour) dans le traitement des douleurs liées à l’arthrose. Les auteurs ont conclu qu’il existait un léger effet statistiquement significatif, mais sans pertinence clinique, sur la douleur et le fonctionnement. Ainsi, en comparaison avec le placebo, le score global des douleurs dans l’immédiat et à court terme ne diminuait que de 3,3 et 3,7 mm sur une échelle d’évaluation de la douleur allant de 0 à 100 mm, ce qui est largement inférieur au minimum de 9 mm considéré comme cliniquement pertinent.
Da Costa et al ont publié les résultats d’une méta-analyse en réseau dans The Lancet3. La méta-analyse incluait 74 études randomisées (n = 58.556) et a comparé différentes posologies d’AINS (ibuprofène, naproxène, diclofénac, célécoxib, étoricoxib, lumiracoxib et rofécoxib), de paracétamol et un placebo. Une méta-analyse en réseau repose principalement sur une méthode de comparaison indirecte. Par exemple, en l’absence d’une étude comparative directe entre le diclofénac et le paracétamol, ces molécules sont comparées indirectement à partir d’études ayant comparé le diclofénac à un placebo et le paracétamol à un placebo.
Le paracétamol à raison de 3 g ou 4 g par jour était associé à un léger effet, statistiquement significatif mais sans pertinence clinique, sur la douleur (effet équivalant à une amélioration de 4 mm sur une échelle d’évaluation de la douleur allant de 0 à 100 mm), ce qui est comparable aux résultats provenant de la première méta-analyse. Les résultats ne variaient pas en fonction de la durée du traitement (1 semaine à 12 mois). Même avec bon nombre d’ AINS, on n’a pas non plus constaté d’effet significatif : l’ibuprofène à raison de 1.200 ou 2.400 mg/j, le naproxène à 750 ou 1.000 mg/j et le diclofénac à 100 mg/j. Un effet cliniquement pertinent sur la douleur et le fonctionnement a été constaté uniquement avec le diclofénac à 150 mg/j et l’étoricoxib à 60 mg/j (amélioration de 14 mm sur une échelle d’évaluation de la douleur), quelle que soit la durée du traitement.
Les auteurs des méta-analyses, ainsi que des éditoriaux s’y rapportant, remettent en question le paracétamol comme premier choix dans les douleurs liées à l’arthrose.4,5,6 Ils suggèrent qu’un traitement par mobilisation6, seul ou combiné à un AINS par voie locale ou à une prise intermittente et de courte durée d’un AINS par voie orale, en tenant compte du risque individuel de complications gastro-intestinales et cardio-vasculaires4,5, constitue la meilleure prise en charge.
Une synthèse méthodique d’études observationnelles sur les effets indésirables liés au paracétamol7 est parue et rapporte une augmentation dose-dépendante de la mortalité totale et des effets indésirables cardio-vasculaires, gastro-intestinaux et rénaux graves. Les études originales présentaient toutefois trop de limites pour pouvoir conclure qu’il existe un lien causal entre la prise de paracétamol et les effets indésirables décrits. [voir Folia avril 2015]
Références
1 www.nice.org.uk/guidance/cg177
2 Machado GC, Maher CG, Ferreira PH, et al. Efficacy and safety of paracetamol for spinal pain and osteoarthritis: systematic review and meta-analysis of randomised placebo controlled trials. BMJ 2015; 350:h1225; doi:10.1136/bmj.h1225
3 Da Costa BR, Reichenbach S, Keller N, et al. Effectiveness of non-steroidal anti-inflammatory drugs for the treatment of pain in knee and hip osteoarthritis: a network meta-analysis. Lancet 2016; doi:10.1016/S0140-6736(16)30002-2
4 Moore N, Salvo F, Duong M, Gulmez SE. Does paracetamol still have a future in osteoarthritis ? Lancet 2016, editorial; doi:10.1016/S0140-6736(15)01170-8
5 Mayor S. Paracetamol does not reduce pain or improve function in osteoarthritis, study shows. BMJ 2016;352;i1609; doi:10.1136/bmj.i1609
6 Mallen C. Managing back pain and osteoarthritis without paracetamol. BMJ 2015; 350:h1352; doi:10.1136/bmj.h1352
7 Roberts E, Delgado Nunes V, Buckner S et al. Paracetamol: not as safe as we thought? A systematic literature review of observational studies. Ann Rheum Dis 2016; 75:552-559; doi:10.1136/annrheumdis-2014-206914
8 Abdulla A, Adams N, Bone M, et al; British Geriatric Society. Guidance on the management of pain in older people. Age Ageing. 2013 Mar;42 Suppl 1:i1-57. doi:10.1093/ageing/afs200