De plus en plus d’enfants exposés à la mélatonine

Aux États-Unis, de plus en plus d'enfants prennent des compléments alimentaires en vente libre (OTC) contenant de la mélatonine pour des problèmes de sommeil. Le fait que la mélatonine y soit seulement disponible sous forme de préparations en vente libre renforce l’idée qu'il s'agit d'une alternative tout à fait inoffensive aux somnifères classiques, dont les inconvénients sont bien connus. Les experts du sommeil s’inquiètent de l'utilisation croissante de mélatonine par les enfants, en particulier lorsque la mélatonine est utilisée de manière prolongée et/ou à forte posologie (> 5 mg/j). Les effets de la mélatonine sur le développement de l'enfant sont encore mal connus.1

Pour plus d'informations sur le profil d’efficacité et d’innocuité de la mélatonine chez les enfants souffrant d'insomnie, voir les Folia d'avril 2021.

Selon une étude récente des Centers for Disease Control and Prevention, les centres antipoisons américains ont constaté, au cours de la dernière décennie, une forte augmentation des appels concernant des enfants ayant ingéré de la mélatonine, sans exposition concomitante à d'autres agents (single substance melatonin ingestion) : de 8 337 appels en 2012 à 52 563 appels en 2021. Cette augmentation était principalement due à des ingestions accidentelles.2,3  
La plupart des appels concernaient des enfants de 5 ans ou moins. Les enfants ne présentaient généralement aucun symptôme au moment de l'appel. Si des symptômes étaient signalés, ils étaient liés au système nerveux central dans plus de 80% des cas (sans autre précision) et étaient presque toujours légers et transitoires. Des effets indésirables plus graves ont été signalés dans plus de 4 500 (1,6%) cas d’exposition sur toute la période de suivi .

Sur les 27 795 enfants ayant reçu des soins médicaux, 4 097 enfants ont été hospitalisés, dont 287 en soins intensifs, et 5 enfants ont dû être placés sous ventilation assistée. Deux enfants (respectivement 3 et 13 mois) sont décédés à domicile. Les centres antipoisons n'ayant pas accès aux dossiers médicaux, il n'a pas été possible de déterminer si les hospitalisations et les décès pouvaient s’expliquer par les seuls effets de la mélatonine ou si d'autres facteurs ont joué un rôle.

D’après nos renseignements auprès du Centre antipoisons belge, 228 appels au total ont été enregistrés entre le 1er janvier 2018 et le 31 juillet 2022, concernant l'exposition à la mélatonine sous forme de médicament ou de complément alimentaire (sans exposition concomitante à d'autres agents) dans la tranche d'âge de 0 à 14 ans. Le nombre d'expositions a doublé, passant de 27 en 2018 à 57 en 2021 (déjà 35 expositions au premier semestre 2022).
Huit expositions à la mélatonine (3%) ont reçu un Poisoning Severity Score de trois, ce qui signifie qu'il y avait des symptômes graves et/ou un renvoi immédiat à l'hôpital/aux urgences.4 Il n'est pas possible de se prononcer sur une éventuelle relation causale avec la mélatonine, en raison du manque d'informations médicales sur ces cas.

L'Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) déconseille l’utilisation de compléments alimentaires contenant de la mélatonine chez les enfants de moins de 12 ans, en se fondant sur le principe de précaution. Leur emballage doit comporter des avertissements appropriés et leur présentation ne doit pas cibler la consommation par ce groupe d’âge 
(https://www.afmps.be/fr/humain/produits_particuliers/Zone_grise/avis).

Outre les compléments alimentaires à la mélatonine en vente libre, quelques médicaments à base de mélatonine à courte durée d'action sont également disponibles sans ordonnance en Belgique. Ils ont pour seule indication le décalage horaire chez l'adulte et sont disponibles en doses de 3 mg ou 5 mg. Le médicament à base de mélatonine 2 mg à action prolongée est disponible uniquement sur ordonnance dans l'indication « insomnie » chez le sujet âgé de plus de 55 ans. Pour plus d'informations sur la distinction entre compléments alimentaires versus médicaments, voir les Folia d'avril 2021.

Commentaire du CBIP

Il est probable que la large disponibilité de la mélatonine contribue au nombre croissant d'expositions chez les enfants rapporté par le Centre antipoisons belge. Les nombreux compléments alimentaires et spécialités pour le décalage horaire n’étant pas soumis à prescription, la consommation de la mélatonine reste une zone d’ombre pour les soignants et les autorités de contrôle. En particulier la consommation chronique est problématique chez les enfants, parce que nous en ignorons l’impact sur leur développement.
Tout médecin ou pharmacien qui prescrit ou délivre une préparation contenant de la mélatonine à un adulte, fait bien de lui signaler qu’il ne doit pas transmettre la préparation à ses enfants et qu’il doit la conserver hors de leur portée. Toute suspicion d’effet indésirable lié à la mélatonine peut être signalé sur www.notifieruneffetindesirable.be.


Sources

Kuehn BM. Climbing melatonin use for insomnia raises safety concerns. JAMA. 2022; 328(7):605-607. doi: 10.1001/jama.2022.11506
Kuehn BM. Young children increasingly ingest melatonin, with serious outcomes. JAMA. 2022; 328(2):123. doi: 10.1001/jama.2022.11156
3 Lelak K, Vohra V, Neuman MI, Toce MS, Sethuraman U. Pediatric melatonin ingestions – United States, 2012-2021. Centers for Disease Control and Prevention. Morbidity and Mortality Weekly Report 2022;71:725-9
4 Persson HE, Sjöberg GK, Haines JA, de Pronczuk Garbino J. Poisoning severity score. Grading of acute poisoning. J Toxicol Clin Toxicol. 1998;36:205-213. doi: 10.3109/15563659809028940.