Traitement en première ligne de la constipation chronique fonctionnelle


Abstract

La prise en charge en première ligne de la constipation chronique fonctionnelle consiste d’abord en des mesures hygiénodiététiques. Lorsque celles-ci s’avèrent insuffisantes, il peut être utile de recourir à un traitement médicamenteux. Il existe peu d’études comparatives entre les différentes classes de laxatifs; le choix se fera dès lors en fonction de la rapidité d’action souhaitée et du profil d’effets indésirables. Les laxatifs de lest et les laxatifs osmotiques non salins sont généralement les médicaments de premier choix. Avec les laxatifs de contact et les laxatifs osmotiques salins, il faut être attentif surtout au risque de troubles électrolytiques parfois graves; leur utilisation prolongée requiert la prudence.

La constipation chronique fonctionnelle est une plainte fréquente, surtout chez les femmes et les personnes âgées. Il est important de rappeler que toute modification dans les habitudes de défécation chez un adulte doit faire envisager l’existence d’un cancer colo-rectal ou une autre cause organique. La constipation est le plus souvent fonctionnelle (c.-à-d. sans cause pathologique sous-jacente). De nombreux mécanismes physiopathologiques (transit lent, dyssynergie recto-anale ), seuls ou intriqués, peuvent causer une constipation fonctionnelle chronique. Certaines classes de médicaments tels des opiacés, des médicaments avec des propriétés anticholinergiques, des antagonistes du calcium, des antihypertenseurs à action centrale, des diurétiques, des préparations à base de fer ou de calcium peuvent aussi déclencher ou aggraver une constipation.


Mesures hygiénodiététiques

Des mesures hygiénodiététiques simples telles un régime alimentaire riche en céréales complètes, en légumes et en fruits, des boissons abondantes, de l’exercice physique, et une présentation régulière à la selle doivent être encouragées. La relation entre une alimentation pauvre en fibres végétales et la constipation chez l’adulte est bien démontrée. Lorsque l’apport en fibres est faible, il peut être utile de l’augmenter par des suppléments (p. ex. sous forme de son de blé, environ 20 g par jour), et ce en association à une prise suffisante de liquides. Les fibres étant parfois mal supportées (douleur abdominale, flatulence), la dose doit être augmentée progressivement selon les besoins et la tolérance.


Traitement médicamenteux

On distingue 5 classes de laxatifs en fonction de leur mode et de leur rapidité d’action. En ce qui concerne les effets indésirables des laxatifs, nous renvoyons au Répertoire Commenté des Médicaments 2006. Il existe peu d’études comparatives rigoureuses entre les différentes classes de laxatifs. Lorsqu’un traitement médicamenteux s’avère nécessaire, le choix se fera dès lors en fonction de la rapidité d’action souhaitée, de l’évaluation du rapport bénéfice/risque et du coût. Les associations à base de plusieurs laxatifs sont en principe à déconseiller.


Laxatifs de lest

Les laxatifs de lest sont constitués de fibres ou de mucilages présents dans des graines, des gommes ou des algues hydrophiles non digestibles. Leur mode d’action est comparable à celui des fibres végétales: ils augmentent le volume des selles et leur teneur en eau. Les laxatifs de lest, en association à une prise suffisante de liquides, représentent le traitement de premier choix lorsque les mesures diététiques sont insuffisantes ou difficiles à suivre. Leur effet se manifeste dans un délai de 1 à 3 jours.


Laxatifs osmotiques

  • Les laxatifs osmotiques à base de disaccharides de synthèse (lactitol, lactulose et sorbitol) sont peu absorbés au niveau colique et retiennent l’eau et les électrolytes. Ils sont ensuite hydrolysés par les bactéries du côlon en acides organiques qui agissent sur le péristaltisme intestinal. L’effet des laxatifs osmotiques se manifeste dans un délai de 1 à 2 jours.
  • Des laxatifs osmotiques à base de macrogol (polyéthylène-glycol ou PEG) sont également disponibles. Le macrogol n’est pas hydrolysé par les bactéries du côlon et agit uniquement par son pouvoir osmotique. Il n’est pas prouvé que l’absence de fermentation bactérienne entraîne un risque moindre d’effets indésirables. Aucune différence d’efficacité n’a été démontrée entre les laxatifs de lest, les laxatifs osmotiques à base de disaccharides et les laxatifs osmotiques à base de macrogol.
  • Les laxatifs osmotiques dits "salins", c.-à-d. à base de sels de sodium, de potassium et de phosphates, agissent par un effet osmotique mais exercent aussi un effet stimulant. Ils présentent la même rapidité d’action (5 à 10 heures), mais aussi les mêmes inconvénients que les laxatifs de contact.

Lubrifiants

Les laxatifs lubrifiants, telle la paraffine par voie orale, ramollissent les selles et en facilitent l’expulsion. Ils sont surtout utilisés pour traiter ou prévenir la formation d’un fécalome. Leur délai d’action est de 6 à 8 heures. L’huile de paraffine est à éviter chez les patients présentant un risque de troubles de la déglutition (risque de pneumonie graisseuse en cas de fausse déglutition). Une utilisation prolongée est déconseillée en raison de la diminution de l’absorption des vitamines liposolubles.


Laxatifs de contact

Les laxatifs de contact (aussi appelés laxatifs stimulants ou irritants) comportent des dérivés anthraquinoniques d’origine végétale ou synthétique et des dérivés du diphénylméthane tels le bisacodyl et le picosulfate de sodium. Ils agissent en augmentant la sécrétion colique d’eau et d’électrolytes, et en stimulant la motricité colique par une action directe sur la muqueuse, ce qui entraîne rapidement l’évacuation du contenu colique (délai d’action de 5 à 10 heures). Les laxatifs de contact peuvent provoquer des troubles électrolytiques parfois graves pouvant s’accompagner de torsades de pointes chez des patients traités par d’autres médicaments hypokaliémants ou pouvant favoriser l’apparition de torsades de pointes. L’utilisation prolongée de dérivés anthraquinoniques expose aussi à un risque de mélanose colique. Un lien entre l’utilisation chronique de ces dérivés et l’apparition à long terme de certains cancers recto-coliques a été évoqué mais n’a pas été démontré. Il est classiquement admis que l’utilisation chronique de laxatifs de contact peut provoquer des lésions des plexus mésentériques (côlon cathartique), mais cela est mis en doute par certains. Par ailleurs, des cas de dépendance et d’usage abusif de laxatifs de contact sont décrits, notamment en présence de troubles psychiques tels l’anorexie mentale ou la boulimie. L’usage des laxatifs de contact doit en tout cas rester occasionnelle et limitée dans le temps. [N.d.l.r.: plusieurs produits à base de plantes, non enregistrés comme médicaments, ont le même mécanisme d’action et les mêmes effets indésirables que les laxatifs de contact.]


Laxatifs à usage rectal

Les laxatifs utilisés par voie rectale peuvent agir par différents mécanismes: effet osmotique, stimulant ou lubrifiant. L’intérêt de cette voie d’administration est sa rapidité d’action (5 à 30 minutes); elle est utilisée pendant une courte période en cas d’obstruction rectale par un fécalome.


Constipation pendant la grossesse

La constipation est fréquente pendant la grossesse, principalement au cours du premier et du troisième trimestres. Des mesures hygiénodiététiques sont certainement recommandées chez la femme enceinte. La prise de fer pendant la grossesse peut aussi avoir un effet constipant, et il peut être utile de réévaluer la posologie en cas de constipation gênante. Il existe très peu de données concernant l’utilisation de laxatifs pendant la grossesse. Lorsqu’un laxatif s’avère vraiment nécessaire, on optera de préférence pour un laxatif de lest ou un laxatif osmotique non salin (lactulose, lactitol, sorbitol ou macrogol). L’administration d’un laxatif de contact pendant une courte période paraît efficace et sûre, mais la prudence s’impose, notamment au cours du troisième trimestre de la grossesse, étant donné le risque possible de provoquer des contractions utérines. Les laxatifs osmotiques salins sont à déconseiller en raison du risque de rétention sodée; les laxatifs lubrifiants peuvent entraîner une diminution de l’absorption des vitamines liposolubles.


Constipation chez l’enfant

La constipation est un problème très fréquent chez l’enfant. Elle est souvent passagère mais elle peut aussi évoluer progressivement vers une constipation chronique. En raison de l’absence d’études suffisantes sur l’utilisation des laxatifs chez l’enfant, le traitement de la constipation dans cette tranche d’âge repose essentiellement sur l’expérience clinique.

  • En cas de constipation de courte durée chez l’enfant, la prise en charge en première ligne consiste d’abord en des mesures diététiques, et éventuellement en la prise orale d’un laxatif. Des laxatifs osmotiques tels le lactulose (1 à 3 ml/kg 1 à 2 x p.j.) ou le macrogol (0,26 à 0,84 g/kg/j) sont souvent proposés comme premier choix. Les laxatifs de lest(tels ispaghul, sterculia) peuvent aussi être utilisés mais ils ne sont pas toujours faciles à administrer chez le jeune enfant. La paraffine (1 à 3 ml/kg/j) peut être une alternative lorsque les laxatifs osmotiques ne sont pas supportés ou lorsque l’on souhaite ramollir les selles. L’utilisation de paraffine sera toutefois limitée à quelques mois et doit être évitée chez les jeunes enfants (< 12 mois) et ceux qui présentent des troubles de la déglutition.
  • En cas de constipation sévère ou de longue durée, il est recommandé de recourir à un traitement de deuxième ligne.

Références principales

  • Anonyme: Constipation de l’adulte. Prise en charge dans le cadre des soins primaires. La Revue Prescrire 2004; 24: 688-98
  • Benninga MA, Voskuijl WP en Taminiau AJM.: Childhood constipation: is there new light in the tunnel? J Pediatr Gastroenterol Nutr 2004; 39: 448-64
  • Farmacotherapeutisch Kompas via www.cvzkompassen.nl/fk/
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  • Müller-Lissner SA, Kamm MA, Scarpignato C en Wald A.: Myths and misconceptions about chronic constipation. Am J Gastroenterol 2005; 100: 232-42
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  • Wald A.: Is chronic use of stimulant laxatives harmful to the colon?; J Clin Gastroenterol 2003; 36:: 386-9