Immunothérapie pour le cancer: les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires

Il existe différentes formes d'immunothérapie contre le cancer. Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires peuvent être utilisés pour plusieurs types de tumeurs. Ces anticorps monoclonaux lèvent "l'inhibition" naturelle des lymphocytes T qui sont les soldats du système immunitaire pour qu’ils puissent reconnaître et éliminer les cellules tumorales. Ce mécanisme d’action est tout à fait différent des autres thérapies anti-cancéreuses. Malgré des résultats impressionnants dans des études portant sur un petit nombre de patients, ces traitements ne concernent qu'une minorité de patients cancéreux. Ils ont un profil d’effets indésirables spécifique découlant de leur mode d’action. En particulier, des réactions auto-immunes contre les tissus normaux peuvent se produire pendant le traitement mais peuvent également se produire plusieurs mois après l’arrêt du traitement. Il est important d’identifier rapidement ces effets indésirables liés au système immunitaire, qui commencent souvent de manière non spécifique, et d’orienter rapidement le patient.

L’immuno-oncologie consiste à faire appel au système immunitaire pour lutter contre le cancer. Des recherches sont en cours pour évaluer l’efficacité de ces traitements. Il existe différentes formes d'immunothérapie (par exemple la thérapie par vaccination, la thérapie cellulaire). Certaines de ces formes ne sont pas encore utilisées en Belgique ou ne sont actuellement utilisées que dans des études1. Quand les oncologues parlent aujourd'hui d'immunothérapie, ils se réfèrent souvent aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaires. Cet article traite des inhibiteurs de points de contrôle immunitaires disponibles sur le marché belge (situation au 1er mai 2019), en portant une attention particulière à leur profil d’effets indésirables spécifique.

Mode d’action

Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires sont des anticorps monoclonaux. Ils ciblent les récepteurs des lymphocytes T Cytotoxic T Lymphocyte associated Antigen 4 (CTLA-4) (ipilimumab) et Programmed cell Death 1 (PD-1) (nivolumab et pembrolizumab). En outre, il existe des anticorps monoclonaux qui se lient au Programmed cell Death 1-ligand (PD-L1) (atézolizumab, avélumab, durvalumab), un ligand de PD-1, à la surface des cellules tumorales. Dans des circonstances normales, par exemple après l'élimination d'un agent pathogène (tel qu’une bactérie ou un virus), l'activation des récepteurs des lymphocytes T, CTLA-4 et PD-1, joue un rôle dans la prévention d'une activité excessive du système immunitaire. Cela freine le système immunitaire. Les récepteurs CTLA-4 et PD-1 sur les lymphocytes T sont donc des régulateurs négatifs ou des "points de contrôle" de l'activation et de la fonction de ces cellules et, dans des circonstances normales, contribuent à l'homéostasie immunologique. Certaines cellules tumorales sont capables d'activer ces régulateurs négatifs, leur permettant ainsi d'échapper au contrôle par le système immunitaire.

L'activation des lymphocytes T nécessite 2 signaux. Le signal 1 consiste à reconnaître un antigène, ici un antigène tumoral, par le récepteur du lymphocyte T. Le signal 2 consiste en l'activation de récepteurs co-stimulateurs à la surface des lymphocytes T. L’activation via les deux signaux est nécessaire au développement d'une réponse immunitaire antitumorale et à la destruction finale des cellules tumorales. Des récepteurs co-inhibiteurs (par exemple, CTLA-4 et PD-1) sont également présents sur le lymphocyte T activé. Une activation coordonnée des récepteurs co-stimulateurs et co-inhibiteurs assure une réponse immunitaire équilibrée et évite l'auto-immunité.

Un des mécanismes par lesquels certaines cellules tumorales peuvent échapper à une réponse immunitaire antitumorale est de perturber cette régulation de l'activation des lymphocytes T. Ces cellules tumorales peuvent activer les récepteurs co-inhibiteurs par contact et inhiber ainsi l'activation des lymphocytes T. Cela est possible, par exemple, par l’interaction de PD-L1 à la surface d’une cellule tumorale avec le récepteur PD-1 du lymphocyte T.

Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires inhibent le fonctionnement des freins naturels (CTLA-4 et PD-1) du système immunitaire et rétablissent ainsi l'activité des lymphocytes T antitumorales. Cela permet au système immunitaire de reconnaître et d’éliminer les cellules tumorales. Cependant, en raison de leur mécanisme d'action, les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires augmentent les risques de réactions auto-immunes dans les tissus normaux (voir ci-dessous). Ces découvertes sont considérées comme une percée dans la lutte contre le cancer pour laquelle le prix Nobel de médecine a été attribué en 20182.

Indications

Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires peuvent être efficaces dans divers types de tumeurs, même à un stade très avancé. Actuellement, un grand nombre d'études sont en cours ou prévues avec ces médicaments dans divers types de tumeurs3. Les inhibiteurs de PD-1/PD-L1 sont autorisés en Belgique et remboursés par L’INAMI dans certaines indications telles que les mélanomes, le cancer du poumon, le lymphome de Hodgkin, le cancer de la vessie, le cancer du rein et les cancers de la tête et du cou; et l'ipilimumab, un inhibiteur de CTLA-4, dans le mélanome et le cancer du rein. Ils sont devenus le traitement standard d'un certain nombre de cancers. Une discussion détaillée de l'efficacité de ces produits dépasse le cadre de cet article4.

Dans un certain nombre d'études, les inhibiteurs de PD-1 sont plus efficaces que la chimiothérapie, et ils sont généralement moins toxiques. Des études montrent également que les inhibiteurs de PD-1 sont plus efficaces que les inhibiteurs de CTLA-4. De plus, la combinaison d'ipilimumab (anti-CTLA-4) et de nivolumab (anti-PD-1) offrent un plus grand taux de réponse que la monothérapie. Cette combinaison a été approuvée dans le mélanome et le cancer du rein.

Des résultats impressionnants sont observés chez un petit nombre de patients, des succès qui ont atteint la presse au cours de la phase initiale de ces traitements. Afin de prévenir les attentes irréalistes, il faut savoir que ces traitements ne fonctionnent que chez une minorité de patients cancéreux. L'interaction entre le système immunitaire et le cancer est complexe. Par exemple, toutes les tumeurs ne sont pas également immunogènes et le microenvironnement tumoral (qui crée localement un environnement immunosuppresseur) joue également un rôle important dans cette interaction. Les recherches actuelles se concentrent donc, soit, sur des biomarqueurs permettant de prédire chez quels patients ces traitements coûteux seront efficaces, soit sur la combinaison avec d’autres traitements (chimiothérapie, radiothérapie, thérapies ciblées, par exemple) ou enfin sur d’autres régulateurs du système immunitaire que CTLA-4 et PD-1/PD-L1.

Aspects de sécurité

Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires ont un profil de sécurité unique par rapport aux autres traitements anticancéreux. Compte tenu du mécanisme d’action discuté ci-dessus, il faut surtout penser aux réactions auto-immunes possibles ciblant les tissus normaux. Les effets indésirables liés au système immunitaire sont souvent légers à modérés (des fréquences très variables sont signalées) mais ils peuvent aussi être graves et mettre la vie en danger. Les patients sous immunothérapie font donc l'objet d'une surveillance étroite dans la pratique. En général, l'ipilimumab (anti-CTLA-4) est plus toxique que les inhibiteurs de PD-1/PD-L1 et des effets indésirables liés au système immunitaire se produisent plus fréquemment lorsque l'on combine des inhibiteurs de CTLA-4 avec des inhibiteurs de PD-1/PD-L1. Les effets indésirables liés au système immunitaire peuvent se manifester au niveau de n'importe quel organe. En général, les symptômes au niveau de la peau (éruption cutanée, démangeaisons) sont les plus courants. Les autres effets indésirables liés au système immunitaire incluent la fatigue, arthrite, colite, dysfonctionnement de la thyroïde (hypothyroïdie ou hyperthyroïdie), hypophysite, insuffisance surrénalienne, pneumopathie inflammatoire et hépatite5, 6. Au début, les plaintes sont souvent non spécifiques :

  • La diarrhée et/ou les douleurs abdominales peuvent être les symptômes d'une colite débutante.

  • L'hypophysite sévère peut initialement se manifester par des maux de tête non spécifiques ; une détérioration soudaine de l'état général peut se produire.

  • Des problèmes respiratoires, tels que toux et dyspnée, peuvent être le signe d'une pneumonie débutante.

La plupart des effets indésirables sont réversibles s'ils sont détectés tôt et traités correctement. Il est également important que les médecins généralistes et les autres spécialistes non oncologues sachent que ces effets indésirables peuvent survenir des mois après la fin du traitement. L’approche des effets indésirables liés au système immunitaire dépend de l'organe touché et du degré de toxicité. Il nécessite une expérience et des compétences spécifiques6, 7. Par exemple, il peut être nécessaire d'interrompre temporairement l'immunothérapie et de démarrer des corticostéroïdes. La reconnaissance précoce des effets indésirables liés au système immunitaire est essentielle pour éviter une issue fatale ou une morbidité permanente. La vigilance et l'orientation rapide sont primordiaux.

Sources spécifiques

https://www.allesoverkanker.be/immunotherapie
2 Le prix Nobel de médecine 2018 https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/2018/summary/
3 Tang J, Yu JX, Hubbard-Lucey VM, et al. Trial watch: the clinical trial landscape for PD1/PDL1 immune checkpoint inhibitors. Nat Rev Drug Discov 2018;17(12):854-855. doi: 10.1038/nrd.2018.210.
4 Gong J, Chehrazi-Raffle A, Reddi S, et al. Development of PD-1 and PD-L1 inhibitors as a form of cancer immunotherapy: a comprehensive review of registration trials and future considerations. J Immunother Cancer 2018;6(1):8. doi: 10.1186/s40425-018-0316-z.
5 Johnson DB, Chandra S, Sosman JA. Immune checkpoint inhibitor toxicity in 2018. JAMA 2018;320(16):1702-1703. doi: 10.1001/jama.2018.13995.
6 Guide des patients ESMO pour les effets secondaires de l’immunothérapie. https://www.esmo.org/content/download/138227/2546564/file/FR-Guide-pour-les-Patients-les-Effets-Secondaires-Lies-a-l-Immunotherapie.pdf
7 Haanen JBAG, Carbonnel F, Robert C, et al. Management of toxicities from immunotherapy: ESMO clinical practice guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol. 2017;28(suppl_4):iv119-iv142. doi: 10.1093/annonc/mdx225