Mise à jour 5 juin 2020

L’une des grandes études observationnelles sur l’utilisation des IECA et des sartans et l’évolution du COVID-19, que nous avons abordées dans notre « Bon à savoir » du 12 mai 2020 (voir ci-dessous), est retirée (voir message du 4 juin sur le site web du NEJM ). Les chercheurs chargés de réaliser un peer reviewing indépendant de l’étude et de la base de données sur laquelle l’étude est basée (Surgisphere) signalent qu’ils n’ont pas obtenu les données nécessaires, et qu’une révision par les pairs n’est donc pas possible. La véracité de l’étude ne peut plus être garantie.
Cela ne change rien aux conclusions de notre communiqué du 12 mai 2020, étant donné que les deux autres grandes études observationnelles sur l’utilisation des IECA et des sartans et l’évolution du COVID-19 ne s’appuient pas sur cette base de données et restent donc valables. Ainsi, il n’existe toujours pas de preuves issues de grandes études venant étayer l’effet négatif supposé des inhibiteurs du SRAA sur l’évolution du COVID-19 et il n’y a aucune raison d’interrompre le traitement par IECA ou sartans chez les patients atteints (ou suspectés d’être atteints) du COVID-19.
The Lancet retire également une grande étude sur la chloroquine et l’hydroxychloroquine, basée sur cette même base de données (voir message du 4 juin sur le site Web du Lancet ). Nous avons abordé cette étude dans notre communiqué « Bon à savoir » du 26 mai 2020, avec mise à jour le 28 mai 2020. Nous adaptons également ces communiqués. Le retrait de ces deux articles doit nous rendre vigilants quant au risque de perte de qualité lié à l’accélération du peer reviewing et à la publication d’articles sous la pression du temps,
en cette période de pandémie de coronavirus, même dans les grandes revues médicales.
 

Notre communiqué « Bon à savoir » du 12 mai 2020 :

Il y a beaucoup d’incertitude sur la relation entre les inhibiteurs du SRAA et l’évolution du COVID-19. Quelques chercheurs ont avancé, le 11 mars 2020 dans The Lancet Respiratory, que l’utilisation d’IECA et de sartans pourrait expliquer le grand nombre de patients souffrant d’hypertension et/ou de diabète parmi les patients ayant connu ou étant décédés d’une forme grave de COVID-191. Le mécanisme sous-jacent présumé est une augmentation de l’expression de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) due à l’inhibition du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA). L’ACE2 est le récepteur fonctionnel du SARS-CoV-2, le virus responsable de la pandémie actuelle de COVID-19. Étant donné que les ensembles de données sur lesquels ces chercheurs se sont appuyés ne contiennent aucune donnée sur l’utilisation d’IECA ou de sartans (mais seulement sur la prévalence de l’hypertension et du diabète, pathologies dans lesquelles ces médicaments sont fréquemment utilisés), on peut seulement parler d’une relation possible, mais pas d’une relation directe ou causale (voir notre communiqué Bon à savoir du 20 mars 2020, mis à jour le 31 mars 2020).
 
Le 30 mars 2020, le New England Journal of Medicine a publié un article qui approfondit l’interaction entre le COVID-19 et le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA)2. Les auteurs affirment qu’il n’existe pas suffisamment de données pour déterminer si l’utilisation d’inhibiteurs du SRAA in vivo entraîne une augmentation de l’expression de l’ACE2. Ils évoquent également une autre hypothèse faisant actuellement l’objet d’études : l’angiotensine II serait en partie responsable de l’apparition de lésions organiques suite au COVID-19. Les inhibiteurs du SRAA réduisent les concentrations d’angiotensine II et pourraient avoir ainsi un effet protecteur contre une évolution plus sévère du COVID-19. Des études sur les sartans, utilisés dans le traitement du COVID-19, sont en cours.
 
Entre-temps, les résultats sont publiés des premières études ayant évalué la relation entre l’utilisation d’inhibiteurs du SRAA et la gravité de l’évolution du COVID. Des résultats rassurants avaient déjà été rapportés dans des études observationnelles de plus petite taille3-5. Trois grandes études observationnelles viennent d’être publiées début mai dans le New England Journal of Medicine, dans lesquelles l’utilisation d’un inhibiteur du SRAA n’est associée à aucun effet négatif sur l’évolution du COVID-196-8. Selon l’éditorial se rapportant à ces études, il est rassurant de constater qu’aucune de ces 3 grandes études, menées auprès de populations différentes et avec des plans d’étude différents, ne trouve des arguments pour avancer que l’utilisation d’IECA ou de sartans serait néfaste chez les patients atteints du COVID-199. ‘une de ces études7 a entre-temps été retirée en raison d’incertitudes quant à la fiabilité des données de la source sur laquelle elle repose (voir le message du 4 juin sur le site Web du NEJM ). Cela ne change toutefois rien aux conclusions de cet éditorial, étant donné que les 2 autres études, qui ne s’appuient pas sur cette base de données, restent valables.  Idéalement, ces résultats devraient être confirmés par des études supplémentaires, prospectives et randomisées.

 
Ces données appuient les avis donnés notamment par Sciensano10 et l’Agence européenne des médicaments (EMA)11, de ne pas interrompre les traitements par IECA ou sartans chez les patients atteints du COVID-19 (voir notre communiqué Bon à savoir du 20 mars 2020, mis à jour le 31 mars 2020).

  • Dans une étude cas-témoins italienne, 6.272 patients COVID-19 confirmés ont été comparés à 30.759 habitants de la même région (Lombardie) non infectés par le COVID-196. Les cas et les témoins ont été appariés selon l’âge, le sexe et le lieu de résidence. Les données concernant les antécédents, les comorbidités et la prise de médicaments ont été rassemblées à partir de la base de données administrative du service sanitaire régional. Chez les cas, l’utilisation d’IECA et de sartans était significativement plus fréquente que chez les témoins. De nombreux autres médicaments cardio-vasculaires et antidiabétiques étaient également utilisés significativement plus souvent par les cas que par les témoins. La prévalence de comorbidités cardio-vasculaires et autres était effectivement plus élevée chez les cas, et leur profil clinique était moins bon que celui des témoins. Après correction, notamment pour ces pathologies sous-jacentes, aucune relation ne peut être démontrée entre l’utilisation d’IECA et de sartans d’une part, et le risque d’infection au COVID-19 (RC de 0,96 [IC à 95% 0,87 à 1,07] pour les IECA et RC de 0,95 [IC à 95% 0,86 à 1,05] pour les sartans) ou d’évolution grave du COVID-19 d’autre part (nécessité d’une ventilation mécanique ou décès) (OR de 0,91 [IC à 95% 0,69 à 1,21] pour les IECA et RC de 0,83 [IC à 95% 0,63 à 1,10] pour les sartans).

 

  • Cette étude a été retirée en raison d’incertitudes quant à la fiabilité des données de la source sur laquelle elle repose. Des chercheurs américains ont recueilli les données de 8.910 patients COVID-19 admis dans 169 hôpitaux en Asie, en Europe et en Amérique du Nord, et ont étudié la relation entre la prise de médicaments et la mortalité hospitalière7. 515 patients sont morts à l’hôpital. On a constaté que l’utilisation de sartans (RC de 1,23 [IC à 95% 0,87 à 1,74]) n’était pas associée à un risque plus élevé de décès à l’hôpital. Parmi les utilisateurs d’IECA, le taux de mortalité était même plus faible (RC de 0,33 [IC à 95% 0,20 à 0,54]), mais les auteurs signalent qu’aucune causalité ne peut être déduite de cette étude, du fait de sa conception observationnelle.
  • En revanche, dans cette étude, les facteurs suivants étaient bien associés à un risque significativement accru de décès à l’hôpital : âge avancé (≥ 65 ans), coronaropathie, insuffisance cardiaque, arythmie, BPCO et tabagisme.

 

  • Dans un grand groupe hospitalier, affilié à l’Université de New York, une étude a été menée auprès de 12.594 patients testés pour le COVID-198. 5.894 patients ont été testés positifs et 1.002 ont connu une évolution sévère (admission en soins intensifs, ventilation mécanique ou décès). Chaque patient testé positif a été apparié à un patient testé négatif, en tenant compte de l’âge, du sexe, de l’origine ethnique, de l’IMC, du tabagisme, des antécédents d’hypertension, d’infarctus du myocarde, d’insuffisance cardiaque, de diabète, d’insuffisance rénale chronique et de BPCO, et de l’utilisation d’autres classes de médicaments (appariement des coefficients de propension). Que ce soit parmi les patients hypertendus ou dans l’ensemble de la population étudiée, aucune relation n’a été constatée entre l’utilisation d’IECA et de sartans et la probabilité accrue d’un test positif. La prise de ces médicaments n’a pas non plus été associée à une augmentation du risque d’évolution vers une forme grave de COVID-19.

Références

1.  Fang L, Karakiulakis G, Roth M. Are patients with hypertension and diabetes mellitus at increased risk for COVID-19 infection? Lancet Respir Med. 2020;8:e21. doi: 10.1016/S2213-2600(20)30116-8

2.  Vaduganathan M, Vardeny O, Michel T, McMurray JJV, Pfeffer MA, Solomon SD. Renin-angiotensin-aldosterone system inhibitors in patients with Covid-19. N Engl J Med. 2020;382:1653-9. doi: 10.1056/NEJMsr2005760

3.  Li J, Wang X, Chen J, Zhang H, Deng A. Association of renin-angiotensin system inhibitors with severity or risk of death in patients with hypertension hospitalized for Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) indection in Wuhan, China. JAMA Cardiol. 2020 Apr 23 [Epub ahead of print]. doi: 10.1001/jamacardio.2020.1624

4.  Zhang P, Zhu L, Cai J, Lei F, Qin J et al. Association of inpatient use of angiotensin converting enzyme inhibitors and angiotensin II receptor blockers with mortality among patients with hypertension hospitalized with CVOVID-19. Circ Res. 2020 Apr 17 [Epub ahead of print]. doi: 10.1161/CIRCRESAHA.120.317134

5.  Bean MD, Kraljevic Z, Searle T, Bendayan R, Pickles A et al. Treatment with ACE-inhibtors is associated with less severe disease with SARS-Covid-19 infection in a multi site UK acute hospital trust. MedRxiv 2020 Apr 11 [preprint]. doi: 10.1101/2020.04.07.20056788

6.  Mancia G, Rea F, Ludergnani M, Apolone G, Corrao G. Renin-angiotensin-aldosterone system blockers and the risk of Covid-19. N Engl J Med. 2020 May 1 [Epub ahead of print]. doi: 10.1056/NEJMoa2006923

7.  Étude retirée. Mehra MR, Desai SS, Kuy S, Henry TD, Patel AN. Cardiovascular disease, drug therapy and mortality in Covid-19. N Engl J Med. 2020 May 1 [Epub ahead of print]. doi: 10.1056/NEJMoa2007621

8.  Reynolds HR, Adhikari S, Pulgarin C, Troxel AB, Iturrate E et al. Renin-angiotensin-aldosterone system inhibitors and risk of Covid-19. N Engl J Med. 2020 May 1 [Epub ahead of print]. doi: 10.1056/NEJMoa2008975

9.  Jarcho JA, Ingelfinger JR, Hamel MB, D’Agostino RB, Harrington DP. Inhibitors of the renin-angiotensin-aldosterone system and Covid-19. N Engl J Med. 2020 May 1 [Epub ahead of print]. doi: 10.1056/NEJMe2012924

10.  Sciensano. Interim clinical guidance for adults with suspected or confirmed COVID-19 in Belgium. Version 8, 6 May 2020. https://covid-19.sciensano.be/sites/default/files/Covid19/COVID-19_InterimGuidelines_Treatment_ENG.pdf

11.  European Medicines Agency. EMA advises continued use of medicines for hypertension, heaurt or kidney disease during COVID-19 pandemic. Press release 27/03/2020. https://www.ema.europa.eu/en/news/ema-advises-continued-use-medicines-hypertension-heart-kidney-disease-during-covid-19-pandemic