L’étude JUPITER sur l’emploi de la rosuvastatine en prévention primaire

[Déjà paru dans la rubrique " Bon à savoir " sur notre site Web le 21/11/08]


Abstract
L’étude JUPITER a évalué l’effet de la rosuvastatine en prévention primaire d’accidents cardio-vasculaires. Les principaux critères d’inclusion étaient: âge > 50 ans pour les hommes, > 60 ans pour les femmes, l’absence d’antécédents d’affections cardio-vasculaires, un taux de LDL cholestérol < 130 mg/dl (3,4 mmol/dl), un taux de " high sensitivity C-reactive protein " (hsCRP) ≥ à 0,2 mg/dl (2 mg/l). L’étude a été interrompue prématurément (après 1,9 ans au lieu de 4 ans): le risque d’accidents cardio-vasculaires avait diminué de 44% dans le groupe ayant reçu la rosuvastatine. Le bénéfice en chiffres absolus est limité: 120 patients devaient être traités pendant 1,9 ans pour prévenir un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ou un décès d’origine cardio-vasculaire supplémentaire. Ce bénéfice doit être mis en balance avec le coût élevé et les risques potentiels à long terme, encore peu connus, liés entre autres à des taux très faibles de LDL cholestérol. L’étude ne permet pas de déterminer dans quelle mesure c’est la baisse du LDL cholestérol ou celle du taux de hsCRP qui a contribué aux résultats. Selon deux éditoriaux se rapportant à l’étude, il est en tout cas trop tôt pour déterminer en routine le taux de hsCRP lors de l’évaluation du risque cardio-vasculaire, et l’étude JUPITER ne modifie pas pour le moment la politique en matière de prévention primaire des accidents cardio-vasculaires.

Le New England Journal of Medicine a publié les résultats de l’étude JUPITER, une étude randomisée, contrôlée par placebo en double aveugle, sur l’utilisation de la rosuvastatine (20 mg par jour, Crestor®) dans la prévention primaire des accidents cardio-vasculaires. [ N Engl J Med 2008; 359: 2195-2207 , avec un éditorial : 2280-2 ; un éditorial est également paru dans Brit Med J 2008; 337:a: 2576 ].

Les principaux critères d’inclusion étaient: un âge > 50 ans pour les hommes, > 60 ans pour les femmes, l’absence d’antécédents d’affections cardio-vasculaires, un taux de LDL cholestérol < 130 mg/dl (3,4 mmol/dl), un taux de " high sensitivity C-reactive protein " (hsCRP) ≥ à 0,2 mg/dl* (2,0 mg/l). Les patients diabétiques ou atteints d’une hypertension artérielle non contrôlée étaient entre autres exclus.

* En Belgique, les valeurs de CRP sont généralement exprimées en mg/dl, avec des valeurs normales comprises entre 0 et 1 mg/dl (correspondant à 0- 10 mg/l)

Le critère d’évaluation primaire combiné était la survenue d’un infarctus du myocarde, d’un accident vasculaire cérébral, d’une revascularisation artérielle, d’une hospitalisation pour angor instable, ou d’un décès d’origine cardio-vasculaire.

Environ 80% des patients qui ont été évalués pour participer à l’étude n’ont pas été inclus dans l’étude, principalement en raison d’un taux de LDL cholestérol trop élevé ou d’un taux de hsCRP non accru. L’étude JUPITER concerne donc une population sélective.

L’étude devait durer initialement 4 ans, mais elle a été interrompue prématurément (après une durée de traitement moyenne de 1,9 ans) en raison des effets favorables de la rosuvastatine sur le critère d’évaluation primaire.

  • L’incidence du critère d’évaluation primaire après 1,9 ans était de 142/8.901 (1,6 %) dans le groupe sous rosuvastatine versus 251/8.901 (2,8%) dans le groupe placebo.
  • Le risque relatif était de 0,56 [intervalle de confiance à 95 % de 0,46 à 0,69]; ceci signifie donc une diminution du risque de 44%.
  • Le Number Needed to Treat (NNT) était de 82, c.-à-d. que 82 patients devaient être traités pendant 1,9 ans par la rosuvastatine à la place d’un placebo pour prévenir un seul accident cardio-vasculaire supplémentaire.
  • Dans l’éditorial du New England Journal of Medicine , la " survenue d’un décès d’origine cardio-vasculaire, d’un infarctus du myocarde ou d’un accident vasculaire cérébral " est considérée comme un critère d’évaluation cardiaque "fort". Le NNT relatif à la survenue d’un critère d’évaluation cardiaque fort était de 120 (1,9 ans).

Le LDL cholestérol avait diminué dans le groupe sous rosuvastatine jusqu’à 55 mg/dl (1,4 mmol/l), et était resté stable dans le groupe placebo. Les taux de hsCRP avaient diminué jusqu’à 0,18 mg/dl (1,8 mg/l) dans le groupe sous rosuvastatine et jusqu’à 0,33 mg/dl (3,3 mg/l) dans le groupe placebo.


Quelques commentaires sur base entre autres des éditoriaux du New England Journal of Medicine et du British Medical Journal

  • L’étude JUPITER est la première étude dans laquelle un bénéfice a été démontré pour la rosuvastatine sur des critères d’évaluation cliniquement importants. En raison de l’interruption prématurée de l’étude, certaines informations sont toutefois perdues. Ainsi, on ne peut pas savoir p. ex. si l’effet bénéfique de la rosuvastatine se maintient à plus long terme.
  • Des études ont déjà été réalisées en prévention primaire avec d’autres statines (simvastatine, pravastatine, atorvastatine), fournissant des preuves d’un effet bénéfique sur la morbidité et parfois sur la mortalité cardio-vasculaire. Le bénéfice en chiffres absolus est plus faible en prévention primaire qu’en prévention secondaire (c.-à-d. chez des patients avec des antécédents d’affections cardio-vasculaires): un bien plus grand nombre de patients doivent être traités pour prévenir un seul accident cardio-vasculaire. Lors de la décision d’instaurer un traitement par une statine en prévention primaire, des facteurs tels que l’innocuité à long terme et le coût sont dès lors très importants.
  • Dans l’étude JUPITER, un taux accru de hsCRP était un critère d’inclusion important. Des études épidémiologiques ont montré un lien entre des taux de hsCRP accrus et des accidents cardio-vasculaires, mais cette relation n’est pas claire. La signification de l’effet des statines sur les taux de hsCRP (effet dit "pléiotropique") n’est pas encore complètement élucidée, et on ignore s’il s’agit d’un effet de classe. Il n’est pas clair non plus dans quelle mesure cet effet " pléiotropique " contribue à la diminution du risque d’accidents cardio-vasculaires. L’étude JUPITER n’apporte pas non plus de solution: l’étude ne permet pas en effet de déterminer dans quelle mesure c’était la diminution de la hsCRP ou celle du LDL cholestérol qui a contribué à une diminution du risque cardio-vasculaire. D’après les auteurs des éditoriaux, cette étude ne modifie donc pas la recommandation actuelle de ne mesurer les taux de hsCRP dans le cadre de l’évaluation du risque cardio-vasculaire que de manière sélective et exceptionnelle, et non en routine.
  • L’interruption prématurée de l’étude JUPITER limite fortement la possibilité d’obtenir des informations concernant l’innocuité à plus long terme. L’incidence d’un diabète " de novo " était plus élevée dans le groupe sous rosuvastatine que dans le groupe placebo; ceci est un signal qui doit inciter à la réalisation d’études ultérieures. Le lien potentiel entre des taux très bas de cholestérol et la survenue d’un cancer reste aussi controversé.
  • Nous avons calculé, sur base du Number Needed to Treat (120 pour 1,9 ans de traitement), quel serait le coût en Belgique pour prévenir un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ou un décès d’origine cardio-vasculaire supplémentaire par l’emploi de rosuvastatine (Crestor® conditionnement de 98 x 20 mg). Le coût pour un traitement pendant 1,9 ans de 120 patients s’élève à environ € 112.600 (environ € 940 par patient). Dans une population de patients comparable à celle des patients inclus dans l’étude JUPITER, un certain nombre de patients auront un profil de risque cardio-vasculaire suffisamment élevé pour obtenir un remboursement (catégorie b).
  • Une hygiène de vie saine est importante. Des mesures telles que l’arrêt du tabagisme, une activité physique suffisante, une alimentation pauvre en acides gras saturés et riche en fruits, légumes et poissons ainsi qu’une limitation de la consommation d’alcool, doivent toujours être encouragées en prévention des affections cardio-vasculaires, mais aussi en prévention d’autres affections telles que le diabète ou l’ostéoporose. L’arrêt du tabagisme par exemple entraîne une diminution du risque au moins aussi importante qu’un traitement par des statines. L’instauration d’un traitement médicamenteux, par ex. par des statines, ne doit pas faire oublier ces mesures importantes.