Les médicaments à base de plantes: quelques explications

Les Folia d' octobre 2010 annonçaient la commercialisation en Belgique d’une préparation à base d’extraits de Pelargonium sidoides (géranium du Cap, nom de spécialité: Kaloban®). L’indication reprise dans le " Résumé des Caractéristiques du Produit " (RCP, anciennement la notice scientifique) est la suivante: " Rhume. Cette indication est fondée uniquement sur l’usage traditionnel de ce médicament à base de plantes. "

On mentionnait dans les Folia que " ce médicament a été enregistré selon la procédure simplifiée liée à l’usage traditionnel de certaines plantes. Il n’existe pas de preuves quant à l’efficacité ou l’innocuité de cette préparation. " Il s’agit de notre formulation standard pour les médicaments enregistrés sur base de l’usage traditionnel.

Un lecteur a attiré notre attention sur les procédures européennes concernant les préparations à base de plantes, et remettait en question notre formulation. La plante précitée fait actuellement l’objet d’une évaluation européenne par l’ European Medicines Agency (EMA). Suite à cette discussion, il nous a semblé important de fournir quelques éclaircissements au sujet de la réglementation européenne actuelle et de son application dans le contexte belge, ainsi que sur le point de vue du CBIP.


La procédure européenne

Depuis 2004, le Herbal Medicinal Product Committee européen, l’une des commissions de l’EMA, travaille à la réalisation de monographies sur les plantes. Le cadre réglementaire se retrouve dans la Directive 2001/83/EC, complétée par les Directives 2002/98/EC, 2004/23/EC, 2004/24/EC et 2004/27/EC. L’objectif est d’harmoniser l’enregistrement des médicaments à base de plantes en Europe. Une telle monographie est en fait une sorte de RCP/notice, soutenue par un rapport scientifique ou assessment report reprenant une liste de références bibliographiques. Avant d’être approuvés, les textes de la monographie sont soumis aux parties concernées (interested parties), dont la Commission européenne de Pharmacopée, l’ Association of the European Self-medication Industry (AESGP) et l’ European Scientific Cooperative on Phytotherapy (ESCOP). Les documents peuvent être consultés librement sur le site Web de l’EMA: www.ema.europa.eu/ema/index.jsp?curl=pages/medicines/landing/herbal_search.jsp&murl=menus/medicines/medicines.jsp∣=WC0b01ac058001fa1d

L’évaluation des plantes (ou herbal substances) qui entrent en ligne de compte comme médicaments (ou herbal medicinal products) se penche sur leur qualité, innocuité et efficacité.

La qualité de la préparation doit être bien décrite en ce qui concerne les parties de la plante, séchées ou fraîches, utilisées. On vérifie également la façon dont ces parties de plante ont été traitées, par exemple si elles ont été pulvérisées ou réduites en poudre après le séchage, ou extraites dans un solvant (eau, solvants organiques ou mélanges des deux). Lorsque la plante ou la préparation en question a été bien décrite dans la Pharmacopée européenne (EP) quant à sa qualité, cela deviendra la référence qualitative. Les normes de qualité de l’EP sont également utilisées pour déterminer la durée de conservation. Lorsqu’il n’est pas (encore) possible de renvoyer à l’EP, des pharmacopées nationales ou, à défaut, des monographies rédigées par le fabricant, peuvent être utilisées comme référence.

En ce qui concerne l’innocuité du produit, on doit disposer de suffisamment de données de pharmacovigilance. Pour le well established use , les principes actifs doivent être disponibles comme médicament enregistré depuis au moins 10 ans dans au moins un pays de l’Union européenne. L' innocuité doit être étayée par des données bibliographiques. Pour le traditional use , le produit doit être disponible (pas nécessairement comme médicament enregistré) pour un usage médical depuis au moins 30 ans (dont au moins 15 ans dans au moins un pays de l' Union européenne). La réglementation européenne estime donc que, pour le tradional use , un usage suffisamment long sans rapports de toxicité est un gage d' innocuité. Lorsque les données de pharmacovigilance sont favorables, une monographie peut être rédigée. On y mentionne les données disponibles au sujet de la génotoxicité et de la reprotoxicité. Si les études de génotoxicité publiées sont négatives, les préparations de la monographie sont automatiquement reprises dans une liste de médicaments traditionnels à base de plantes, qui ne peuvent plus être refusés par les états membres sur base de leur profil d' innocuité. Ceci signifie que la monographie ne traite que de l’innocuité et de la qualité des produits à base de plantes.

L’évaluation de l’efficacité consiste à évaluer la valeur des études cliniques disponibles.

  • S’il existe des études contrôlées publiée qui confirment l’efficacité et l’innocuité, on conclut qu’il s’agit d’un well established use dans les indications étayées par les études.
  • Si les preuves cliniques dont on dispose sont insuffisantes ou inexistantes, on parle de traditional use : les indications proposées se limitent alors aux symptômes que le patient peut traiter sans trop de risques; il n’y a donc pas d’indications spécifiques (tableau clinique ou facteurs de risque). Voir par exemple la spécialité à base de Pelargonium sidoides (voir plus haut).Ces médicaments à usage traditionnel ne répondent donc pas aux principes de la médecine basée sur les preuves (Evidence Based Medicine ou EBM), et l’accent est mis sur la qualité et l’innocuité

Que ce soit pour le well established use ou le traditional use , les fabricants procèdent selon les bonnes pratiques de fabrication (Good Manufacturing Practices ou GMP). Ils doivent en outre soumettre un système officiel de pharmacovigilance. Il faut signaler qu' une entreprise peut également faire la demande d' une procédure d' enregistrement classique.


Médicaments versus suppléments alimentaires

La réglementation européenne concernant les médicaments à base de plantes se distingue de la réglementation pour les suppléments alimentaires à base de plantes.

  • (1) Les suppléments alimentaires ne peuvent pas proposer d’indications thérapeutiques mais peuvent toutefois porter des "allégations de santé" ou health claims. Exemple: pour les suppléments à base de millepertuis (Hypericum perforatum), l’allégation est par exemple la suivante: "pour améliorer l' humeur". De telles allégations de santé sont aujourd’hui examinées par l’EFSA (European Food Safety Authority) pour en évaluer la valeur scientifique. Cette organisation devra se prononcer dans le courant de l’année 2011 sur les centaines de demandes d’allégations de santé qui ont été introduites.
  • (2) Les suppléments alimentaires ne doivent pas répondre aux mêmes normes de qualité que les médicaments. La publicité pour les suppléments alimentaires n’est pas soumise à la réglementation appliquée aux médicaments en vente libre.
  • (3) Les médicaments se distinguent par la notice, rédigée selon un schéma standard.
  • (4) Pour les suppléments alimentaires, il n’y a pas de système de pharmacovigilance spécifique.

Ces arguments sont souvent avancés en pharmacie ou dans la pratique médicale pour préférer l’usage de médicaments enregistrés plutôt que de suppléments alimentaires, lorsqu’il est possible de faire un choix pour une plante spécifique.


La situation en Belgique

Les médicaments à base de plantes relèvent de la compétence de l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS). La réglementation européenne a été transposée en Belgique dans l’Arrêté Royal du 14 décembre 2006. Dans les pharmacies belges, on trouve également, outre les médicaments à base de plantes, des suppléments alimentaires. Les drogueries et les grandes surfaces ne vendent pas de médicaments. Pour le patient, la distinction est parfois difficile à faire, et même de nombreux médecins ne s’y retrouvent pas facilement (ainsi, certaines préparations à base de millepertuis sont enregistrées comme médicaments, d’autres sont disponibles comme suppléments alimentaires). Le Répertoire du CBIP ne reprend que les médicaments commercialisés.


Point de vue du CBIP

Le CBIP n’a pas d’approche spécifique en ce qui concerne l' évaluation des médicaments à base de plantes. Tout médicament, quelle que soit sa nature, doit être évalué quant à son efficacité, son innocuité, sa qualité, la facilité d’emploi et le prix. Dans le cas de nouveaux médicaments, le profil d’innocuité étant souvent encore en grande partie inconnu, on recommande généralement la prudence. Pour ce qui est des médicaments à base de plantes, l’EMA a jugé que, dans le cadre de l’usage traditionnel, après 30 ans d’utilisation, l’innocuité a été suffisamment prouvée, sauf si des rapports négatifs sont ressortis de la pharmacovigilance ou des tests de mutagénicité. Selon ce point de vue, on considère que la pharmacovigilance basée sur les rapports spontanés d’effets indésirables donne une estimation fiable de l’innocuité des médicaments; vu ses limites, un tel système ne suffit toutefois pas à prouver l’innocuité d’un médicament. Dans ce contexte, notre formulation standard concernant les médicaments enregistrés sur base d’un usage traditionnel devrait être plutôt " L’efficacité de cette préparation n’a pas été prouvée. On suppose qu’elle est inoffensive mais son innocuité n’a pas été activement étudiée."