Thromboprophylaxie et traitement de la thromboembolie veineuse chez les patients atteints d’un cancer

Sur la base d’études de 2018 et 2019, les anticoagulants oraux directs (AOD) sont avancés comme alternative possible aux héparines de bas poids moléculaire (HBPM) chez les patients atteints d’un cancer, autant dans la prophylaxie que dans le traitement de la thromboembolie veineuse. La population des patients atteints de cancer est toutefois très hétérogène.
Avant de procéder à une thromboprophylaxie de routine (avec ou sans AOD), il faut d’abord élucider la question de savoir quels groupes de patients présentent le risque le plus élevé de thromboembolie et bénéficieraient donc le plus d'une thromboprophylaxie. Dans le cas d’une thromboembolie veineuse, il est préférable de déterminer individuellement le traitement optimal et les HBPM demeurent le premier choix pour les patients cancéreux présentant un risque élevé d’hémorragie.

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Thromboprophylaxie chez les patients atteints d’un cancer

Les patients atteints d’un cancer présentent un risque accru de thromboembolie veineuse. Dans quelques études, la prophylaxie par héparines de bas poids moléculaire (HBPM) s’avère supérieure au placebo chez des patients ambulatoires, sans effet sur la mortalité. L’incidence de thromboembolie veineuse étant plutôt faible et le bénéfice minime, la plupart des guides de pratique clinique ne conseillent pas une prophylaxie de routine1. Deux études randomisées, publiées début 2019, ont évalué l’efficacité des anticoagulants oraux directs (AOD) par rapport au placébo dans la thromboprophylaxie chez des patients cancéreux ambulatoires présentant un risque accru de thrombose (évalué à l’aide du score de Khorana)2,3. Dans une étude, l’apixaban diminuait significativement l’incidence des thromboembolies veineuses symptomatiques, par rapport au placebo (réduction absolue de risque: 6%, NNT: 17), mais au prix d’une augmentation du nombre d’hémorragies majeures (augmentation absolue de risque: 1,7%, NNH: 59)2. Dans l’autre étude, le rivaroxaban était seulement associé à une incidence significativement moins élevée de thromboembolies veineuses symptomatiques et asymptomatiques par rapport au placebo tant que durait le traitement (en moyenne 4,3 mois), mais il ne l’était plus à la fin de la période de suivi de 6 mois, et ce sans augmentation significative du nombre d’hémorragies3. Aucune des deux études ne montrait un bénéfice en termes de mortalité.
Selon les éditorialistes, il faut d’abord élucider la question de savoir quels patients cancéreux présentent le risque le plus élevé de thromboembolie et bénéficieraient donc le plus d'une thromboprophylaxie, avant de procéder à une thromboprophylaxie de routine (avec des HBPM ou des AOD; on ne dispose pas de comparaisons directes) chez les patients cancéreux ambulatoires4,5. Le CBIP partage cet avis.

Traitement de la thromboembolie veineuse chez les patients atteints d’un cancer

Pour le traitement des thromboembolies veineuses chez les patients atteints de cancer, les HBPM sont à privilégier. En comparaison avec les antagonistes de la vitamine K, elles diminuent le risque de récidive, sans effet avéré sur la mortalité6,7,8. Selon une Cochrane Review, les AOD ne s’avèrent pas plus efficaces (récidive, mortalité) ni plus sûrs (hémorragies) que les antagonistes de la vitamine K dans cette indication8. Deux études randomisées de 2018 constatent toutefois que les AOD rivaroxaban et édoxaban diminuent pourtant le risque de récidive par rapport aux HBPM, mais au prix de davantage d’hémorragies9. Les éditorialistes rappellent que la population de patients cancéreux est très hétérogène (localisation, stade et traitement de la tumeur) et qu’il est donc préférable de définir le traitement optimal en fonction de l’individu. Pour les patients cancéreux présentant un risque hémorragique élevé (par exemple en cas de cancer gastro-intestinal notamment), les HBPM restent certainement le premier choix6,10.

Sources spécifiques

1 Agnelli G. Direct oral anticoagulants for thromboprophylaxis in ambulatory patients with cancer. N Engl J Med 2019; 380:781-3. doi: 10.1056/NEJMe1816060
2 Carrier M, Abou-Nassar K, Mallick R, Tagalakis V, Shivakumar S et al. Apixaban to prevent venous thromboembolism in patients with cancer. N Engl J Med 2019;380:711-9. doi: 10.1056/NEJMoa1814468
3 Khorana AA, Soff GA, Kakkar AK, Vadhan-Raj S, Riess H et al. Rivaroxaban for thromboprophylaxis in high-risk ambulatory patients with cancer.  N Engl J Med 2019; 380:720-8. doi: 10.1056/NEJMoa1814630
4 Chouinard E. In patients with cancer who were starting chmotherapy, apixaban reduced VTE and increased major bleeding at 180 d. Ann Intern Med 2019; 170:JC29. doi: 10.7326/ACPJ201903190-029
5 Cervi A, Douketis J. In high-risk patients with cancer, thromboprophylaxis with rivaroxaban did not reduce VTE events at 180 days.  Ann Intern Med 2019; 170:JC67. doi: 10.7326/ACPJ201906180-06
6 2019 ESC guidelines for the diagnosis and management of acute pulmonary embolism developed in collaboration with the European Respiratory Society (ERS). Eur Heart J 2019 Epub ahead of print. doi: 10.1093/eurheartj/ehz405

7 Antithrombotic therapy for VTE disease: CHEST guideline and expert panel report. Chest 2016; 149:315-52. doi: 10.1016/j.chest.2015.11.026
8 Kahale LA, Hakoum MB, Tsolakian IG, Alturki F, Matar CF et al. Anticoagulation for the long-term treatment of venous thromboembolism in people with cancer. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 6. Art. No.: CD006650. doi: 10.1002/14651858.CD006650.pub5
9 Rossel A, Robert-Ebadi H, Combesucre C, Grosgurin O, Stirnemann J et al. Anticoagulant therapy for acute venous thrombo-embolism in cancer patients: a systematic review and network meta-analysis.  PLoS One 2019; 14:e0213940. doi: 10.1371/journal.pone.0213940
2 Al-Samkari H. Optimal anticoagulant treatment of cancer-associated venous thromboembolism remains unclear. BMJ Evid Based Med 2019; 24:115-6. doi: 10.1136/bmjebm-2018-111096