Réaction de la Société Belge de la Ménopause à l’article "Traitement hormonal de substitution et risque accru de cancer du sein invasif" paru dans les Folia de novembre 2019

Dans les Folia de novembre 2019, nous abordons une méta-analyse, parue dans The Lancet, concernant le risque de cancer du sein chez les femmes sous traitement hormonal de substitution (THS).

Dans un courrier adressé à la rédaction du CBIP (voir sous "plus d’infos"), la Société Belge de la Ménopause (SBM) a exprimé un certain nombre d'objections et de réflexions critiques.

Courrier de lecteur que nous avons reçu de la Société Belge de la Ménopause

"A l’attention des éditeurs.
  • Nous avons pris connaissance du Folia de novembre à propos du traitement hormonal de la ménopause (THM). Le CBIP ne rapporte que les résultats et conclusions d’une méta-analyse dernièrement parue dans le Lancet (1). Cet article est essentiellement basé sur la Million Women Study publiée en 2003 (2).
  • Toutefois, pour des raisons qui n’apparaissent pas clairement, certaines études qui rapportent une absence de risque, ou des risques faibles pour certains schémas de traitements, n’ont pas été sélectionnées dans cette méta-analyse (3-6). Ainsi, par exemple, trois études ont rapporté un risque plus faible sous THM, donc un effet protecteur : l’étude randomisée WHI comparant les estrogènes seuls à un placebo (3), une étude danoise randomisée prospective (4), ainsi que l’étude observationnelle WHI comparant les œstrogènes seuls à un groupe contrôle (5). Par ailleurs, plusieurs études observationnelles, dont l’étude E3N, rapportant que certains schémas ont une innocuité plus faible sans risque résiduel après l’arrêt du THM (notamment les schémas utilisant les estrogènes seuls ou des combinaisons œstro-progestatives utilisant la progestérone micronisée ou la dydrogestérone) n’ont également pas été sélectionnées (6, 7). D’autres études rapportent aussi une diminution de risque de cancer du sein utilisant la tibolone (8), ou une absence d’augmentation de risque utilisant une combinaison d’estrogènes équins et de bazédoxifène (9). De fait, cette récente méta-analyse a fait l’objet de nombreuses critiques dont celles des sociétés scientifiques: International Menopause Society, European Menopause and Andropause Society, North American Menopause Society ainsi que Groupe (Français) d’Etude sur la Ménopause et le Vieillissement hormonal (10-12). Enfin, les risques rapportés par cette méta-analyse surestiment fortement les risques attribuables rapportés par de nombreuses autres études, dont notamment les études WHI randomisées. Ces dernières évaluent le risque attribuable au traitement œstro-progestatif utilisant comme progestatif de la médroxyprogestérone, à trois patientes en excès pour cinq mille femmes années âgées de 50 à 60 ans (l’âge auquel le THM est habituellement prescrit). Sous estrogènes seuls au contraire, ce risque serait de -2,5 dans le groupe traité (13), c'est-à-dire que les œstrogènes seuls amèneraient une réduction de 2,5 cas de cancer du sein. Nous partageons toutefois les conclusions générales du CBIP: c’est à dire que la prescription du THM, au cours d'une concertation avec la patiente, doit être évaluée en fonction des indications (présence de plaintes modérées à sévères de ménopause ou haut risque de fracture ostéoporotique), des contre-indications (e.a. thrombophilie ou risque thromboembolique élevé, antécédents coronariens, d’AVC, de cancer du sein), et de la balance risque-bénéfice. A l’heure actuelle, les risques attribuables estimés dans les études WHI sont ceux qui béneficient du plus haut degré d’évidence, car issus d’études randomisées contrôlées (13). Ce sont ces risques qui doivent être expliqués aux patientes. En outre, ce sont les schémas de traitements associés aux risques les plus faibles qui doivent être favorisés (c’est-à-dire la prescription d'œstrogènes seuls pour les patientes hystérectomisées et, pour les autres patientes, des associations œstro-progestatives utilisant un progestatif tel que la progestérone ou la dydrogestérone, la tibolone ou encore l’association estrogène-bazédoxifène).
    Le Conseil d’administration de la Société Belge de la ménopause: Ameryckx Linda, Depypere Herman, Firquet Anne, Hendrickx Mieke, Leclercq Vincent, L’hermite Marc, Markowicz Eveline, Marième Sy , Pintiaux Axelle et Rozenberg Serge."
Références:
1. Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Type and timing of menopausal hormone therapy and breast cancer risk: individual participant meta-analysis of the worldwide epidemiological evidence. Lancet 2019; published online Aug 29. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(19)31709-X.
2. Beral VMillion Women Study Collaborators. Breast cancer and hormone-replacement therapy in the Million Women Study. Lancet. 2003 Aug 9;362(9382):419-27.
3. LaCroix  AZ Chlebowski RT, Manson JE, Aragaki AK, Johnson KC, Martin L, Margolis KL, Stefanick ML, Brzyski R, Curb JD, Howard BV, Lewis CE, Wactawski-Wende J; WHI Investigators. Health outcomes after stopping conjugated equine estrogens among postmenopausal women with prior hysterectomy: A randomized controlled trial. JAMA. 2011;305(13):1305–1314.
4. Schierbeck LL, Rejnmark L, Tofteng CL, Stilgren L, Eiken P, Mosekilde L, Køber L, Jensen JE.Effect of hormone replacement therapy on cardiovascular events in recently postmenopausal women: randomised trial.BMJ. 2012 Oct 9;345:e6409. doi: 10.1136/bmj.e6409.
5. Shufelt C1, Bairey Merz CN1, Pettinger MB2, Choi L3, Chlebowski R4, Crandall CJ5, Liu S6, Lane D7, Prentice R2, Manson JE8; Womenʼs Health Initiative Investigators. Estrogen-alone therapy and invasive breast cancer incidence by dose, formulation, and route of delivery: findings from the WHI observational study. Menopause. 2018 Sep;25(9):985-991. doi: 10.1097/GME.0000000000001115.
6. Cadeau C, Fournier A, Mesrine S, Clavel-Chapelon F, Fagherazzi G, Boutron-Ruault MC Postmenopausal breast cancer risk and interactions between body mass index, menopausal hormone therapy use, and vitamin D supplementation: Evidence from the E3N cohort. Int J Cancer. 2016 Nov 15;139(10):2193-200. doi: 10.1002/ijc.30282. Epub 2016 Jul 30.
7. Gompel A1, Plu-Bureau G1.Progesterone, progestins and the breast in menopause treatment. Climacteric. 2018 Aug;21(4):326-332. doi: 10.1080/13697137.2018.1476483. Epub 2018 Jun 1.
8. Cummings SR1Ettinger BDelmas PDKenemans PStathopoulos VVerweij PMol-Arts MKloosterboer LMosca LChristiansen CBilezikian JKerzberg EMJohnson SZanchetta JGrobbee DESeifert WEastell RLIFT Trial Investigators. The effects of tibolone in older postmenopausal women. N Engl J Med. 2008 Aug 14;359(7):697-708. doi: 10.1056/NEJMoa0800743.
9. Mirkin S1Pinkerton JV2Kagan R3,4Thompson JR5Pan K1Pickar JH6Komm BS1Archer DF7. Gynecologic Safety of Conjugated Estrogens Plus Bazedoxifene: Pooled Analysis of Five Phase 3 Trials. J Womens Health (Larchmt). 2016 May;25(5):431-42. doi: 10.1089/jwh.2015.5351. Epub 2016 Apr 8.
10. Davis SR. Menopausal hormone therapy: is there cause for concern? Lancet Diabetes Endocrinol. 2019 Nov;7(11):825-827. doi: 10.1016/S2213-8587(19)30317-1.
9.https://www.imsociety.org/manage/images/pdf/5054afeb9b1bc763032333443f1c0bed.pdf.
11. https://www.menopause.org/docs/default-source/default-document-library/2019-08-30-lancet-article-on-timing-of-ht-and-breast-cancer.pdf
12. http://www.cngof.fr/actualites/668-gemvi-cngof-thm-2
13. 8 Manson JE, Kaunitz AM. Menopause Management--Getting Clinical Care Back on Track.N Engl J Med. 2016 Mar 3;374(9):803-6. doi: 10.1056/NEJMp1514242. No abstract available.

Voici les principaux points de discussion.

  • Dans cette méta-analyse, les résultats de la Million Women Study, une très vaste étude observationnelle, pèsent très lourd.

  • Dans la méta-analyse, les résultats des études randomisées telles que la Women's Health Initiative (WHI) avec des estrogènes seuls, et les études avec la tibolone, ne pèsent pas suffisamment dans l’ensemble des études incluses ; par ailleurs, un certain nombre d'études observationnelles qui n’ont montré aucune augmentation du risque de cancer du sein, ne sont pas incluses.

  • Les produits THS utilisés dans les études incluses ne sont plus ceux qui sont utilisés aujourd'hui en Belgique dans le cadre du THS.

  • Globalement, le souci de la SBM est que la lecture de notre publication dissuade les femmes susceptibles de retirer un bénéfice réel d’un THS, et que leur qualité de vie s’en trouve donc limitée.

La SBM partage toutefois notre avis selon lequel le THS doit être prescrit selon l'indication (présence de symptômes ménopausiques modérés à sévères) et en concertation avec la patiente.
La rédaction du CBIP a sélectionné cette méta-analyse parce qu'elle rejoint une préoccupation réelle du grand public et du monde médical. Le fait que la méta-analyse ait été publiée dans une revue de premier ordre et par un groupe ayant une grande expertise sans conflits d'intérêts connus, nous a soutenu dans cette démarche.

L'objectif de la méta-analyse était principalement d'essayer d'objectiver les effets à long terme du THS, c'est-à-dire les effets liés à un traitement sur plusieurs années, mais aussi les effets dans les années suivant l'arrêt du THS (évaluation du risque sur une période de 20 ans). Pour ce faire, les études randomisées ne sont pas les plus adéquates. Les études randomisées fournissent les meilleures preuves en matière d’efficacité, mais leurs principales faiblesses sont leur durée relativement courte, la population de patients souvent sélectionnée et le nombre limité de patients. Pour évaluer les effets indésirables à long terme, les effets indésirables rares et l'utilisation dans des conditions réelles, on a recours à des études observationnelles telles que la Million Women Study. Les études de suivi d’études randomisées (les patients de l'étude WHI ont ainsi encore fait l’objet d’un suivi après la fin de l'étude) doivent également être considérées comme des études observationnelles, et n'ont pas reçu plus de poids dans la méta-analyse, en toute logique. Les études observationnelles présentent évidemment des faiblesses potentielles spécifiques (risque de biais et de facteurs de confusion). Il peut donc être intéressant de regrouper plusieurs études dans une méta-analyse afin de voir si les différentes études émettent des signaux similaires.

Comme nous l'indiquions dans notre article de Folia, la méta-analyse donne deux messages importants, l'un positif et l'autre moins. Le message positif est que l'utilisation d’estrogènes par voie vaginale n’a été associée à aucun signal de risque accru de cancer. De même, un THS (oral ou transdermique) à court terme n'entraîne pas de risque accru de cancer. Le message moins positif est qu’un THS (oral ou transdermique) à long terme, surtout lorsqu'il dure 5 ans ou plus, entraîne une légère augmentation des cas de cancer du sein invasif. Les chiffres sont mentionnés dans notre article et peuvent être discutés avec la patiente.

Le message de notre article de Folia ne consiste pas à dire que le THS doit être évité dans tous les cas: le THS reste la prise en charge la plus efficace des symptômes de la ménopause lorsqu'ils perturbent la qualité de vie. Une réévaluation régulière des symptômes et du rapport bénéfice/risque s’impose. Un THS à long terme (pendant 5 à 10 ans) chez certains groupes à risque, à d'autres fins, par exemple en prévention de l'ostéoporose, est d'un tout autre ordre. Ce type de traitement à long terme doit, tout particulièrement, faire l’objet d’une évaluation rigoureuse des bénéfices potentiels par rapport aux risques potentiels, en concertation avec la patiente.