Les anticoagulants oraux directs (AOD) sont de plus en plus utilisés dans la fibrillation auriculaire (FA), un trouble qui se manifeste surtout chez les personnes âgées. Dès l'introduction des AOD, on a craint que les risques d'effets indésirables et d'interactions ne soient plus élevés dans la réalité que dans le contexte des RCT, qui observent un suivi beaucoup plus strict et concernent une sélection de patients plus jeunes et/ou ayant un mode de vie plus sain ou moins de comorbidités.
Après avoir évalué de manière approfondie une grande étude observationnelle incluant des données en conditions réelles, l'Agence européenne des médicaments (EMA) conclut que l'utilisation des AOD dans des conditions réelles n’est pas associée à un risque hémorragique supplémentaire et qu’il n’est donc pas nécessaire de modifier les conditions d’utilisation de l'apixaban, du dabigatran et du rivaroxaban chez les patients atteints de fibrillation auriculaire1. Cette étude, menée à l’initiative de l'EMA, rassemble les données de plusieurs grandes bases de données-patients de 6 pays européens. On ne dispose pas de données concernant l’édoxaban, l’AOD le plus récemment commercialisé. L'incidence des hémorragies sévères chez les utilisateurs d’AOD était comparable à celle observée dans les grandes études randomisées qui appuient l'utilisation des AOD dans la FA.
Selon les premiers résultats de l’étude (l'étude n'a pas encore été publiée dans une revue examinée par des pairs), le risque hémorragique était plus faible avec l'apixaban qu'avec le dabigatran ou le rivaroxaban2. L’EMA déclare toutefois que les données de cette étude ne permettent pas de tirer des conclusions solides concernant une différence en termes de risque hémorragique entre ces 3 AOD (comparaisons indirectes, données observationnelles). Chez un nombre important de patients, il semble que la prescription des AOD n’ait pas suffisamment tenu compte des contre-indications, des précautions particulières et des interactions potentielles2. On a toutefois constaté des variations importantes à ce sujet dans les différentes bases de données et l'EMA estime donc qu’il n’y a pas suffisamment de données solides pour prouver que les conditions d’utilisation mentionnées dans le RCP n’étaient pas suffisamment respectées. L'EMA demande toutefois aux fabricants des AOD de mener des études supplémentaires sur le risque hémorragique accru chez les personnes âgées (patients > 75 ans) et d'examiner si d’autres ajustements de la posologie recommandée doivent être prévus chez ces patients.
La dose de chaque AOD doit être ajustée selon la fonction rénale, mais parfois aussi selon le poids et/ou l'âge et/ou les traitements concomitants. Une étude néerlandaise, publiée à la fin de l'année 2019, attire à nouveau l’attention sur le problème des erreurs de dosage lors de la prescription des AOD3. Cette étude observationnelle rétrospective, menée auprès de 3.231 patients atteints de fibrillation auriculaire chez lesquels un traitement par AOD avait été initié, a vérifié si des erreurs avaient été faites lors de la prescription des AOD.
Dans 10,7 % des cas, la prescription de l’AOD ne s’avérait pas correcte. La majorité des cas concernaient des erreurs de réduction ou d’absence de réduction de la dose. En outre, chez 14,1% des patients, les données disponibles étaient insuffisantes pour vérifier si l’AOD avait été prescrit correctement.
Sur l’ensemble des patients, 5,4% patients se sont vu prescrire à tort une dose réduite (sous-dosage et donc risque de diminution de l'efficacité). 4,5% de tous les patients ont reçu à tort la dose complète d’AOD, alors qu'une réduction de la dose était recommandée (surdosage et donc risque hémorragique accru).
Nous avions déjà souligné le problème des mauvais ajustements de dose dans les Folia de décembre 2017, suite à une étude américaine qui avait surtout signalé le danger de surdosage chez les patients présentant une fonction rénale altérée. Dans l’étude néerlandaise abordée ici, seuls 10 % des patients présentaient une altération de la fonction rénale, ce qui explique probablement pourquoi, dans cette étude, le sous-dosage constituait un problème au moins aussi important.
Le KCE avait également déjà signalé qu'en Belgique, 43% des patients atteints de fibrillation auriculaire traités par un AOD reçoivent une dose inférieure à celle étudiée dans les études cliniques4. Il existe donc probablement en Belgique également quelques cas de patients sous-traités. Étant donné qu’il n’est pas possible de surveiller la coagulation chez les patients sous AOD au moyen d'un test de laboratoire de routine, cela passe généralement inaperçu. Il reste souhaitable qu'à terme, de tels tests de laboratoire pour le suivi d’un traitement par AOD deviennent disponibles en routine.
Les recommandations posologiques des RCP doivent être strictement suivies au moment de prescrire des AOD. Les critères actuels justifiant une réduction de la dose selon le RCP sont mentionnés ci-dessous. Les recommandations posologiques les plus récentes peuvent être consultées dans le Répertoire Commenté des Médicaments (Chapitre 2.1.2.1.2. Anticoagulants oraux directs). Toute réduction de la dose en dehors de ces critères doit être évitée en raison du risque de sous-traitement.
Ajustement de la dose des AOD en prévention thromboembolique dans la fibrillation auriculaire | |||
Dose complète | Dose réduite | Réduction de la dose en cas de | |
Apixaban | 10 mg p.j. en 2 prises | 5 mg p.j. en 2 prises |
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Dabigatran | 300 mg p.j. en 2 prises | 220 mg p.j. en 2 prises | Recommandée:
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Édoxaban | 60 mg p.j. en 1 prise | 30 mg p.j. en 1 prise |
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Rivaroxaban | 20 mg p.j. en 1 prise | 15 mg p.j. en 1 prise |
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* La dronédarone, l'érythromycine et le kétoconazole sont également mentionnés dans le RCP d'édoxaban, mais ne sont pas disponibles à usage oral en Belgique. |
1 European Medicines Agency. No change is needed in use of direct oral anticoagulants following EMA-funded study. Press release 27/03/2020. https://www.ema.europa.eu/en/news/no-change-needed-use-direct-oral-anticoagulants-following-ema-funded-study
2 DTB Team. EMA reviews bleeding risk with direct oral anticoagulants. Drug Ther Bull. 2019;57:88. doi: 10.1136/dtb.2019.000031
3 Jacobs MS, van Hulst M, Campmans Z, Tieleman RG. Inappropriate non-vitamin K antagonist oral anticoagulants prescriptions: be cautious with dose reductions. Neth Heart J. 2019;27:371-7. doi: 10.1007/s12471-019-1267-9
4 KCE. Anticoagulation et fibrillation auriculaire. KCE Reports 279A (2016). https://kce.fgov.be/fr/anticoagulation-et-fibrillation-auriculaire