Traitement antithrombotique chez les patients atteints de FA et de coronaropathie : qu’en est-il du traitement à long terme ?

L’association de fibrillation auriculaire et de coronaropathie est assez courante. En s’appuyant sur des données observationnelles, les recommandations européennes estiment qu’une monothérapie avec un anticoagulant oral suffit dans ce cas-là comme traitement antithrombotique à long terme. La première grande étude randomisée dans cette indication apporte quelques preuves étayant cette recommandation, mais les limites méthodologiques sont nombreuses.
 

Dans les Folia de janvier 2020, nous avions abordé le traitement antithrombotique chez les patients atteints de FA qui ont un syndrome coronarien aigu ou qui doivent être stentés. Nous nous étions limités à discuter du traitement pendant la première année suivant l'évènement, sans aborder le traitement antithrombotique à long terme.
Après un traitement combiné avec 2 ou 3 antithrombotiques pendant la première année suivant l'événement, les derniers guides de pratique clinique européens proposent une monothérapie avec un anticoagulant oral (AOD ou antagoniste de la vitamine K) comme traitement antithrombotique à long terme. En l'absence de données issues d'études randomisées, ils s’appuient pour cela sur des données issues de grandes études observationnelles. L'association d'un anticoagulant et d'un antiagrégant n’est plus que recommandée dans des cas très sélectionnés1.
 
L'étude japonaise AFIRE est la première étude randomisée à étayer cet avis. Cette étude incluait 2.215 patients atteints de fibrillation auriculaire et de coronaropathie stable. Le critère d’évaluation primaire était un critère composite de morbidité cardio-vasculaire et de mortalité globale. Après un suivi médian de 24 mois, le rivaroxaban en monothérapie ne s’avérait pas moins efficace (« non inférieur ») que l'association de rivaroxaban avec un antiagrégant2. Le risque d'hémorragies majeures était significativement plus élevé avec le traitement combiné qu'avec la monothérapie au rivaroxaban (NNH : 88 par an).
 
En raison de ses nombreuses limites méthodologiques, les résultats de cette étude sont toutefois difficiles à interpréter. La recommandation en faveur d'un anticoagulant en monothérapie n’est donc étayée que de manière limitée par ces données d’étude randomisée.

L'étude incluait 2.215 patients (âge moyen de 74 ans, 80 % d'hommes) atteints de FA et ayant reçu un stent (71 %) ou subi un pontage (11 %) il y a plus d'un an, ou présentant une coronaropathie significative confirmée à l’angiographie sans indication pour une revascularisation.
Après un suivi médian de 24 mois, la monothérapie au rivaroxaban 15 mg (10 mg en cas d'insuffisance rénale modérée ou sévère) ne s’avérait pas moins efficace (« non inférieure ») que l'association de rivaroxaban, à la même dose, avec un antiagrégant librement choisi par le médecin traitant (acide acétylsalicylique (70% des patients) ou un inhibiteur du récepteur P2Y12, généralement le clopidogrel (25% des patients)) : incidence du critère d'évaluation primaire : 4,14% par année-patient avec le rivaroxaban en monothérapie contre 5,75% par année-patient avec le traitement combiné : HR 0,72 ; IC à 95% 0,55 à 0,95 ; p < 0,001 pour la non-infériorité2.
On a observé significativement moins d'hémorragies dans le groupe traité par le rivaroxaban en monothérapie que dans le groupe ayant reçu le traitement combiné (1,62% par année-patient avec le rivaroxaban en monothérapie contre 2,76% par année-patient avec le traitement combiné : HR 0,59 ; IC à 95% 0,39 à 0,89 ; p = 0,01 pour la supériorité).
 
Limites de l'étude AFIRE :
  • La définition du critère d’évaluation primaire a été modifiée au cours de l'étude.
  • L'étude a été interrompue prématurément en raison d'une mortalité plus élevée dans le groupe recevant le traitement combiné ; il en résulte que les derniers patients inclus ont été suivis pendant moins d’un an, alors que l’étude prévoyait initialement une durée de suivi d’au moins 24 mois pour tous les patients.
  • L'étude n'a pas été réalisée en aveugle.
  • L'étude a été menée dans une population exclusivement japonaise ; la pathologie cardio-vasculaire dans les populations asiatiques est différente de celle des populations européennes. Les résultats de l'étude ne peuvent donc pas être simplement extrapolés à d'autres populations.
  • La dose de rivaroxaban utilisée (15 mg) est la dose approuvée au Japon pour cette indication, mais elle est inférieure à la dose recommandée dans les guides de pratique clinique internationaux  pour cette indication (20 mg).
  • Le libre choix de l’antiagrégant complique également l'interprétation.
  • De manière assez surprenante, l'incidence du critère d'évaluation primaire était plus faible dans le groupe traité par le rivaroxaban en monothérapie que dans le groupe recevant le traitement combiné, à tel point même qu'une analyse non prédéfinie a révélé la ‘supériorité’ du rivaroxaban en monothérapie par rapport au traitement combiné ; il est difficile d’expliquer ce phénomène par les effets biologiques du traitement antithrombotique et, selon les auteurs, il pourrait être dû au hasard.

Bronnen

1. 2018 Joint European consensus document on the management of antithrombotic therapy in atrial fibrillation patients presenting with acute coronary syndrome and/or undergoing percutaneous cardiovascular interventions.  Europace 2019;21:192-3. doi: 10.1093/europace/euy174
2. Yasuda S, Kaikita K, Akao M, Ako J, Matoba T et al. Antithrombotic therapy for atrial fibrillation with stable coronary disease. N Engl J Med. 2019;381:1103-13. doi: 10.1056/NEJMoa1904143